Le Merle

vol.5 no.1, Winter 2018
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vol.5 no.1, Winter 2018
Art & Finance : Unworking Value I
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Art & Finance : Unworking Value I
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By turns Nigredo-black and battlefield, transductive and future-promising, a turnstile of lived and real abstractions—the question of value can be dizzying, but sometimes it also opens onto new virtualities. Somewhere between art and finance, at the crux of governance by debt and the new vantages afforded by blockchain technologies, this issue raises questions about what accrues in claims and debts, and focuses on what, resisting measurement, uses itself up without keeping count. The key question: how do we stay with the financial trouble? 

Derivative Sport in Tornado Alley (1990)

David Foster Wallace

Unless you’re one of those rare mutant virtuosos of raw force, you’ll find that competitive tennis, like money pool, requires geometric thinking, the ability to calculate not merely your own angles but the angles of response to your angles. Because the expansion of response-possibilities is quadratic, you are required to think n shots ahead, where n is a hyperbolic function limited by the sinh of opponent’s talent and the cosh of the number of shots in the rally so far (roughly). I was good at this. What made me for a while near-great was that I could also admit the differential complication of wind into my calculations; I could think and play octacally. For the wind put curves in the lines and transformed the game into 3-space. I had developed a sort of hubris about my Taoistic ability to control via noncontrol. I’d established a private religion of wind. (…) 1

  1. «Derivative Sport inTornado Alley» is an autobiographical essay by David Foster Wallace that was originally published in Harper’s in 1992 as “Tennis, Trigonometry, Tornados.” The essay describes the rise and fall of Wallace’s junior tennis career as a young teenager growing up in the Midwest (Philo, Illinois, to be exact). Wallace explores in this essay what made him “near-great” (3), or, to put it differently, what prevented him from becoming a truly great tennis player.

La dette, c’est une façon de faire la guerre
Entretien avec Maurizio Lazzarato

Maurizio Lazzarato

Maurizio Lazzarato is an Italian sociologist and philosopher. Activist during the 1970s within the Autonomia Operaia (Italian labor movement), he had to go into exile in Paris to escape prosecution. His most recent works focus on the question of debt, war, and semicapitalism: The Factory of Indebted Man (Amsterdam, 2011); Governing by Debt (Les prairies ordinaires, 2014); Signs and Machines: Capitalism and the Production of Subjectivity (MIT Press, 2014); and most recently, with Eric Alliez, Wars and Capital (Amsterdam, 2016).

Érik Bordeleau

Après la crise financière de 2007, vous avez été l’un des premiers, avec David Graeber, à vous intéresser aux racines morales, anthropologiques et théologiques de la dette comme condition ancestrale du capitalisme. On observe en ce sens un «tournant monétaire» (monetary turn) dans la philosophie politique contemporaine, tournant qui mobilise des généalogies théoriques radicalement hétérogènes. Comment vous situez-vous au sein de ce tournant monétaire? Quand la dette s’est-elle imposée pour vous comme un problème clé? Et enfin, comment caractériseriez-vous votre propre méthode de recherche dans ce domaine?

Maurizio Lazzarato

Le capitalisme financier a un tout autre rapport à la monnaie que le capitalisme industriel. Le marxisme s’est essentiellement intéressé au capitalisme industriel; sa critique du capitalisme financier n’est pas aussi structurée (le troisième livre du Capital de Marx n’est guère plus qu’une série de notes, etc.). On a donc du mal à saisir le rapport que le capitalisme financier entretient avec la monnaie.

La généalogie qui fonde mes recherches est double : elle est à la fois française et italienne. Il y a un moment fondamental pour comprendre le capitalisme financier : le 15 août 1971, Nixon déclare l’inconvertibilité du dollar en or, mettant ainsi fin aux accords de Bretton-Woods. La monnaie devient une tautologie autoréférentielle – un dollar égale un dollar. Elle n’entretient plus de rapport avec un substrat économique. La monnaie se transforme en élément directement politique.

En 1971-1972, deux textes importants sont produits. En 1971 d’abord, avant même la déclaration de Nixon, il y a un cours de Michel Foucault sur la Grèce ancienne, où il discute de l’institution de la monnaie (c’est le seul endroit en fait dans son œuvre où il traite directement de ce problème). Il raconte comment Cypsélos introduit l’usage de la monnaie à Corinthe au VII e siècle avant J.-C.. Foucault montre comment l’invention de la monnaie répond à deux problèmes : le problème de la dette et le problème de la guerre. Cypsélos forme une armée avec les paysans pauvres pour chasser l’aristocratie. Une fois qu’il a gagné, la force armée paysanne se constitue en force politique. Pour territorialiser cette déterritorialisation de la force politique assumée par les paysans endettés, Cypsélos invente un circuit économique qui s’articule autour de la monnaie. L’élément fondamental à noter ici est que la monnaie ne naît pas de l’échange économique, ou du travail comme chez Marx, mais de la dette et de la guerre.

L’autre texte fondamental de la généalogie de la monnaie que je propose, c’est évidemment l’Anti-Œdipe de Deleuze et Guattari, qui date de 1972. Si on ne s’en tient pas qu’au versant psychanalytique de l’affaire, on voit bien que l’Anti-Œdipe est un grand livre sur la question de la monnaie. Deleuze et Guattari le disent clairement : la monnaie, c’est la dette. Ils produisent une nouvelle théorie de la monnaie à peu près en même temps que l’on passe à un nouveau régime monétaire qui n’est plus fondé sur la convertibilité avec l’or. Je suivais depuis un bon moment déjà la question de la dette chez Deleuze, qu’il reprend à la suite de Nietzsche et qui offre une piste d’exploration hors du canevas marxiste. Et il y a cette phrase qui m’a finalement décidé à écrire sur le sujet, qui figure dans son fameux Post-scriptum sur les sociétés de contrôle : «L’homme n’est plus l’homme enfermé, mais l’homme endetté.»

Et puis bon, du côté italien, il y a eu toute une série de discussions au sein de la revue Primo maggio autour de la question monétaire en 1973-74, mais ça n’allait pas aussi loin que ce que Deleuze et Guattari proposaient. Ceux-ci ont clairement établi que la force de territorialisation de la monnaie est directement liée à la force de déterritorialisation de la guerre.

eb

Dans La Fabrique de l’homme endetté, vous écrivez que l’économie de la dette réalise pleinement le mode de gestion gouvernementale du politique, du social, de l’économie, de l’État, etc. que décrit Foucault à la fin des années 1970, et ce, malgré que le gouvernement se montre de plus en plus autoritaire. Mais par la suite, dans Gouverner par la dette, vous devenez plus critique envers Foucault.Vous expliquez qu’en fait, la gouvernance libérale n’a finalement pas été autre chose qu’un capitalisme d’État en guerre continue contre l’État-providence. En quoi consiste plus précisément votre critique de la gouvernance libérale et donc aussi du libéralisme chez Foucault? Quel rôle joue la dette dans ce contexte?

ml

C’est un élément assez polémique. Dans son cours sur le néolibéralisme, Foucault est le premier peut-être à effectuer, presque en temps réel, une analyse de la tournure que prend le capitalisme. Mais étrangement, il n’y fait aucune référence au problème de la monnaie. Je soutiens que fondamentalement, l’arme du néolibéralisme c’est la triade monnaie-crédit-dette, par laquelle s’instaurent de nouvelles formes de gouvernementalité. Sans doute cette absence s’explique par l’abandon chez Foucault de la critique de l’économie politique, ce que Deleuze et Guattari ne font pas. Ces derniers restent liés à la définition marxiste du capitalisme, et de façon très intelligente, ils le sont moins par le thème du travail que par la monnaie.

Foucault, à ce moment-là du moins, emprunte une autre voie. Il lit le libéralisme comme une innovation dans le champ de la gouvernementalité. C’est un problème intéressant, mais qui laisse de côté celui de la guerre. Le passage du fordisme au post-fordisme, il faut le concevoir non pas comme une transition simplement économique ou monétaire, mais comme une opération stratégique. Par stratégie, j’entends un rapport de guerre, où il y a des adversaires, une lutte. Et le capitalisme a une stratégie, c’est de démanteler cette contrainte qu’ils ont dû intégrer au système à cause de la Révolution russe. Ce point de vue là manque complètement dans l’analyse de Foucault, même si par ailleurs, on ne peut pas nier la grande pertinence de son analyse des nouvelles formes de subjectivité, l’entrepreneur de soi, etc. Et cette omission est d’autant plus étonnante qu’il avait brillamment thématisé la question du rapport entre guerre et politique dans les années précédentes.

Donc, je crois qu’il faut garder le problème de la gouvernementalité, mais qu’il faut le concevoir comme une guerre conduite par d’autres moyens. Même le passage du fordisme au néo-libéralisme se fait à partir d’une guerre civile qui n’a pas déployé toute la violence des guerres civiles de la première moitié du XX e siècle. Je pense ici à Mai 68 et ses contrecoups. Évidemment, Mai 68 n’a pas vraiment mis en danger le capitalisme comme avaient fait la révolution russe et les mouvements politiques de la fin du XIX e siècle.

Ceci dit, il est important de se souvenir que, malgré la faiblesse stratégique du mouvement de 68, une guerre civile faisait rage en Amérique latine, qui coïncidait avec le passage vers un nouveau mode de production. Ils ont bombardé le président Allende au Chili, massacré le peuple argentin… ce qui s’est passé en Italie, ce n’est rien à côté de ce qui s’est passé en Amérique latine. C’est une guerre civile qu’ils ont remportée de façon militaropolitique. Ce n’est qu’ensuite que les Chicago boys ont débarqué et, alliés avec les fascistes, ont conduit les premières expérimentations néolibérales. Foucault n’a pas considéré ça. C’est là le danger de ne regarder que le caractère novateur du néolibéralisme.

Foucault bien sûr ne s’en tient pas là. Dans son article de 1982, «Le sujet et le pouvoir», il fait une distinction importante, et souvent ignorée par ses commentateurs, entre relations stratégiques et rapports de pouvoir. Il dit que les rapports de pouvoir sont des rapports entre gouvernants et gouvernés; les rapports stratégiques, eux, sont des rapports entre adversaires. Le problème, c’est donc comment passer du rapport entre adversaires à un rapport de gouvernementalité et vice versa. Donc, si on reprend le passage vers le post-fordisme dans cette optique, on voit que rendu à un certain point, l’affrontement stratégique a été gagné par le Capital, et c’est sur cette victoire que s’élaborent de nouveaux rapports de pouvoir – les dispositifs néolibéraux – pour conduire de manière plus ou moins prévisible la conduite des autres.

eb

Dans votre dernier livre avec E. Alliez, Guerres et Capital, vous mettez l’accent sur la relation intime entre le capital et la guerre.Vous présentez une idée de la guerre totale qui ne se limite pas à la lutte des classes, mais implique également la race, le sexe et, tout d’abord, la subjectivité. Comment définissez-vous le concept de guerre civile ? Et comment vous situez-vous vis-à-vis d’autres penseurs contemporains qui reprennent eux aussi les analyses foucaldiennes (et schmitiennes) du concept de guerre civile (je pense à Bernard Aspe ou au Comité invisible, par exemple) ?

ml

Pour moi, le problème est très simple : il faut traiter de la question de la guerre de manière précise et ciblée, en rapport étroit avec une conceptualisation du capitalisme, ce qui n’est pas le cas il me semble chez le Comité invisible. C’est ce que nous avons cherché à établir dans notre livre. Schmitt, voire Clausewitz, font des analyses très sérieuses de la guerre, mais sans la mettre en rapport avec le capitalisme. Par exemple : lorsque la guerre rencontre la valorisation infinie du capitalisme, ça donne la guerre totale. Dans Guerres et Capital, nous avons cherché à relever les moments déterminants où capitalisme, États et guerre se modifient. À cet égard, les analyses du Comité invisible m’apparaissent insuffisantes…

eb

… parce qu’elles n’introduisent pas une pensée des régimes de signes a-signifiants telle que vous l’élaborez à la suite de Guattari?

ml

L’exemple le plus clair d’un régime a-signifiant de signes, c’est précisément la monnaie. La monnaie est un signe a-signifiant, c’est-à-dire : son fonctionnement ne passe pas par la conscience, il fonctionne de manière machinique ou moléculaire, comme disait Guattari. On baisse les taux d’intérêt d’un demi-point, et il y a une série de répercussions immédiates dans la vie des gens. La difficulté ici, et c’est la même en ce qui concerne la technologie et sa puissance d’automatisation exemplifiée dans la gouvernementalité algorithmique, par exemple, concerne le fait que ce fonctionnement machinique n’est pas sans reste. Il y a toujours une dimension stratégique que l’automatisme technologique ne peut pas contenir. La machine a ses organes socio-politique qui la subjectivisent. Le problème c’est donc de penser ensemble un régime a-signifiant et machinique, largement automatique, tout en ménageant une place pour les rapports stratégiques. La machine sociale ne coïncide pas avec la machine technique, car la machine sociale est toujours également une machine de guerre, c’est-à-dire animée par des rapports stratégiques entre adversaires. C’est important de le souligner. Prenons l’exemple de 1971 : la machine monétaire avait commencé à s’enrayer. La déclaration d’inconvertibilité qui s’en est suivie n’était pas un «automatisme» : c’est un choix stratégique qui donne lieu à l’émergence de nouveaux automatismes, à de nouveaux dispositifs de pouvoir. Les discontinuités au sein du capitalisme présupposent non seulement des «révolutions» économiques, technologiques, monétaires, mais également des victoires politico-militaires.

eb

Cet éclairage stratégique des décisions qui fondent la finance contemporaine redimensionne – repolitise – le problème de la dette…

ml

La dette, c’est une façon de faire la guerre. Je pense à ces deux généraux de l’armée de l’air chinoise qui ont écrit ce livre, La guerre hors limite. Ils ne disent pas autre chose. Ils décrivent les politiques du Fonds monétaire international dans le Sud-Est asiatique comme une guerre non sanglante menée avec des moyens financiers plutôt que militaires. Je pense qu’ils ont raison. Comment dire? Le capitalisme financier n’est pas une anomalie du capital. C’est une tendance profonde qu’il porte depuis le début : A – M – A’ devient essentiellement : A – A’. C’est sa vraie nature qui s’exprime là. C’était déjà le cas dans le capitalisme hégémonique de la fin du XIX e siècle. À partir de 1870, on a déjà les prémisses d’un capitalisme financier. Le colonialisme, c’est un capitalisme financier. La France et l’Angleterre de l’époque sont des pays qui vivent des rentes coloniales. Et ce capitalisme financier a causé la première Guerre mondiale, la deuxième aussi; il a mené à la Révolution russe, etc. 50 ans de guerre et plus de 100 millions de morts. Ce n’est pas rien. Dans l’après-guerre, le capitalisme a été obligé de composer avec le mouvement ouvrier. Mais dès que, après 1968, le mouvement ouvrier est entré en crise, le capitalisme financier s’est rétabli de plus belle, reformulé en profondeur. C’est un nouveau capitalisme financier pour lequel la dette joue un rôle fondamental, parce que tout va se réorganiser autour du rapport créditeur-débiteur. Il faut voir tout ça comme une opération stratégique, la continuation de la guerre par d’autres moyens.

C’est sur ce fond qu’il faut intégrer les développements conceptuels de Nietzsche, et de Deleuze à sa suite, sur les formes de culpabilisation liées à la dette. Le tournant économique ou monétaire requiert de nouvelles formes de subjectivité.

eb

Je serais très curieux de vous entendre davantage sur les différentes alternatives qui pointent en réponse à cette domination sans partage par les moyens de la financiarisation. Je pense à l’intérêt croissant pour les monnaies communautaires et complémentaires; au renouveau des pratiques de jubilé et autres paiements collectifs de dettes (étudiantes ou autres); et aussi aux promesses que certains voient dans l’émergence des cryptomonnaies ou de blockchain comme outil pour redistribuer la valeur capturée par les plateformes en ligne. Je pense par exemple à l’Economic Space Agency fondée par Akseli Virtanen et à laquelle je participe depuis peu, qui donne suite au projet Robin Hood Hedge Fund Coop. Comment envisagez-vous l’émergence de nouvelles machines de guerre financières?

ml

Qu’entend-on par machine de guerre? Quels rapports se tissent entre machine de guerre et machine technique? L’exemple le plus simple qui me vient à l’esprit, c’est ce qui s’est passé avec Nuit debout en France en 2016 pendant le mouvement contre la Loi travail. Nuit debout a occupé la Place de la République et en deux jours, ils sont parvenus à maîtriser des modes de communication comme la télévision et la radio, c’est-à-dire, ils les ont intégrés à leur machine de guerre. Par contre, ils ont échoué à élaborer une vraie stratégie pour leur machine de guerre. Je donne deux exemples. D’abord, ils n’ont pas réussi à rompre la séparation entre les jeunes précaires blancs du centre de Paris et les immigrés qui résident en banlieue. Ils n’ont pas non plus été en mesure de dissoudre la division entre précaires et salariés standard. Donc pour moi, le défi à relever pour la création de machines de guerre n’est pas technologique; il est plutôt social et politique. Les mises en réseau virtuel reposent fondamentalement sur des réseaux sociaux effectifs. Si tu ne comptes pas sur des réseaux sociaux fort et transversaux, ton information ne franchit pas la frontière physique du périphérique, pas plus qu’elle ne rejoint les salariés standards.

Disons donc que je suis a priori assez sceptique vis-à-vis les solutions dites technologiques aux problèmes politico-financiers existants. Il y a une multitude d’expérimentations en cours en ce moment. D’un point de vue théorique, pour moi, la question de la dette est essentiellement liée à celle de la guerre; et en ce sens, la monnaie sert à territorialiser la guerre. Dans cette optique, il faut garder à l’esprit les dispositifs de pouvoir qui sont construits pour gouvernementaliser cette territorialisation.
Je m’inquiète du fait que les expérimentations manquent de points de vue stratégiques sur la guerre en cours. Nous sommes très attachés aux formes de collaboration et de mobilisation collectives; mais le capital, ce n’est pas qu’une production qu’il s’agirait de détourner vers des formes collaboratives, comme certains camarades post-opéraïstes tendent à le croire. C’est une affaire de guerre. La crise de 2008 l’a bien montré : la machine capitaliste, qui peut donner l’impression de marcher sur le pilote automatique, a besoin des organes sociaux de contrôle, de gestion et d’intervention puisqu’elle ne fonctionne qu’en se détraquant, c’est-à-dire : elle procède par crises. Ce ne sont pas les algorithmes qui ont décidé des plans d’austérité. Et puis bon, on ne peut pas simplement opposer des formes de coopération à des formes stratégiques. Dès que les mécanismes qui sous-tendent le système de la dette se bloquent, on voit immédiatement poindre l’horizon de la guerre.

eb

Pourriez-vous alors en dire davantage sur le rap- port entre dette et production de liquidité? Pour Amato et Fantacci dans Fins de la finance par exemple, et à la suite des travaux de Keynes, le problème de la finance contemporaine réside dans son obsession de la liquidité. Que pensez-vous de ce genre de problématisation post-keynésien?

ml

Je pense qu’il faut concevoir la liquidité comme un niveau supérieur d’abstraction, pour parler en langage marxiste. Rendre la monnaie plus liquide, les échanges plus liquides, c’est cette abstraction ultérieure du rapport social qui fait l’objet d’un contrôle et d’une domination. Visiblement, nous n’avons pas été en mesure de nous hausser au niveau d’abstraction où s’établit la politique de la dette.

eb

Nous en revenons donc à la fameuse question formulée par Mackenzie Wark durant Occupy Wall Street : Comment occuper une abstraction?

ml

En effet, on a de la difficulté à se hisser au degré de déterritorialisation imposé par le capitalisme financier essentiellement parce qu’au sein de la tradition marxiste, comme je le soulignais en début d’entretien, on est habitué à réfléchir avec des outils théoriques forgés en réponse au capitalisme industriel. Il y a une faillite au niveau stratégique. La liquidité, je ne pense pas qu’on puisse la contrôler de manière keynesienne désormais. La régulation, c’était aussi un fait politique. Il y avait des forces qui ont rendu cette régulation possible et nécessaire : la crise de 1929 d’une part, et la Révolution russe de l’autre. Braudel a écrit : en 1914, l’Europe était prête à basculer dans le socialisme. C’est la guerre qui a empêché ce basculement, en transformant l’ouvrier internationaliste en soldat nationaliste.

Et tout de suite après la guerre, on voit l’explosion de la Révolution russe; mouvements révolutionnaires puissants en Allemagne, en Italie, etc. C’est cette menace de renversement qui a poussé à la régulation. On ne régule pas pour des raisons économiques, mais pour des raisons stratégiques.

eb

C’est l’objection courante qu’on fait à Piketty…

ml

Le problème de la liquidité, de l’euthanasie des rentiers comme en parle Keynes, il ne se règle pas de l’intérieur du capital, comme si c’était plus sage pour lui de procéder de la sorte. Le capital, il vise la valorisation infinie. Et la seule façon de bloquer cette logique de valorisation infinie, c’est de lui causer problème. Avec la Révolution russe, le grand capital a eu la peur de sa vie, et ce n’est que sur cette base qu’ils ont concédé certains compromis.

eb

Cela me fait penser à une rencontre qui a eu lieu en 2014 à Stuttgart entre vous, Peter Pal Pelbart, Akseli Virtanen et Brian Massumi. Vers la fin de cet entretien, vous insistiez sur l’importance déterminante du moment léniniste. Et cela contraste effectivement avec la manière dont Massumi par exemple cherche à penser des contre-pouvoirs ontogénétiques «à la fin de l’économie», sans référent historique révolutionnaire.

ml

C’est une question qui se pose aussi avec certains camarades post-opéraïstes. Je pense que nous sommes engagés dans une série de défaites assez incroyables. Prenons le cas de la France : on a eu une mobilisation populaire exceptionnelle contre la Loi travail qui n’a pas empêché que cette loi soit votée un an plus tard. Dès qu’il a remporté les élections, Macron s’est empressé de réduire encore davantage les droits déjà très affaiblis des travailleurs. Comme si la lutte n’avait pas existé.
Il y a manifestement quelque chose qui ne marche pas. Nous n’arrivons pas à gripper cette machine. Je n’aime pas penser qu’il y a, malgré tout, toujours des possibilités, des opportunités. Historiquement, je pense que la composition de classe actuelle est plus faible que celle de la fin du XIXe siècle parce qu’elle ne pose pas le problème politique en termes de révolution. Elle ne cherche pas à en finir avec le capitalisme en tant que tel. Ils ont été capable d’occuper Paris, capitale du XIXe siècle, pendant deux mois… c’est comme si on occupait NewYork aujourd’hui! Bon, ils se sont fait massacrer, mais Lénine ensuite a construit son discours sur la défaite de la Commune. Donc, si on n’accepte pas qu’on a été battu, que 1968 a été une défaite, on n’arrivera à rien. Sans machine de guerre effective, les possibles entretenus par une certaine gauche restent vains. Mais pour l’instant, je ne vois pas le début d’un commencement de cette histoire.

eb

Sur la base de ce constat, il faudrait peut-être ouvrir une dimension éthico-esthétique, celle-là même que vous entretenez parfois dans vos écrits lorsque vous parler de démobilisation ou que vous reprenez pour votre compte le concept de Deleuze et Guattari d’anti-production. Comment donc se soustrait-on à l’empire de la valorisation en 2017? Ou sous un autre angle peut-être : quelle actualité pour la politique inspirée de l’autonomie italienne?

ml

Je comprends la fascination des gens de ta génération pour l’autonomie italienne, mais bon, il faut quand même se rappeler que nous avons été défaits. Si je vis en France, c’est parce que j’ai été exilé, voilà. Lénine a élaboré une hypothèse qui a mené à une première révolution victorieuse, avec toutes ses imperfections, parce qu’il n’a pas simplement fait un hymne à la Commune de Paris et ses 30 000 fusillés.

eb

Reformulons alors : comment se soustrait-on à la forme subjective de l’entrepreneur de soi?

ml

Oui, c’est avec ce genre de problème en vue que j’ai publié ce petit livre sur Marcel Duchamp et le refus du travail. Il faut un moment de rupture, d’affirmation subjective. Sans cela, il devient très difficile de développer un espace de résistance politique. Donc, refus du travail comme interruption du fonctionnement normal de la machine capitaliste. Et de là penser l’élaboration de machines de guerre. Le travail, c’est l’institution du capital. On ne peut pas se sauver par le travail, parce que le travail, ce n’est pas une constante anthropologique qui traverse les époques et dont le capitalisme se serait approprié. Le travail a été inventé par le capitalisme. Ou pour le dire avec Deleuze et Guattari : le surtravail précède le travail. En ce sens, la forme capitaliste précède le travail. Mon petit livre sur Duchamp est une tentative pour marquer le refus et le distinguer de la célébration des formes de coopération, ou plutôt : va pour les formes de coopération, mais seulement dans la mesure où elles se fondent clairement sur un refus et une rupture.

eb

En terminant : Angela Merkel a inscrit à son pro- gramme une promesse de plein emploi (3%) dans les 8 ans. Qu’est-ce que cette reprise d’une ancienne demande de gauche signifie sous la condition néolibérale de l’homme endetté? Et quel futur envisagez-vous pour l’Europe sur le plan politique et financier?

ml

Le seul plein emploi envisageable désormais, c’est le plein emploi précaire. Et dans ce contexte, et depuis la crise de 2008, ce que l’on voit en Europe, c’est la montée de discours sur la guerre, la montée de nouvelles formes de fascisme (sans parler du nouveau président des États-Unis). C’est ça qui m’apparaît essentiel. Il y a de nouvelles forces politiques qui occupent l’espace public en déclarant la guerre aux immigrants, aux réfugiés, etc. Il faut prendre ces formes de guerre civile «sournoises» très au sérieux.

    99 Theses on the Revaluation of Value:
    A Postcapitalist Manifesto (excerpts)

    Brian Massumi

    T1 — It is time to take back value. For many, value has long been dismissed as a concept so thoroughly compromised, so soaked in normative strictures and stained by complicity with capitalist power, as to be unredeemable.This has only abandoned value to purveyors of normativity and apologists of economic oppression.Value is too valuable to be left in those hands.
     
    (…)
     
    T5 — The first task of the revaluation of value is to uncouple value from quantification. Value must be recognized for what it is: irreducibly qualitative.
     
    T6 — The revaluation of value as irreducibly qualitative must be insistently this-worldly. Appealing to transcendent values, styled as moral qualities, only raises the strictures of normativity to the absolute.
     
    T7 — The revaluation of value is ethical by definition. That is why it cannot be moral.
     
    T8 — To uncouple value from quantification means engaging head-on with the economic logic of the market. Value is too valuable to be left to capital.
     
    (…)
     
    T14 — Excess is written into the very definition of capital, in its difference from money as unit of measure, medium of exchange, and store of value, and related to its role as investment money.

    Scholium.

    Capital is defined as the potential to derive from a present quantity of money a greater quantity of money in the future. Capital is not profit. Profit is the greater quantity of money derived. Capital is the potential to derive that quantity. That potential is the effective engine of the economic system. It emergently stirs in the system’s immanent processual outside.

    T15 — The capitalist economy is more fundamentally concerned with potential than it is with actual quantities.

    Scholium.

    Potential is a qualitative concept, in that it connotes transformation. Capital, as movement of potential, is the quality of money as transformational force, or the force driving the system’s becoming. The transformation counts economically only as registered in the statistics. The numbers are quantitative signs of qualitative changes (changes in productivity, the changes in labor and management practices associated with increasing productivity, the life changes associated with the changes in labor and management practices, the increasing accumulation of wealth but also growing social inequality, the disruptions and opportunities of innovation, the accompanying cultural transformations, the appearance of new desires accompanying those transformations, new dispositions gelling those desires, the contingent of idiosyncrasies, sometimes going viral…). What the economic indexes index are life changes. They are disguised vital signs. Marx speaks of capital in terms of “social metabolism” and “metamorphosis.” The changes that the vital signs index overspill the properly economic sphere. The potential of the economy is ultimately life potential. The question of value is a vital question. Capital has its invisible hand on the pulse of life.

    T16 — The issue of excess returns, in relation to the definition of capital and its connection to potential, in the question of surplus-value.

    Scholium.

    Surplus-value is another name for capital as quality of money. “Surplus”-value names capital as the ongoing potential for deriving in the future an excess-over a present quantity.This – and not equal exchange or fair value for money – is the engine of the economy.

    T17 — Surplus-value is primary in relation to value, as understood in terms of the market definition of money and as involving measurable quantities.

    Scholium a.

    Surplus-value is a form of turnover. It is the left-over of potential that drives the economic process forward. Profit is a punctual numerical harvest deducted from the process of surplus-value driving the economy continuously forward, across points of profit-taking. When profit is taken and used for investment, it is plowed back into the economy’s driving by surplus-value. Surplus-value and profit turn over on each other, always leaving a left-over: an excess of unabsorbed surplus-value for the future generation of still greater profit. Surplus-value is the ever-more-than-and-again of profit.

     

    Lemma a.

    Surplus-value is immeasurable.

     

    Scholium b.

    In and of itself, surplus-value cannot be measured.1This is because, being always by nature in excess over any sum of profit, it is supernumerary (not in the sense in the sense of extra in number, but in the sense of being beyond number).

     

    Scholium c.

    The capitalist system is characterized by its relentless drive for growth. Growth is capitalism’s processual desire: its constitutive tendency (what Nietzsche would call its will to power). The surplus-value drive to excess-over gives the capitalist economy its dynamic quality of ever-moreness, for once and for all-over-again, in perpetual turn-over.The engine of surplus-value lies at the beating heart of the capitalist system and dilates its veins. It is the expansive diastole for profit’s systolic contraction. More than the quality of money – that is it how appears when considered from inside the system – surplus-value is the processual quality of the capitalist system. It is what gives its quantifications their dynamic quality. It is the processual subjectivity of the capitalist system, self-absorbed in the generation of the numerical objectifications that feed its formal operations. It is how capitalism dips into the expanded field of its immanent outside (diastole), no sooner to contract the movements of potential found there into its profit-making system flow (systole).

     

    Lemma b.

    More properly speaking, capitalism’s driving force is the differential between surplus-value and profit: their systemic/ processual, systolic/ diastolic asymmetry.

     

    T18 —The future-looking definition of capital (the potential to generate a greater quantity of money in the future) means that capitalism is fundamentally speculative.
     
    T19 — The manner in which capital is speculative makes it a power formation in its own right.

    Scholium.

    Capital is a time-function. The time element is fundamentally non-chronological, revolving around potential, which is nothing other than futurity in the present. It only secondarily concerns the measure of time. Primarily, it concerns time as the qualitative interval priming the actualization of potential. Speculation is not a perversion of the capitalist economy. It is of its essence. It is its power function. Capital is the economic lever of the time of potential. As such, it captures the future of vitality: life’s qualitatively-in-the-making. It captures potential. In this capacity, capital operates directly as a mechanism of power. Its economic functioning cannot be separated from its power function. To say that capitalism is a power over life is an understatement. It is a capture of life’s in-the-making, its very becoming (it is an “ontopower”). Capitalism economizes life, and it is this economization that directly constitutes a formation of power.
     

    Lemma.

    Power formations are apparatuses of capture.

     
    T20 — The fact that the engine of capitalism is excess belies the commonplace notion that price reflects scarcity.

    Scholium.

    The financial markets are where money functions most intensely as capital in the surplus-value sense. It is self-evident that in the financial markets excess is operative in a way that presupposes not scarcity but processual abundance: the ability to endlessly proliferate and multiply (most particularly, through abstract financial instruments such as derivatives). The operative idea is not “how to do with less” but how to make “always more” from less. The surplus-value drive is most directly expressed in the speculative machinations of the financial markets, where the continued surfing of the flow of surplus-value is valued more (excessively so) than any particular landfall in profit. Profits are swept in the tide of perpetual speculative motion: data points on the cyclic beach of wealth, no sooner deposited than swept away to rejoin the flow.

     
    T21 — The financial markets offer a better point of departure for postcapitalist alter-economic thinking than money in its traditional market role as currency.

    Scholium.

    As already pointed out, the functioning of the capitalist economy cannot be explained solely with reference to the classical market functioning of money defined in terms of equal exchange. It is in the speculative sphere of the financial markets that the processual engine of the capitalist economy shows its true processual quality (its ultimately unsustainable running after surplus-value fuelling endless growth). Aspirationally postcapitalist alternatives must transcend the standard definition of money and the market-exchange concepts it underpins, or risk being outfoxed by capital from the get-go. They must generate notions more akin to surplus-value than to money in its three-fold definition. In a sense, they have to be more faithful to how the capitalist process actually runs than market ideology is – the better to turn its dynamic (in the way it is said in zombie movies that dead bodies “turn,” except in this case it is the inverse – a revivification). The turning of the turnover of capitalist surplus-value requires the alter-valuing of self-driving process. It requires the affirmation of an analogous dynamic quality of process, but one that does not lend itself to the quantification of the irreducibly qualitative that operates the economization of life.
     

    Lemma.

    Occupy surplus-value.

    T22 — A word for the alter-value that could drive a post-capitalist process is creativity.

    Scholium.

    The choice of “creativity” is made in full cognizance of the fact that neoliberal capitalism has appropriated the term. “Innovation” and “creative capital” are buzzwords signposting this appropriation. Surplus-value is the engine of creative advance of the capitalist system. But the quality of capital’s creativity is best captured in a related phrase, which expresses the inherent violence of capitalism’s economizaton of life’s qualitatively in-the-making: “creative destruction.” But what of life’s in-the-making proper, considered as such, vitally instead of economically? What of the creative advance of life as it complexly plies its field of emergence, that immanent outside of the capitalist system whose qualitative differentials capitalism data-mines for conversion to its own ends? Vital process too is self-driving. It too self-iterates, turning over on itself across its punctual expressions to continue apace. It too runs on excess, serially fed-forward.

     

    Lemma a.

    In other words, there is a qualitative surplus-value of life that provides the fuel for capitalism’s quantifications.

     

    Lemma b.

    Economization is the conversion of one kind of surplus-value (sur-plus-value of life) into another (capitalist surplus-value).

     

    Lemma c.

    Qualitative surplus-value of life is the processual given of the capitalist system. If it can be given to the system, perhaps it can be taken away from it. Even aside from this question of its withdrawal from quantification, it may be that it can be rejoined, upstream of its capitalist conversion. Even before capitalism is overcome, it may be possible to have one foot in both streams, in ways that prefigure its beyond.

    (…)

    T85 — It is conceivable that power of becoming (onto-power) can be mobilized in a way that makes possible an alter-economization that does not subsume surplus-value of life/ surplus-value of flow under capitalist surplus-value.

    Scholium a.

    Were this to be achieved, economization would be in the service of life-driving powers of becoming, rather than life-driving powers of becoming being in the service of accumulation.

     

    Lemma.

    This would qualify the alter-economization as a counter-ontopower. (…)

    T86 — In a counter-powerful alter-economy, surplus-value of life would retain its value for itself. Value would be revalued by the counter-subsumption of systems of quantification under life-qualities, the latter affirmed for their pure experiential quality and for the in-formative role it plays in the self-driving of life’s creative advance.

    Scholium.

    This would capitalize on the primacy of the qualitative over the quantitative, taking it back from its systematic captures: unchanneling it from them. This the very meaning of the revaluation of values.

    T87 — Such a contrivance would constitute a creative process engine theoretically capable of sustaining itself economically.
     
    T88 — In order to fully avail itself of the potentials afield in today’s digital world, this creative process engine would have to involve a new kind of digital platform.

    Lemma.

    New systems evolving out of the blockchain, beyond Bitcoin and Ethereum, could provide a propitious digital environment.

    T89 — The design of the platform would have to counteract certain regressive tendencies, of an anarcho-libertarian cast, designed into the original blockchain concept.

    Scholium.

    Designed into the blockchain is a libertarian market fundamentalism. Not only is the conventional three-fold definition of money uncritically assumed, underplaying the speculative side of cryptocurrencies, it is further assumed that economic activity comes in discrete units of action. Each such unit is a transaction between two individuals. The transaction is entered into according to each individual’s calculus of their own self-interest. The freeing of the market from the control of the banks and national governments is thus little more than a liberation of self-interest. The blockchain is a technical distillation of the ideology of individual self-interest that is one of the major tendencies in-forming capitalism. It takes capitalism’s basic market ideology and tries to purify it, and objectify that purification in a technical system. It radically reinforces the concept of the market that is at the heart of capitalism, along with the transactional exchange model that is central to the concept of the market.

     

    Lemma.

    Anarcho-libertarianism is anarcho-capitalism.

     

    T90 — Next generation blockchain-inspired platforms use smart contracts to expand the notion of what a transaction can be in ways that can begin to counteract the libertarianism built into blockchain.

    Scholium a.

    An example is the conjoint “Gravity” and “Space” cryptocurrency platforms under development by the Economic Space Agency 2. The idea is that instead of blockchaining simple exchange transactions, transactions can be made programmable and thus infinitely customizable, extending to anything that could be conceived of as a contract. “Contract” is taken in its broadest and most basic definition, as a conditional engagement where one action (or set of actions) calls for a return action, either immediately or within a designated time interval. This need not involve an exchange per se, i.e., the use of a currency as medium of exchange and general equivalent. Any proposition for an if-then call-and-response between actions could be programmed. The actions also need not be individual. For example, a smart contract could specify a set of actions needed to prepare a collective project for taking a step forward in its process, and what will happen when those conditions come together. (…) Smart contracts could be use to decentralize decision-making. Logistics, creative collaboration, and governance would then be intertwined through a single platform whose running would be autonomous and distributed, dispensing with the need for an executive hierarchy overhanging the process and lording over its participants. In this way, a certain commons of productive activity would be created, with an ethos of collective collaboration and a certain instantiation of direct democracy. The overall system is designed to be customizable down to the lowest level, so that unlike Bitcoin or Ethereum, projects can program a dedicated domain of operations embodying their particular orientations and priorities while at the same time remaining interoperable with the general cryptocurrency environment. (…)

     

    T95 — The crucial question is: How can a creative process engine that stays true to its mission of producing sur-plus-value of life for its own sake at the same time style itself an economization process capable of interfacing with the dominant economy in self-sustaining ways? That kind of complicity will be necessary transitionally, as the postcapitalist pores of the current society take the time they need to dilate and merge into an alter-world of their own. The only way this might be possible, if the present analysis holds, would be by exploiting the two-sidedness of intensive magnitude. (…)

    Scholium.

    The term intensive magnitude highlights the way each event comprises a quantitative aspect (expressing itself in the extensive dimension of space) and a qualitative dimension (expressing itself in the aesthetic dimension of a purely qualitative difference of degree). The affective intensity of this qualitative dimension is one with potential, and that this connection is key to the revaluation of values. For there is always a qualitative excess-over any capture: a surplus of affect that is fed forward as surplus-value of life, moving the life-process forward. It is on this surplus-value that a postcapitalist alter-economy must run. (…)

     

    T97— The madness of basing an actual economy on affective intensities is not entirely without precedent (and may not be so mad as that).

    Scholium.

    The derivative financial markets, which have taken over the pilot function of the capitalist economy, run more on affect than on underlying economic “fundamentals.” In a sense, the alter-economic strategies advocated here are taking the most advanced sectors of the neoliberal capitalist economy, not at their word (which is ambiguated by lip-service to outmoded classical-liberal economic rhetoric), but at what they do: their own propaganda of the deed. If they can use affective intensities as the engine of their process, why couldn’t another kind of economy? One that does not just run on affective intensities, but affirms them purely for the surplus-value of life they yield. One that refrains from brutally subsuming them under the profit-hungry quantification mechanisms driving capitalist accumulation. One that economizes alter-wise.

    1. Antonio Negri, “TwentyTheses on Marx” in Saree Makdisi, Cesare Casarino, and Rebecca E. Karl, eds., Marxism beyond Marxism, Routledge, London, 1996, pp. 151-154.
    2. See : https://economicspace.agency/

    De la valeur sous la forme de la créance : Notule à la théorie de l’accumulation primitive

    Dalie Giroux

    Je veux dans les lignes qui suivent, dans un horizon de désœuvrement, et en théorie, tracer quelques lignes en faveur d’une déposition de la valeur: crédit, argent, théomanie, speculatio libre.

     

    Crédit

    Il faut entendre par crédit l’ensemble des techniques sociales par lesquelles sont induites des relations entre un débiteur et un créditeur, et où la vie du débiteur (son activité, son pouvoir d’achat, sa propriété, sa liberté de mouvement) est mise en jeu en tant que garantie de paiement (en anglais : collateral). Cette forme de relation sociale est généralisée dans l’histoire méditerranéenne et occidentale. Cela passe par la servitude pour dette, dont l’abolition marque dans l’imaginaire occidental la naissance de la démocratie. Cela passe également par la généralisation des dettes paysannes au Moyen âge, et par les systèmes de dette-péonage et de paiement en nature, qui ont dominé l’histoire de l’exploitation et de la colonisation de l’Amérique par l’Europe moderne. Et cela nous mène jusqu’aux dettes individuelles qui financent aujourd’hui, par le biais de l’hypothèque et des produits de crédit personnel, le logement, l’alimentation, les soins de santé et l’éducation des classes précaires (ce qui inclut ces dernières dans la grande catégorie, totale?, des classes spéculatives).

    Dans la relation de crédit, la dette individuelle apparaît comme forme analogue et «dérivée» de la séparation juridique du corps par son contact transvaluateur avec le souverain. Ce rapport s’explicite dans la notion d’habeas corpus, qui exige de présenter un corps devant la justice pour que sa capture soit légitime. La dette, comme le droit, tient le corps en joue dans sa séparation juridique avec lui-même (mobile vivant et sujet du pouvoir), le futurise et le mobilise par la promesse, et suspend la possibilité même de l’usage en tant qu’accès libre à toute utilité – usage de soi, usage du monde.

    Le crédit, comme le droit, est d’abord, littéralement, une forme d’écriture. C’est une affaire comptable. Ce que cette écriture suscite est l’extériorisation d’une relation matérielle à partir de laquelle il est possible de capturer la force de travail du débiteur. Elle l’obtient soit directement en tant que force de travail, soit indirectement en exigeant le paiement en une forme de valeur donnée, dont le créditeur laisse au débiteur le soin de déterminer les moyens de l’obtenir. Dans tous les cas, ce qui est capté par le crédit est une spatio-temporalité : à la fois dans la notion d’intérêt (qui est une rétribution pour la jouissance abdiquée du créditeur par le fait du prêt), et dans la forme-durée de l’existence débitrice (qui est une détermination de l’agir productif selon les paramètres établis par la relation de crédit). Le crédit est une écriture, le crédit est une capture. C’est dans le cadre de cette institution humaine de la relation débiteur-créditeur que va s’inscrire l’argent comme forme générale et objective de créance de tout et de tous envers tous qu’est devenu le capitalisme financier contemporain. Le crédit est sans aucun doute le principal dispositif d’écriture archaïque par lequel s’actualise historiquement le plan d’existence capitaliste – l’archétype du processus d’accumulation primitive, par lequel, dirons-nous, non seulement le producteur est séparé de ses moyens de production, mais par où s’opère, de manière auto-itérative, la destruction de l’usage.

    À cet égard, la manifestation la plus concrète que nous ayons de la théorie de valeur (capitaliste), et que pourtant nous n’arrivons jamais à interroger, à mettre en philosophie, ou simplement à critiquer, est l’argent – plus spécifiquement la signification de l’argent dans le capitalisme. De fait, Marx lui-même n’a pas su proposer un concept d’argent qui se distingue de celui des économistes classiques, et n’a pas jugé qu’une critique de l’argent pouvait mener à une critique du capitalisme, dont la réalité se trouvait pour lui dans les rapports sociaux de production, et non dans ce qui lui apparaissait comme un simple mécanisme. Pour le dire ainsi, pour Marx, et pour nous, l’argent fait partie des conditions de l’agir auxquelles devons nous plier, et admettant cela, nous avons fini par confondre ces conditions avec la puissance d’agir elle-même – nous avons fini par croire à la valeur comme étant notre propre.

     

    Argent

    Élaborée notamment par Goeffrey Ingham à partir des travaux de James Steuart, Georg Simmel, Joseph Schumpeter et John Meynard Keynes, la théorie dite hétérodoxe de l’économie élabore une théorie de l’argent comme dispositif au sens fort du terme, c’est-à-dire en tant qu’appareil de gestion des conduites. Cette proposition, en montrant la dimension intrinsèquement politique de l’argent, ouvre une possibilité nouvelle pour la critique de la théorie de la valeur (capitaliste). Elle contient du moins certains éléments propres à contribuer à une clarification du rapport de destruction entre usage et valeur au sein du processus d’accumulation primitive, et à une mise en œuvre d’une autre temporalité pour la compréhension de ce processus – une temporalité qui serait chronique plutôt qu’historique, et messianique plutôt que linéaire.

    La théorie hétérodoxe cherche à définir l’argent (le support universel de valeur dans le capitalisme) non pas par sa fonction, comme le font Marx et les économistes classiques, mais plutôt par sa nature : elle pose la question de la monnéité, ou de l’argentivité. Ce que ces théoriciens nous permettent de dire, spécifiquement, c’est que la nature de l’argent n’est d’être ni une mesure abstraite de valeur, ni un moyen d’échange, ni une marchandise parmi les marchandises, ni un grenier de valeur (bien que l’argent soit aussi tout cela – mais tout cela, ce sont ses fonctions, ce que l’argent permet de faire, et non pas ce qu’il est, au sens où il est un opérateur de réel, ou, pour parler simplement, une prophétie auto-réalisatrice).

    À strictement parler, nous dit Geoffrey Ingham, l’argent serait un claim, une créance, une relation sociale de crédit, une machine anonyme à endetter.

    «All money is constituted by credit-debt relations – that is, social relations. Money cannot be created without the simultaneous creation of debt. For money to be money presupposes the existence of a debt measured in money of account elsewhere in the social system and, most importantly, in the debt created by the issuer’s promises to accept back its money in settlement. In other words, the money debt is assignable – or transferable, or negotiable1».

    Par le simple fait de son apparaître, en tant que pure puissance d’achat et en tant que valeur abstraite autoréférentielle, l’argent est un droit d’appropriation garanti. C’est à ce point précis que la valeur oblitère l’usage en son principe même. En effet, la forme-valeur argent a pour qualité d’être liquidable, c’est-à-dire qu’elle doit, à n’importe quel moment dans un espace monétaire donné, pouvoir être échangée contre des richesses diverses. C’est une unité discrète, séparée par l’écriture, du droit à la richesse. Dans le contexte du capitalisme, l’argent pour être argent doit pouvoir être converti en marchandise, y compris le produit du travail, y compris l’écosystème, y compris la force de travail,
    y compris les conditions phénoménologiques de la vie. Sa qualité de créance est sa potentialité et donc sa valeur. L’argent génère toujours une dette qui a vertu de pouvoir être indéfiniment réassignée. Cette dette est automatiquement contractée par la terre et les terriens en tant que ces êtres sont produits sous la forme confisquée de la force de travail et des moyens de production privatisés. La valeur-argent réquisitionne sous la forme d’une abstraction tout usage – n’importe quel, de n’importe qui, n’importe quand.

    De plus, on le sait, la création de valeur sous forme d’argent repose toujours sur un prêt : celui qui crée l’argent s’engage à l’accepter en guise de paiement d’une dette. Créer de l’argent, c’est assurer sa valeur en tant que celle-ci peut toujours se réaliser dans le remboursement d’une dette à celui qui fabrique l’argent. L’argent est, en ce sens précis, un dispositif miniaturisé d’auto-capture du réel : il se constitue par un vaste réseau de relations sociales d’endettement dont les créateurs autorisés de valeur (l’État et les banques) assurent le mouvement, qualifié au xixe siècle «d’efflux-reflux» – les flux de créances. L’argent est par cette qualité une «social technology for connecting present and future»2, parce qu’il engage en son maintien dans une temporalité de la dette et de la promesse – une futurisation automatique de l’agir collectif.

    L’argent en tant que mesure de valeur n’a donc pas de vélocité (où on l’imaginerait circuler à grande vitesse sur l’ensemble du socius), il a plutôt une qualité d’ubiquité en tant que forme manifeste de la relation de crédit. Il est écriture, et cette écriture en tant que séparée peut être à plusieurs endroits en même temps. La garantie de la mesure abstraite de valeur tient dans le crédit même en tant que pouvoir d’être liquidé et en tant que puissance de reddition. Ainsi donc, la modalité première de la valeur abstraite, de l’argent, est nécessairement la créance.

    C’est l’existence d’une dette qui donne sa valeur à l’argent. C’est là la nature de la créance, c’est-à-dire cette «foi» que l’on accorde à la valeur abstraite (spécifiquement : à l’écriture), et par où les significations morales et économiques de la dette se touchent – la promesse de valeur est la valeur même. Le claim, en tant que dispositif, induit une nouvelle modalité phénoménologique. Les relations économiques dans l’espace monétaire souverain reposent au final, et c’est là la dimension éthique de la théorie de la valeur (capitaliste), sur la nécessité d’une conduite des personnes qui soit telle que les promesses puissent être tenues: il faut acquérir le désir de capter le futur par l’apprentissage de la promesse.

     

    Théomanie

    La théorie hétérodoxe de l’économie nous permet aussi de rappeler que l’argent ne peut exister en tant que relation sociale de crédit que par l’intervention de l’État. En effet, la puissance de l’argent (sa valeur ou sa qualité de mesure abstraite et autoréférentielle de la valeur) est adossée à l’État qui y appose son sceau, qui la reconnait comme seul médium de reddition des taxes et impôts, et qui en garantit la liquidité (son pouvoir de conversion) par une panoplie de moyens juridiques et policiers – par des moyens «extra-économiques». «…the monetary space is the site, or field, of potential transactions that may be conducted under specific monetary conditions – that is to say, monetary space is sovereign space»3. La promesse qui fonde le claim requiert une autorité pour être établie, et l’exercice de la coercition pour être maintenue.

    Qui plus est, puisqu’un espace monétaire est dès lors nécessairement déjà un espace de souveraineté, la création de nouvelles formes-valeur argent, de nouveaux claims (étalons, monnaies, titres, options, produits dérivés) consiste en même temps à créer de nouveaux plateaux de souveraineté, dérivés de la consistance territoriale souveraine primitive de l’État. Ces plateaux forment des zones spéculatives (des intangibles accumulatifs) qui s’appuient, en dernière instance, sur la puissance étatique garante de la rédemption de la valeur en matière.

    Cette boucle entre territorialité primitive et zones spéculatives forme le cercle vertueux de valeur et de violence que nous appelons capitalisme et que décrit Marx dans la section huit du Capital. La puissance militaire souveraine est une puissance éminente de territorialisation du capital, et toute production de valeur repose sur cette fondation qui en est la garantie.Voilà qui éclaire d’une nouvelle façon la signification de créance.

    Le pouvoir de liquidation – l’ubiquité de l’argent – est le fait d’une régression à l’infini par le transfert de dettes. Il absorbe de manière tendancielle le monde entier – c’est une puissance de capture, et celle-ci est intrinsèquement liée à l’existentiel-étatique.

     

    Speculatio libre

    Des versions récentes et sophistiquées de la politique révolutionnaire de réappropriation se sont penchées, au-delà de l’idée de collectiviser le hardware capitaliste, sur la possibilité de se réapproprier non pas les moyens de production, mais les machines spéculatives elles-mêmes. Cela de manière à pouvoir mobiliser de manière rhizomique la spéculation dans le sens d’un partage et d’une redistribution de la puissance de transformation de l’habitat lui-même (plutôt que de chercher à assurer de couvrir les besoins de tous par la socialisation des moyens de production).

    «The derivatives affords a speculative regard toward the social, not simply a return to what the people once possessed and now have lost in the form of the common, but of what a population and a society might be if people had the active means to make contingent claims on one another that would render their mutual indebtedness the object of a politics that enhanced the ways in which they could value how they make their worlds4».

    Le crédit général serait le véritable objet d’appropriation communiste – et cette appropriation ferait de la dépossession l’espace d’une nouvelle démocratie spéculative. Il s’agirait de prendre le contrôle de l’endettement mutuel qui supporte notre forme de vie auto-inter-extortive. Si la proposition a le mérite de livrer une compréhension très fine de l’accumulation performative et de tenir compte de la nature de la valeur et de son importance dans le procès cumulatif de dépossession, elle demeure aux prises avec cette césure qui transforme le monde en chose et l’usage en souvenir. Elle voudrait partager directement la puissance au lieu de sa génération sous la forme de quantums de capacité de capture. Elle voudrait être une puissance d’accumulation – les sans-part se confondant au tout, scellant à jamais tout usage. Un devenir-divin.

    On dit dans le monde de la finance qu’il s’agit, pour créer de la richesse à partir de produits dérivés, de «capitaliser la volatilité» : c’est une version très décanté de l’usage terroriste de la faim au service de la mobilisation de la force de travail. Le supposé passage de la dette au don qui est théorisé par les marxistes américains qui prennent d’assaut la finance ne va pas changer le fait de l’objectivation autoritaire qui découle de l’accumulation, qu’elle soit primitive, capitaliste ou dérivative. L’aventure spéculative, la prise de risque, a été développée dans le cadre des explorations coloniales, les «ventures» : l’assurance-risque, les richesses instantanées, les «coups» de dépossession, qui toujours transforment l’absence de valeur en capital – cela n’est pas l’émancipation, car c’est toujours une méthode de capture de soi au nom du tout, et qui toujours exige une forme primitive d’expropriation. Son nom de code est titrisation. La spéculation, nous devons la refuser à tout prix : c’est là l’accumulation primitive continuée, là où toujours il y a de la vie sur laquelle on spécule, dans la mesure où, l’argent est toujours claim, l’argent est par essence crédit. Don’t you dare claim my poor ass.

    Dans toutes ses versions possibles, y compris dans sa version d’une émancipation de la spéculation même, le projet (du matérialisme dialectique) de s’approprier le substrat de la désappropriation ne peut tenir lieu de communisme. Essentiellement parce que l’idée de la réappropriation est inepte – ce qui a été pris ne se reprend pas, puisqu’il n’est pas de l’ordre de l’appropriable. L’usage peut être détruit, il ne peut pas être pris – car la valeur l’oblitère absolument. On peut certes penser à quelque chose comme un dédommagement pour les politiques de séparation subies dans une logique de brassage matériel issue de l’activation de l’usage (donner une valeur à la perte de l’usage – la social-démocratie, les traités autochtones), mais certainement pas à collectiviser les dispositifs qui opèrent cette séparation, ni la souveraineté, ni le pouvoir du claim. Cela reviendrait à se priver soi-même de l’usage dans le cadre d’un devenir-amputé – un scénario de science-fiction.

    Démanteler les accumulateurs de puissance interdit toute identification à ceux-ci : progrès, classe, État, machines dérivantes. Ne jamais fomenter l’appropriation révolutionnaire, ne jamais penser comme un État, ne jamais penser comme un accumulateur. Ne pas tenter le sauvetage de l’objectivité de la puissance d’accumulation : elle n’en a pas. L’auto-dépossession collective indéfinie n’est pas un horizon d’émancipation, c’est, dans une perspective terrienne, écosystémique, un horizon du symbole vivant – un délire théologique. Elle tend vers l’inhabitable, la production de ruine, la consommation de volatilité. Se défaire de l’attachement à l’accumulation est aussi un travail sur soi.

    La question de la désappropriation, du désœuvrement de l’ethos spéculatif, serait peut-être, en sa version la plus intime et la plus improbable : Comment remplacer l’attachement (à l’accumulation) par l’amour (de la liberté)?

    1. Geoffrey Ingham, The Nature of Money, Cambridge, Polity Press, 2004, p.72
    2. Ibid., p.72
    3. Ibid., p.71
    4. Randy Martin, “From the Critique of Political Economy to the Critique of Finance”, in Benjamin Lee & Randy Martin, Derivatives and the Wealth of Societies, Chicago, University of Chicago Press, 2016, p.196

    Neither Bigger Balls Nor Slower Glues

    Dorian Nuskind-Oder & Simon Grenier-Poirier

    “Speed glue” is an adhesive which, when used on a table tennis racket, increases the tension of its rubber surface, resulting in better ball spin and greater speed (though less control). Discovered by accident in the 1970s, the substance gained popularity throughout the 80’s and eventually became indispensable to high-level competitors. A decade later, however, it became clear that the VOCs (volatile organic compounds) present in speed glue were a health hazard. Tournaments provided well-ventilated “gluing rooms” where players could prepare their rackets, but reports of severe reactions continued to surface. In 2008, just after the Olympics in Beijing, the International Table Tennis Federation (ITTF) took decisive action and banned speed glue from tournament play.

    Interestingly, this regulatory move occurred during a moment of general concern regarding the sport’s obsession with speed. Over more than a half-century, technical advances had driven table tennis to dazzling extremes of velocity and spin, but as the game evolved, its appreciation demanded a similarly evolving specialized knowledge. While thrilling to the initiated, doubts began to surface regarding the marketability of table tennis as a spectator sport.

    Ironically, competitive table tennis initially suffered from a lack of speed. At the beginning of the 20th century, the most popular style of play was defensive in nature. Competitors bided their time, waiting for their opponent to make an error, or hoping to surprise them with a particularly unpredictable or clever shot. As a result games could last for hours, and demanded considerable patience on the part of both participants and spectators. At the 1936 world championships in Prague, two players reportedly took over an hour to contest a single point. The following year, the ITTF lowered the height of the net in order to increase the speed and difficulty of play, so matches would be shorter and more exciting.

    It was another two decades, however, before a new development truly redefined the sport’s relationship to speed. The original table tennis racket was a wooden paddle covered with a thin sheet of rubber, but in 1952, a Japanese player invented a new racket with a layer of sponge-y foam glued between the wooden blade and the rubber surface. This additional layer not only dampened the sound of the ball hitting the racket, it also drastically increased the speed and spin with which it rebounded. The innovation’s effect was swift and definitive:

    “The first time I played against sponge it was like being ambushed by an invisible opponent.You couldn’t hear his bat on the ball, and because its surface had a mind of its own you couldn’t read what kind of stroke he’d played. Fear entered the game. A new unfriendliness. It was as though you didn’t exist. You were simply someone the ball had to be driven past at uncanny speed.”1

    This newfound power unleashed a wave of technical innovation as players mastered the complex physics of topspin, backspin, sidespin and corkspin. These possibilities in turn encouraged the evolution of a more offensive game strategy and a preference for extremely short volleys (the “three-ball kill”).

    By the end of the century, the combination of high-tech rackets and speed glue produced a lighting quick and volatile game demanding an almost inhuman degree of reflex and technique. A service could set the ball spinning at a rate of up to 9000rpm, and players exchanged hits at a rate of 2-3 per second, with an average of only 3-5 hits per point. Game play was effectively condensed into a series of barely perceptible microbursts. This extreme speed meant only practiced participants could see and appreciate the exchanges. To the casual observer the sport had simply receded into a cloud of invisible virtuosity.

    Even before the 2008 speed glue ban, the ITTF was looking for ways to render the sport more accessible through regulation. In 2000, for example, they increased the circumference of tournament balls by 2mm, and changed their material from celluloid to plastic. Their goal was to decelerate play, decrease spin, and extend the duration of the average volley in order to produce more viewer-friendly matches.

    Still, neither bigger balls nor slower glues have made the game more comprehensible to the general public. Even with decreased speeds, volleys remain extremely short, which makes the game feel un-dramatic and difficult to follow. The ITTF’s interventions have been ineffective because they fail to address the strategies that truly shape the nature of the game. Offensive tactics, though honed in the age of speed glue, actually have less to do with speed, and more to do with efficiency and risk management. The “three-ball kill” dominates because the fewer times the ball is exchanged, the fewer chances you have to miss it. This strategy is an effective way to win points, and, in the end, competitive players are not concerned with putting on an entertaining show, they are there to win the game.

    It is clear that within the context of competitive table tennis, abandoning offensive strategies is illogical. But, what if that competitive structure were displaced by a more open-ended one? What other strategies might emerge if we removed the imperative to win the game as quickly as possible? And how could this shift in intention transform the experience of play for both participants and spectators?

    ***

    In the fall of 2016, as a response to these questions, we proposed a set of experimental rules for playing table tennis2. We recruited three professional players: Pierre-Luc Thériault, Antoine Bernadet and Edward Ly. Together we agreed that it would be interesting to see where these new parameters might lead us.

    1. Howard Jacobsen, “Whiff! Whaff! The beautiful game may be coming home,” Independent, July 16, 2010.
    2. See SPEED GLUE in this issue or this link

    SPEED GLUE

    Dorian Nuskind-Oder & Simon Grenier-Poirier

    — Try to keep the ball going as long as possible.
    — Modulate speed in order to make the exchange sustainable.
    — Stay interested.
    — It’s okay to miss the ball, just keep going.
    — The exchange will end when you decide to stop playing.

     

      Cruelly Repay Credit Where Credit is Due or Just Overdue It

      Bernard Schütze

      Pecunia, si uti scis, ancilla est; si nescis, domina1

      The debtor-creditor or stakeholder-shareholder opposition is the predominant social, political and economic relation within financialized capitalism, specifically in the way it structures everyday life through the production of consumer debt. The debtor-creditor basis inherent in financialized capitalism’s modus operandi is made quite explicit in the relation that one agrees to enter into in being granted the “privilege” of becoming a cardholder with all its advantages and responsibilities. The credit card figures as a major instrument to propel not only consumption, but, perhaps more importantly, to stimulate consumer indebtedness in order to extract value from the credit mechanisms that govern its functioning; i.e. a contractual agreement to accept high interest rates on overdue balances, rigid monthly minimum payments, credit rating surveillance etc., all this in return for easy access to a form of borrowed liquidity (i.e. leverage).

      The slightest deviance from the contractual rules, such as failing to pay the monthly minimum or going beyond the card limit, invariably leads to a cascade of harassment and punitive measures: downgraded credit rating, aggressive collection agent phone calls, continuing accruing interest on the unpaid amount, etc. For those who abide by the contractual rules and who have secured a sufficient monthly income to regularly pay down the borrowed amounts, the credit card can certainly serve as a convenient way to access liquidity. Heeding the call of the endless and omnipresent advertisement barrage that hegemonically shapes contemporary modes of subjectivation, the money-wise consumer can thus derive some benefit from the borrowing leverage afforded by this peculiar transaction medium.

      However, one does not need to be an economist or financial analyst to realize that consumer debt, which is to a large extent measured by unpaid credit card balance accounts, is soaring in Canada and the US. It is also not far-fetched to surmise that the credit-card issuers and the financial credit mechanisms of which they are but a cog, derive far more value from the“irresponsible,” debt-generating behaviours of a good part of the consumer population. It can therefore be argued that the profits generated from the credit mechanisms, such as gleaned from super high interests and credit card based debt swapping derivatives, probably represent a very significant source of liquidity earnings for credit card issuing corporations. The particular contractual agreement governing the terms one enters into in accepting a credit card of course also speak to the wider contours of our current political-economic sphere. With its fast-forward, expansion driven impetus the machine of the post-fordist economy appears to know no brakes, regardless of its evident short-mid-long-term contribution to the anthropocenic disaster that is looming on the planetary horizon. As it stands, finanicialized capitalism is not only unsustainable as such, it is itself an engine that threatens to destroy the very conditions of planetary sustainability on which the myriad life forms and life-feeding inorganic systems depend. These two aspects, the micro everyday debtor-creditor or shareholder-stakeholder social relation and the macro contours of the juggernaut post-fordist economy machine are in fact two sides of the same coin. Two sides that are respectively focused on by the two art projects under scrutiny here, Michel Eddy’s Infinite Cruelty, for nothing, which considers the debtor-creditor credit card relation from a satirical, carnivalesque inversion perspective, and Speed Glue, which examines the broader delineations of the macro economic system’s rules by altering a game of ping pong into an analogy for a more life-affirming relation than what is afforded under the current socio-politico-economic conditions.

      Infinite Cruelty, for nothing, a video piece in five acts and an epilogue in which a series of credit cards are subjected to various forms of traditional torture, literally inverts the debtor-creditor position by turning the credit card object (a metonym of the creditor) into the position of the debtor by subjecting it to various hilarious acts of cruelty aimed at divulging its inner workings and dark secrets. Filmed in a seedy snuff movie aesthetic, as evidenced by a handheld camera that roams through a darkened basement space, Infinite Cruelty, for nothing consists of an unfolding of various absurdly cruel episodes. In the first act, a newly received Tim Horton’s Double Double CIBC credit card — issued in the artist’s name — is dipped into a jar of hot tar various times before being carefully feathered in multi-coloured plumages. Afterwards it is doused with cold water to clean off the shame-inducing sticky accoutrements. While this is going on, a character wearing a bizarre rubber mask — reminiscent of a henchman, or a BDSM Dom — proceeds to call the CIBC customer representative to inquire into her current altered credit card status. The conversation centres on the notion that the card contains liquid that “allows transactions” to occur. After having unsuccessfully tried to extract liquid from the card, the cardholder asks the representative if the card’s liquid can run out and if the card has a memory, i.e. “if it remembers what is done to it.” The flummoxed representative gives as straightforward an answer as possible given the unusual, torturous questions. In another torment incident, when the cardholder-torturer asks: “what are the rules when, when, when pain is pleasure?” the sales representative responds in default mode with a perplexed “What are the rules when payment is not made?…” The credit card custodians are thus unwittingly drawn into this cruel and quite comical inversion of the business-as-usual polite harassment protocols. In this regard, Michael Eddy’s work is not only sadist in its content and actions, but also in its narrative strategy, which can be likened to Marquis de Sade’s novels in which acts of cruelty are the prelude for a reflective inquiry into fundamental questions.

      Indeed, each act of cruelty is followed by a real- life phone call inquiry-interrogation with a customer representative of the respective card-issuing institutions. The narrative progression thus leads to another episode in which a leather-clad Dom-like figure flogs a BMO MasterCard — tied to a stake — with a cat o’ nine tails until it cracks into pieces. This is followed by a particularly abject affair in which an Amazon card is buried in a pile of teeming worms. A penultimate act of cruelty features an American Express card fastened to a contraption and slowly stretched into a painfully elongated shape. This humorous nod to the medieval rack & stretch torture practice leads to a final conversation with a service representative centred on the notion of stretching the card’s limits and an anxious inquiry into the card’s identity and potential claims to immortality; hence the titular Infinite Cruelty. In the epilogue, the card is placed into a metal box decorated with a cultish figure engraved on its lid. The card is then put within this occult box, which is equipped with protruding nails on its lid’s inner side and bottom. As the henchmen closes the lid the card is punctured recto and verso and enshrouded into this coffin of sorts.
      End of video.

      These sidesplitting acts of torturing a hapless piece of plastic followed by spontaneous real-life conversations with its corporate custodians, transfers the financial violence normally exerted upon credit card using (abusing) human subjects to the transaction object itself as well as its corporate foot soldiers, who are employed to ensure that the attendant terms and regulations are properly adhered to and understood2. In thus comically turning the card object into a personified subject with a memory, who/which feels pain, who/which is self-interested (“it wants something from you”) and who/which has an uncertain identity and “life story,” Michael Eddy uses strategies of the absurd to reveal the cruel ordeals ordinary human subjects are put through when dealing with the Kafkaesque apparatus of the credit card corporations and their usurious lending practices3. As in any incisive satire, the use of ridicule and humour here serves to reveal and critique serious issues. Furthermore, Eddy’s proposition follows the logic of torture not only by way of the cruel acts performed but also through the efforts to get the cards and their corporate intermediaries to speak and reveal some of their precious secrets; secrets that maybe useful to better grasp the enemy’s position and intentions. Infinite Cruelty, for nothing thereby lays bare the underlying violence operative when we engage in everyday transactions made all too easily affordable through the little rectangular piece of plastic and its contractual terms. In the performance work, Speed Glue, Grenier-Poirier and Nuskind-Oder also explore finance-related notions of exchange and sustainability, but in a different perspective, driven not so much by exposing the cruel absurdity of the rules in place, but rather by imagining the possibility of an alternative set of rules that would do away with the notion of competition and a winner-takes-all ethos.

      The central concept behind Speed Glue4 is to remove the competitive rule structure from a game of ping pong by instructing two professional ping pong players to play not for points, but to sustain the game cooperatively as long as possible. The finite, zero-sum game basis
      of competitive table tennis is thus replaced with a potentially infinite game in which the pleasure of the exchange and beauty of play are the only surplus value worth striving for. The piece presents two professional players exchanging a ball for as long as they possibly can, with no other goal in mind but to return the shot over the net (hedge), either high or low (shorting or going long) and into the partner’s side of the court.

      This apparently simple proposition is however rife with meaning, especially when it is viewed in relation to finance and value, as it offers an utopian re-evaluation of the rules whereby we play our games, one in which cooperation and the surplus value of life derived from play and mutual enjoyment trump strive and winner-take-all profit seeking. In removing the win-motive or profit-motive from the equation, Grenier-Poirier and Nuskind-Oder introduce something akin to a Fourier-like utopian vision in which struggle and harsh labour are replaced by cooperation and mutual support in view of a common and shared well-being. In eliminating the competitive edge, the work transforms what is normally a finite battle — albeit quite pleasurable within the confines of the game’s leisure structure — into a potentially infinite game that is closer to dance and artful style than a struggle to maintain the upper hand until victory is assured. There is a plethora of finance analogies to be derived from the highly mobile and fluid game of ping pong, but as this may be slightly hors propos here and risks overstretching my allotted space, I will leave such considerations for another time and space. For now, I will limit such parallels to the evocation of the notion of arbitrage. “Arbitrage is the means through which a volatile field of trading in assets is kept liquid.”5 When transposed to the game of ping pong, arbitrage can be viewed as the incessant trading back-and-forth of a symbolic means of exchange or token (ball) for a symbolic return (points, sets, matches) on investment (placement of ball on the volatile tradingfield, such as a ping pong table or market, according to a set of pre-established rules, i.e. market place regulations or rules of ping pong) in view of winning and taking home the whole kit and caboodle (match, tournament or profit). In simply subtracting the stakes from the back-and-forth exchange, the arbitrage dynamic is transformed into an exchange of mutual benefit and enrichment, in lieu of the predominant struggle to win at the expense of one’s opponent or competitor. Speed Glue thereby mobilizes the analogy of a potentially infinite ping pong game to envision a situation in which outcomes and living conditions are greatly improved simply by changing the rules of the game from an antagonistic platform to a cooperative one.

      Infinite Cruelty, for nothing and Speed Glue, each in their way, abstract certain elements of the hegemonic finance relation we all find ourselves, to lesser or greater degrees, entrapped by. However, this abstraction, this simplifying or isolating of certain elements of a complex phenomenon so as to better illuminate it, casts a revealing eye on the deliberately byzantine abstractions of the post-fordist economic leviathan. Clearly these works will not have much of an effect on the operating logic of the ever-churning and steamrolling apparatus of financialized capitalism, but they do allow us to conceive of alternatives to the cruel and relentless charge of the debtor-creditor, shareholder-stakeholder equation, which is clearly based on a form of asymmetric warfare in which the former engage in a zero-sum game that leaves all too many of the latter systemically short-changed. Viewed in juxtaposition, the two art projects, one based on satire and derision exposing the inherent cruelty of the debtor-creditor calculation, and the other on an utopian imagining of an other, more cooperative framework of exchange, offer the possibility of introducing another affordance, another means to structure the relations between ourselves and the world we live in and by.

      1. Latin proverb. Translation: “If you know how to use money, money is your slave; if you don’t, money is your master.”
      2. For instance, when one has overdrafted a credit card account, the (automated) response from the institution reads as follows: “your account has been struck with a limitation and access is now restricted.” The violent undertone of the verb “struck” is indeed telling here, not to say striking.
      3. On a little side note, after repeatedly witnessing the series of torture incidents, I was almost expecting an inquisitorial outing in which the credit card would be burned at the stake in a sort of auto-da-finance. Such an ultimate treatment would in fact turn the plastic into an oozing liquid that could then re-solidify into something of no value whatsoever. Just a thought.
      4. At first I thought the title was some clever contraction of an accelerationist desire for speed and a substance (glue) that would somehow thwart its movement. This appears to be an erroneous reading, as “speed glue” is in fact a technical term for a special glue table tennis players use to re-fix the rubber surfaces to the racket or paddle. This has an apparently advantageous accelerationist effects on the speed of play, but no effect on capitalism’s ever faster, rudderless advance.
      5. Randy Martin, “From the Critique of Political Economy to the Critique of Finance,” in Derivatives and the Wealth of Societies, Benjamin Lee and Martin Randy eds.,The University of Chicago Press, Chicago, 2016, p. 174

      La vague qui nous porte

      Anne Lardeux

      “Box by Box1 is a tough place to get in and out of, even if you have the ability.”

      Le trader et l’ethnographe2

      Le Trader

      J’ai commencé comme clerk, commis de plancher à la Chicago Board Trade. Je faisais par téléphone le lien entre les clients à l’extérieur de la salle et les traders sur le pit... C’est une job épuisante, tu es en tension entre deux pôles, mais c’est un excellent poste d’observation : à la fois au cœur et en retrait… Tu inscris les deals passés entre vendeur et acheteur pour qu’ils soient immédiatement intégrés au flux des valeurs. Ce sont ces inscriptions mêmes – ces clôtures – qui sont et qui font le marché, dans leur immédiateté et leur succession. Un prix inscrit devient déjà immédiatement un prix du passé. Quant au futur, il ne fait pas partie du jeu… enfin il attend au-dehors. Le marché est un tournoi qui découpe un discrete present 3, c’est ce qui se joue là qui compte et qui vaut. Il est le jeu mais il est aussi l’arbitre et tous les joueurs réunis, il est l’équilibre infini de son propre… écoulement ? Entre nous, on compare notre pratique au surf… Le marché est une vague sur laquelle nos positions essaient de surfer, en même temps qu’il est le résultat de la composition collective de nos positions. C’est cette composition collective qui lui donne sa forme à partir de laquelle chacune des positions individuelles se réajuste.

      L'Ethnographe

      Est-ce que c’est un espace magique?

      Le Trader

      C’est un espace de transe oui…

      L'Ethnographe

      Et le dieu serait le marché? Vous, ses instruments de divination?

      Le Trader

      Dis comme ça… heu je ne sais pas !!…
      On n’attend rien du futur, on ne cherche pas à voir ce qui s’y dessine, on le performe.

      L'Ethnographe

      Qu’est ce qui fait un bon trader selon toi?

      Le Trader

      Avec le temps, j’ai appris en parlant aux vieux renards des planchers à reconnaître un bon trader. Je crois que j’en suis devenu un mais ça se reconduit sans cesse! (Il rit). Rien n’est jamais gagné. D’abord, il y a une certaine violence à se faire : il faut dissoudre les liens avec le monde au-dehors. Tu ne dois pas penser ni à tes trucs privés, ni aux sommes réelles en jeu… Tu comptes en ticks. Il m’a fallu en passer par tout un travail de purge : me délester de mes affects et de mon individualité pour devenir, oui c’est vrai, une sorte d’instrument du marché… Ah, mais ça n’est pas exactement ça… en fait il faut… il faut l’incorporer le marché, l’incorporer pour en ressentir les moindres flux, y être intimement connecté. C’est à la fois un abandon et une discipline. Très intime, parce que tu finis par sentir arriver du fond de ton cerveau, mais aussi de tout ton corps, l’influx nerveux qui transporte ta décision, qui en fait est plus un move qu’une décision rationnelle. Dans cette «zone», pour que ça marche, il faut que tu puisses agir sans penser explicitement. J’ai déjà eu des grands moments d’extase, c’est un peu gênant parce qu’en fait c’est proche d’un orgasme. J’ai déjà eu aussi vraiment mal, les fois où tu es resté stické sur une valeur sans voir que le marché est en train de se retourner contre toi et qu’il va t’aplatir… Quand tu fais perdre très, très gros à un client parce que tu as espéré, souhaité ou prié pour que quelque chose arrive…

      L'Ethnographe

      Mais il y a des choses que tu as apprises, que tu appliques et avec lesquelles tu calcules? Tu maîtrises des outils économiques… Toi et tes confrères, vous êtes passés par les plus grandes universités, non?

      Le Trader

      Oui, mais il n’y a pas de savoir expert qui tienne ici… Enfin si, mais il se situe du côté de la règle qu’il faut comprendre et maîtriser bien sûr… C’est comme un passe-droit, tu n’entres pas ici si tu n’as pas traversé ça et on travaille hyper fort. Mais la pratique, elle, ne se rapporte plus à cette expertise là, parce qu’en gros il faut dealer avec quelque chose de toujours émergent, de chaque fois indéterminé et être capable d’enchaîner une action à une autre, pour produire de la valeur…

      L'Ethnographe

      La sacro-sainte shareholder value ?

      Le Trader

      (Il rit !) Oui, celle-là même! Si elle va bien, tout va bien.

      L'Ethnographe

      C’est un jeu désespéré non?

      Le Trader

      Oui et non. Enchaîner des actions l’une à l’autre, c’est tout sauf désespéré. C’est peut-être même la condition de l’espoir justement, dans le sens où ça devient une fin en soi qui s’auto-alimente et est son propre mouvement… Ce qui est certain c’est que c’est un jeu tough dans lequel il faut apprendre à entrer, mais dont il faut savoir sortir aussi. Anyway, tu te fais éjecter très vite si t’apprends pas. C’est toute une discipline… Il faut suivre le rythme de ce qui bat là sans penser à autre chose qu’à cette chose et ses mouvements… C’est un jeu infini où tu disparais.

      L'Ethnographe

      Et le monde réel là, au-dehors, avec son futur justement, qu’est-ce que vous en faites?

      Le Trader

      Ah ça… je ne sais pas. Je dirais que c’est à lui de trouver sa propre radicalité. De travailler un geste qui maintienne possible quelque chose. Ou plutôt qui ouvre quelque chose.

      L'Ethnographe

      Qui ouvre un abri?

      Le Trader

      oui… peut-être un abri, mais un abri, on peut y mourir aussi… Disons peut-être une continuité ? Enfin de quoi affronter ce perpetual unrest, de quoi conserver une mobilité.

       

      La main sur la vague

      Dans les années 70, une bande de jeunes d’un quartier de Los Angeles au sud de Santa Monica glisse entre Venice et Ocean Park. Ils ne le savent pas encore, mais ils vont incarner un avatar sexé (le dernier?) du rêve blanc américain : swag blond, virtuose et désinvolte. Certains mourront, éternellement z-boys indociles, d’autres vieilliront pleins d’eux-mêmes et de coke au bord de piscines californiennes, celles-là mêmes qu’ils ont inventées dans leur jeunesse flottante.

      C’est dans les ruines de Ocean Park au milieu de poutrelles d’acier que ces gamins surfent. Des mauvais garçons issus de Dogtown, quartier ghetto d’une pauvreté blanche laissée à elle-même et qui s’élève sur les vagues. Trois types ont un magasin de surfs où ils vendent les planches qu’ils fabriquent. Ils bricolent et commencent à s’intéresser aussi à d’autres formes de glisse. Ils repèrent et récupèrent quelques uns de ces enfants perdus et les mettent sur les récents skates qu’ils ont conçus. C’est ainsi que les Z-boys (Z pour Zéphyr) sont nés. Ils ont une dizaine d’année, ils sont échevelés et téméraires. Ils occupent une crique où se cassent des vagues géantes au milieu des débris du parc d’attraction à l’abandon et, quand les vagues ne viennent pas, ils vont les chercher ailleurs en montant sur leur skate.

      En 73, une sécheresse aspire la Californie et vide les piscines de ses quartiers riches. Les formes en creux – de courbes et d’arêtes – aperçues derrière les haies appellent les mêmes gestes que la mer permet.

      L’été durant, des gangs sillonnent ces quartiers pour repérer et investir les swimpark des villas désertées. Ils transposent leurs gestes du surf au skate : la main sur la vague du roi Bertleman devient main sur le béton pour pivoter. C’est désormais une figure classique, un bert slide. La verticalité à la papa des rouleux des sixties est complètement réfutée : le corps se plie, descend en position très basse et remonte en même temps que la «vague» (ici une pente) pour la suivre. Les moyens du surf sont détournés et adaptés pour continuer à glisser avec ou sans la mer. La vague est reconstituée ailleurs. De cette avant-garde, nourrie d’une crise, se développe une pratique qui est aussi un ethos : le skate dans son rapport très spécifique à l’espace de la ville réchappe à ses interdictions et ses usages assignés. Il transforme le moindre dénivelé en potentielle surface d’élancement. Il épouse et révèle des interstices à même le présent de la ville qu’il active en matrices vivantes qui ne cessent de s’ouvrir et de se refermer. En finance, on parlerait d’arbitrage – le terme désigne un écart temporaire de prix entre deux marchés dont le financier entend tirer profit. Randy Martin4 a dit de belles choses sur ces pratiques dites dérivatives qui tirent le futur vers soi. Elles constituent un enjambement décisif qui caractérise une société, fondée non plus sur la sécurité et la protection mais sur le risque, ses mobilités volatiles oscillant entre gain et perte dans un mouvement impossible à fixer.

       

      Les Hackers

      Ils ont fait de notre garage leur atelier. Ils ne faisaient que passer, puis finalement ils sont restés, ils se relaient et dorment sur les tapis et le vieux canapé. Ils veulent tout recommencer et fabriquer des nouveaux circuits. Le dispositif qu’ils fabriquent est la marque en creux de celui qu’ils veulent détruire. Leur projet est vaste et basique – vivre «librement» – et ça concerne en premier lieu le cercueil d’où ils ont réchappé : l’université dont il s’agit de reploguer les savoirs à des nouveaux récits, de repeupler les soubassements des élans vitaux qu’elle réfute. Ils défient les ordres morbides de l’institution, défrisent son jabot et secouent leurs propres marteaux. En face d’eux, les figures qu’ils affrontent avec lesquelles parfois ils se confondent pour les défaire de l’intérieur: il y a le juge, il y a l’avocat, il y a des polices, il y a ceux qui ne veulent plus rien d’autre que l’ordre qui les soumet, il y a aussi le gestionnaire de portefeuille, le yuppie siliconé dans son bus climatisé, les multinationales et leurs salariés encloîtrés, vegan
      et bienheureux… et par dessus tout il y a la shareholder value qu’ils veulent hacker.

      Il leur faut fabriquer un accélérateur et dans le fond rien ne leur manque qu’ils ne sachent patenter. Le travail avance vite, plus vite qu’ils ne l’ont prévu, plus vite même que l’idée qu’ils essayent de s’en faire. Et pourtant il faudra bientôt en penser quelque chose. Ils commencent à travailler dès qu’ils ouvrent les yeux et n’arrêtent que lorsque la fatigue vole le sens à leurs gestes et les trouve hébétés au milieu du chantier aux petites heures du matin. Alors ils posent tout, alors ils font bouillir de l’eau et sortent les alcools. Des amis les visitent, de France, d’Irlande, d’Allemagne, d’Inde, intrigués par leurs travaux, venant s’en inspirer ou juste donner un coup de main. Certains, sans crier gare, se fondent à l’équipe; d’autres s’annoncent longtemps à l’avance et, une fois repartis, postent des selfies devant la chose en devenir, les yeux petits du manque de sommeil. Il ne s’agit pas d’être visible ou de ne pas l’être, il n’y a pas de mots d’ordre. Ce qui compte c’est de faire, partout et avec qui veut bien. Il n’y a pas de manifestes écrits, mais des espaces «ouverts» disent-ils, «certains sont des espaces horizontaux et anarchistes et d’autres sont plus hiérarchisés, organisés autour d’un noyau dur» et que plus grand chose ne distingue d’une start up. Cet esprit d’entreprise, ils ne le renient pas. Ils apprennent tout sur le tas, avec avidité comme des enfants libres échappés des écoles sèches et maigres des institutions. Ils feront de l’argent? Oui sans doute, ils trouveront des applications à leurs recherches. Et bien qu’ils ne doutent pas que grâce à eux le monde devienne «meilleur», ça ne donne pas de direction précise à leur action. 2008 les a vu émerger, se multiplier, essaimer dans le sillon de la crise et dans celui agité du courant Occupy. Occuper le trottoir, par la présence même produire du politique. Ils sont les branches vivaces de ce présent fertilisé. «Nous ne demandons rien ni ne promettons rien. Nous n’avons pas de programme nous sommes le programme» expliquent-ils à l’ethnographe qui les questionne. Ils avancent comme on fend une mer d’un sillon précaire. La loi, cette arpenteuse inlassable, referme derrière eux leur champ d’action et, toujours déjà, re-balise les territoires qu’ils ouvrent. Leur idée est de prendre assez d’avance pour avoir le temps de se retourner sur elle : hacker la loi et ses injonctions. Au texte même de son avancée, inscrire à son envers le code des lignes antipoison. Même chose avec l’argent, il faut le contaminer autant que le détourner. L’ethnographe sans poste les écoute en mangeant distraitement ses céréales. Elle essaie de penser différemment à son compte en banque exsangue où ne repoussent plus que les versements d’un dernier post-doctorat qui bientôt tarira.

       

      Les viaducs anticapitalistes

      Il court, elle court derrière lui. Les cheveux dans les yeux, la lanière du sac qui l’entrave. Ses pieds vont à une cadence effrénée. Mais déjà le grillage est là il faut l’escalader. Il balance son sac par-dessus et s’élance

      puis se retourne vers elle, viens dépêche-toi. Elle commence à grimper, un pied qui glisse, le poids de son corps au bout des doigts. Elle se reprend et une fois en haut, passe la jambe droite par-dessus la grille, toute tremblante. Juchée ainsi, elle essaie de garder l’équilibre en même temps qu’elle passe la jambe gauche. Il a déjà sauté de l’autre côté, récupère son sac, vas-y saute! Elle entend derrière elle la course des vigiles qui se rapprochent. Elle saute et c’est long… Elle retombe pieds

      et mains au sol. Il faut se redresser s’élancer malgré le ressort cassé des jambes. Mais ça revient, cette fois elle court plus vite, le grillage protégeant leur fuite, la peur ne lui coupe plus l’élan. Ils courent longuement, ils courent le long de rues désertes de parcs humides de terrains de foot phosphorescents de viaducs anticapitalistes. Quand ils sont fatigués, ils sautent dans un bus qui relaie leur course et l’emporte plus loin à l’abri de son rouli-roulant rassurant, qui est comme une maison qui est à tout le monde.

      Nous courons pour nous sauver nous courons pour respirer nous courons en animaux bien aiguisés plus forts encore de découvrir cette puissance. Nous aimerions courir la nuit entière enjamber des pipelines des voies ferrées fouler le sol marqueté des banlieues le béton de tunnels déshérités abandonner la peur à son sillon creux. Nous sommes prêts à recevoir les ondes du monde.

      1. Plage de la Barbade, où est mort un jeune surfer pendant le passage d’Irma.
      2. L’échange qui suit est une interprétation romancée à partir du travail des fabuleuses anthropologues : Caitlin Zaloom, The discipline of speculators, Ong et Collier, 2005 ; Karen Ho, Liquidity. An ethnography of Wall Street (2009) ; Hirokazu Miyazaki et Annelise Riles «Failure as an Endpoint», Ong et Collier, 2005. Il est également question du travail de Randy Martin. Voir son ouvrage : Knowledge LTD: Towards a Social Logic of the Derivative publié en 2015).
      3. On traduirait ici discrete par distinct, découpé, clos.
      4. Randy Martin, Knowledge LTD:Towards a Social Logic of the Derivative (2015).

      Derivative Tales of Futurity

      Erik Bordeleau

      God has a financial attitude
      Weather is water with a financial attitude
      In attitude we trust
      #Atmospheric Collateral
      #Liquidity_for_the_21st Century

       

       

      “We risk being the first people in history to have been able to make their illusions so vivid, so persuasive, so ‘realistic’ that they can live in them”.1

       

      “Allan Greenspan loved deregulation. He was also one of Ayn Rand’s disciple. (…) Ayn Rand was the most formative intellectual influence on the man who oversaw the Federal reserve during a period of intense deregulation. The predictable result of this deregulation was a series of speculation bubbles that destroyed the economy. It’s arguable that Ayn Rand’s finest achievement was not the authoring of two shitty novels. It’s arguable that Ayn Rand’s finest achievement was crashing the economy 25 years after her death”.2

       

      20th century sociologist Robert K. Merton is credited with coining the expression “self-fulfilling prophecy” and formalizing its structure and consequences. In his 1948 article Self-Fulfilling Prophecy, Merton defines the self-fulfilling prophecy as a false definition of the situation evoking a new behavior which makes the original false conception come true. Fake it until you make it – Merton was basically defining the capitalist subjective regime of self-confidence as all-terrain technique of psycho-affective capture.

      About 20 years later, his son, the duly and self-fulfillingly named Robert C. Merton, published a paper expanding the mathematical understanding of the options pricing model, and coined the term “Black–Scholes options pricing model”.The Black-Scholes (and Merton) probabilistic formula is like a navigational device to cruise through the sea of derivatives. It provided a rational way to price a financial contract when it still had time to run. “It was like buying or selling a bet on a horse, halfway through the race” (Ian Stewart). The financial sector called it the Midas Formula and saw it as a recipe for making everything turn to gold.

      The probabilistic model coincided almost perfectly with the course of the market until the real kicked back in full contingent mode with the October 1987 krach.

      “This is the ultimate logical conclusion of the para- dox of the derivative: not that each derivative is a new beginning, but that each derivative is a new present of time. It produces no future out of itself, only another and a different present. The world of finance capital is that perpetual present – but it is not a continuity; it is a series of singularity-events”. 3

       

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      “Within capitalist futures markets, the non-actual has effective currency. It is not an “imaginary” but an integral part of the virtual body of capital, an operationalized realization of the future. It is scarcely imaginable that the Left is willing to follow the path it has set out upon here, therefore, unless through thoughtlessness of simply staggering proportions, since it necessarily leads to the conclusion: while capital has an increasingly densely-realized future, its leftist enemies have only a manifestly pretend one”. 4

       

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      ‘I distrust the future so much that I only do projects for the past.’ The future, just like the crisis, is no doubt today one of the principal and most efficient apparatus of power. Be wary, both in private and in the public sphere, of who offers you a future: this person is almost always seeking to trap or deceive you”.5

      1. Daniel J. Boorstin, The Image: A Guide to Pseudo-Events in America. 1961
      2. Jarett Kobek, I Hate the Internet. We Heard You Like Books, 2016
      3. Frederic Jameson on the radical contingency of the derivative form
      4. Nick Land, On #Accelerate, #2b
      5. Giorgio Agamben, in laguna

      Economic Space Agency and the Future of Money

      Erik Bordeleau

      The Occupy Wall Street movement raised an essential question that we haven’t quite been able to answer yet: how to occupy an abstraction? Financial capitalism hangs above our heads like an extractive cloud that escapes our grasp. It uses monetization as the mechanism by which social, cultural, economic, ecological values are all flattened out and made equivalent with one another. And obviously, this whole extractive architecture is inherently hierarchical: some privileged few are allowed to issue money, while everyone else can only issue promises to pay money.

      How can we shift from the individual precarity generated by extractive finance to new forms of mutual indebtedness and metastable stakeholding? For starters, we need to conceive of money as a technical object of social design, that is, something that can and needs to be re-engineered to serve our collective aspirations. In that sense, the excitement around blockchain and crypto-currencies is an excitement around a new means of encryption that takes one huge step towards the democratization of finance through techniques of decentralization.

      Economic Space Agency is building Space, a virtual platform based on a post-blockchain computing fabric named Gravity. Space aims to opensource finance: to allows communities and individuals to make offers and issue their own programmable tokens that will function as attractors around which to orient the creation of their own value constellations.

      In an age awash with venture capitalists and billionaires, anarcho-capitalists and conspiracy theorists, oligarchs and neo-authoritarians, Economic Space Agency offers to diverse groups of people a leverage point in the corporate race to own the value of socially networked production. For we are always already at stake with each other, partnered all the way down, entangled in series of interlaced trails and creative feedback loops, holding open life for one another. Radical finance means the democratization of financial tools and the creation of designable, sustainable, non-extractive economies.

        Passport sandwish (2014)

        Michael Eddy