C’est un mythe de penser que les artistes sont intrinsèquement altruistes 1. En réalité, ils ne sont pas mieux que les autres. Comme propriétaires, ils exploitent leurs locataires autant que n’importe qui. Il plagient et volent aussi souvent que leurs voisins. Leurs carrières leur importent autant que la moyenne, sinon plus. Quand le choix se présente entre le gain monétaire et les convictions, l’artiste agit comme la plupart des gens. La conception de l’artiste comme saint est un vestige du romanticisme, et cela crée un contexte où la position économique et idéologique qu’il occupe dans la société est à l’abri de tout reproche. Il est aberrant de supposer que l’art avant-gardiste soit par sa nature louable sur le plan éthique. Lui accorder une valeur innée relève plutôt du fanatisme religieux et non pas de l’esprit critique. L’art avant-gardiste ne diffère pas des autres formes d’art à cet égard – il fait partie intégrante de la superstructure sociale, même s’il n’est pas forcément accepté par les masses à un certain moment de l’histoire. Il va de même pour les institutions et les individus qui en font la promotion, pour les écoles, et les critiques – bref, tous ceux qui sont impliqués dans la diffusion et dans l’appareil critique qui entoure la production de ce qu’on appelle «l’art». Au fond, l’art est une tare innée au sein de la superstructure sociale. On nous dit que la production de masse et les reproductions d’œuvres démocratisent le processus artistique. J’y croyais moi-même il n’y a pas si longtemps, mais j’ai fini par comprendre que tout cela était basé sur un malentendu. Bien que la démocratisation des moyens de production ait ébranlé l’illusion de l’objet d’art unique, ce phénomène est du à l’influence du marché plutôt qu’à un souci d’égalitarisme. Nul besoin de posséder une œuvre d’art pour recevoir son message, ni pour recevoir le message qu’elle transmet de par le rôle qu’elle joue au sein de la superstructure. La transmission de ces deux messages est assurée, pourvu qu’un public soit présent pour les recevoir. Norbert Wiener l’exprime très bien dans Cybernétique et société (The Human Use of Human Beings), en disant que l’appréciation et l’encaissement des informations transmises par une œuvre ne dépendent pas du fait de la posséder. Rares sont les personnes qui disposent d’un Tatlin, d’un Mondrian, ou d’un Duchamp. Mais les gens ordinaires peuvent apprécier ces œuvres autant que ceux qui les possèdent. Une autre question soulevée dans la lettre d’Athena Spear était celle de la syndicalisation des artistes, étant donné leur statut économique précaire et leur influence politique négligeable. En syndicat, les artistes pourraient faire valoir leurs idéaux et leurs façons de faire auprès des autorités qui contrôlent la diffusion des œuvres. Je serais d’accord avec une telle entreprise. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai participé, entre autres, aux activités de la Art Workers’ Coalition. Cependant, cette expérience m’a désillusionné. Les artistes occidentaux (je ne sais pas comment ça fonctionne ailleurs dans le monde) semblent avoir une mentalité de compétition qui est enracinée à un point tel que tout effort visant à travailler de façon collective soit voué à l’échec. Malgré une volonté sincère de surmonter cet état d’esprit, certains ne sont carrément pas en mesure de le faire. Je suis rendu très sceptique quant à la possibilité de former un syndicat avec un tel groupe de personnes. Un syndicat peut fonctionner uniquement lorsque les intérêts personnels de chacun sont délaissés au profit de la solidarité et du bien commun. Une autre problématique au sein de la Art Workers’ Coalition (et tous les autres collectifs que je connais) était le manque de cohérence au niveau des idées. Un membre peut vouloir démolir les musées, alors qu’un autre préconise les réformer et encore un autre désire tout simplement en tirer profit. Ces prises de position sont mutuellement exclusives et les exemples de ce type de désaccord idéologique sont nombreux. Les problèmes de base chez tous les producteurs culturels ne sont pas suffisamment rassembleurs pour combler les fossés idéologiques – entre un artiste institutionnel et un artiste critique de l’institution, par exemple. À New York, le syndicat des enseignants actuel pourrait servir de modèle pour un éventuel syndicat des artistes. Une étude de cas des contrecoups d’une gestion désuète et dictatoriale pourrait aussi être réalisée – les conséquences d’une telle conduite au sein d’un syndicat composé d’artistes ne sont pas difficiles à imaginer. Tout cela est assez décourageant, j’en conviens. Que faire dans une telle situation? La seule chose que je pourrais suggérer serait de créer un contexte critique et non pas dogmatique, un contexte qui remet en question tout l’appareil de la production artistique (ce que je tente de faire déjà au sein de ma propre pratique d’artiste) : Pourquoi l’art est-il produit? De quel type d’art s’agit-il? Qui produit cet art? Dans quel contexte est-il réalisé? À quel public est-il destiné? Qui s’en sert? Pourquoi? Dans quel but? 2
La figure de l’artiste est associée à l’imaginaire de ce qui sauve. Figure labile, elle est associée à la métamorphose autant par ses méditations, par ses jeux dionysiaques que par ses pirouettes du côté de la négativité. Cet héritage est à la fois lourd et délicat, source de profondes remises en question, entre l’extase et la dépossession. Que peut-on sauver à notre tour de l’imaginaire prométhéen que la figure de l’artiste charrie? Que souhaitons-nous déposer avant de poursuivre notre chemin? Édité par François Lemieux, ce volume 0; numéro pilote du Merle, rassemble quelques fragments : des gestes et des mots qui réparent et bricolent de l’écoute, de l’attention, de la vulnérabilité, du désir et aussi, quelques joies.
Le rôle de l’artiste dans la société actuelle (1973)
Hans HaackeManifeste pour la confusion, l’épreuve et les émotions conflictuelles
Jacob WrenJe fais de l’art depuis toujours et je ne me suis jamais senti aussi perdu qu’en ce moment. Je ne suis pas le seul à me retrouver dans cette situation 1.
Est-ce que l’art est assez important pour nous? C’est-à-dire, est-ce que le monde dans lequel nous vivons nous importe assez pour que nous reconnaissions enfin que nous sommes devant une impasse? Que nous tournons en rond sans nous en rendre compte? Que ça ne touche plus vraiment la société qui nous entoure et que nous ne sommes pas prêts à nous rendre à l’évidence?
Les remous dans le monde de l’art, les ruptures modernistes, les naissances, les renaissances, les cataclysmes – ce sont des choses du passé. Les tendances de l’heure disparaissent aussitôt. La possibilité de faire quelque chose d’original ne semble plus être possible, ni même souhaitable. Il y a saturation, une surenchère de tout. Une saturation d’art, de théâtre, de performances, de musique, d’installations, de tableaux, de livres, de films, de sites web – et ce, de tous les genres et de toutes les qualités imaginables. On ne pourrait pas passer à travers en un million d’années. De toute façon, la vie est bien trop courte, et le carpe diem proverbial d’autrefois ne semble plus avoir de sens clair. Sommes-nous vraiment obligés de faire semblant?
La politique s’est égarée il y a longtemps – les gouvernements de droite et l’emprise des riches sur le pouvoir constituent notre nouvelle réalité, et les artistes ne semblent pas avoir la volonté de rien y changer. En ce qui concerne l’environnement, il est évident que la planète ne s’en sortira pas. Dans tous les cas, si nous continuons sur la voie actuelle, l’être humain ne s’en sortira pas – il pourrait y avoir quelques rescapés, c’est vrai, mais on ne peut pas faire de l’art pour eux, on se doit de faire de l’art pour nous, maintenant.
Étant donné les réalités du moment présent et celles qui nous attendent, on ne peut plus vraiment affirmer que les gestes audacieux peuvent apporter quoi que ce soit. La confusion et les émotions conflictuelles sont nos nouveaux repères. L’ambivalence dicte tout. Où sont les artistes conscients du caractère futile de leurs actions mais qui continuent quand même; parce qu’ils n’ont pas le choix?
Pour changer les choses, il faut travailler avec les autres. C’est le noyau de tout mouvement artistique et de tout manifeste. Ceux qui travaillent ensemble doivent partager les mêmes convictions et s’entendre sur un objectif commun. L’union fait la force des clans, des clubs, des mafias… pourquoi pas des artistes? Nous, les artistes désorientés et fichus, ne pourrions-nous pas unir nos forces dans le but de trouver une solution? Même si aucune conviction ne nous rassemble, ne pourrions pas nous réunir sous la bannière de l’ambivalence et d’un aveu collectif de vulnérabilité?
(Un artiste qui se concentre sur l’autopromotion est en voie de perdition et risque de ne jamais retrouver le chemin de la signification. J’ai peur de devenir cette personne.)
Je rêve à quelque chose d’effervescent, qui a de la substance, de la valeur, du contenu. Un populisme de gauche qui fonctionne. La fin de l’aliénation, de la société de consommation, de la guerre, de la stupidité. Mais celui qui rêve est endormi, et il faut que je me réveille; que je me rende à l’évidence. Je ne sais pas transformer ces rêves en réalités. Partout des impasses, partout des écueils. Je n’ai aucune idée comment m’en sortir, comment produire quelque chose d’utile ou même de poétique. Je veux être éveillé, mais je ne veux pas perdre de vue ce rêve qui est la seule chose qui m’empêche de devenir fou.
À vrai dire, je voulais écrire un manifeste en guise de confession: une confession d’ambivalence, de sentiments conflictuels, du fait de me vendre, de l’humiliation, du cynisme, de la confusion, du fait que je n’arrive pas à distinguer mes amis de mes adversaires. Une confession de tout, pour voir si d’autres qui se sentent comme moi. Pour voir si la franchise et la confusion peuvent avoir une valeur quelconque dans notre monde. Pour voir si la probité existe toujours. Pour voir s’il existe toujours de vraies choses, des choses utiles.
Un artiste n’a pas besoin de convictions. Un artiste n’est pas obligé de connaître son parcours d’avance. Il lui faut plutôt du talent, de la sincérité, d’une communauté, de l’expérience de vie – des choses tout à fait compatibles avec le fait d’être perdu. (Je voudrais un jour écrire un autre manifeste pour dénoncer l’art qui n’a pas de rapport direct avec la vraie vie. Mais je n’arrive pas à entrer dans ce qu’on appelle la vie. Je suis un cas extrême.)
Normalement on n’écrit pas des manifestes sur ce genre de choses. Mais il est peut-être temps de commencer à le faire.
- Ce texte a été traduit de l’anglais par Simon Brown→
TRENTE ROUX CÉLÈBRES
Oriol Vilanova01 LUCILLE BALL
02 SARAH BERNHARDT
03 NAPOLEON BONAPARTE
04 LIZZIE BORDEN
05 WINSTON CHURCHILL
06 OLIVER CROMWELL
07 GEORGE A. CUSTER
08 EMILY DICKINSON
09 ISABEL I
10 ARTHUR GODFREY
11 HAROLD GRANGE
12 HENRY VIII
13 KATHARINE HEPBURN
14 THOMAS JEFFERSON
15 ROD LAVER
16 SINCLAIR LEWIS
17 NERO
18 IGNACE PADEREWSKY
19 WALTER REUTHER
20 SALOME
21 MARGARET SANGER
22 WILLIAM SHAKESPEARE
23 GEORGE BERNARD SHAW
24 BEVERLY SILLS
25 SVETLANA STALIN
26 TICIANO
27 MARK TWAIN
28 MARTIN VAN BUREN
29 GEORGE WASHINGTON
30 WILLIAM THE CONQUEROR
Un morceau d’oreille.
L’attraction du musée de Vladivostok
Vladivostok. Placée à l’Extrême-Orient russe. Le port le plus important du Pacifique. Siège de la Flotte du Pacifique de la Marine de la Fédération de Russie. Vieux Musée des Sciences Naturelles. L’exposition de l’oreille de Vincent Van Gogh. Plus précisément. Le lobe de l’oreille droite. Blanc. Illuminée artificiellement. Une vitrine en bois. Une petite salle. Vide et sans interférences. Ecoute les conversations des passants. Différentes versions de l’altercation. Arles. 23 décembre 1888. Perte de l’oreille. Deux mois de cohabitation entre Van Gogh et Gauguin. Van Gogh a menacé de couper l’oreille gauche de Gauguin. La nuit. Après la déception. Avec un couteau. Il se mutile la droite. Auto-mutilation. Une coupe nette. D’autres théories. Une agression de Gauguin avec son poignard. Un pari de bar. Ivre. Il affirmait qu’il ne concevait aucune douleur. Un garçon de café l’a coupé avec des ciseaux. Des études légistes. La blessure ne peut pas découler d’une automutilation. Un peintre tourmenté. « Ma jeunesse a été triste, froide et stérile ». Un artiste romantique à l’usage. Une manie poursuivante. Sortir de l’enfer. Il a enveloppé le lobe d’un mouchoir. Il est allé au bordel. Il l’a offert à Rachel. Une prostituée avec un nom artistique. Une murène. Anastasiya Solovióv. Illusionnée. Elle a conservé le morceau d’oreille du peintre. Un pot rempli de formol. Il était sûr qu’il serait un grand artiste. À sa mort. Le 13 mars 1941. Elle a laissé dans un testament le fragment apprécié. Sa ville natale a été l’héritière. Vladivostok a un bijou local. Presque inconnue. Reconnu après sa mort. Un roux célèbre.
mark en conversation
le merle markEn vue de la Triennale québécoise 2011, intitulée Le travail qui nous attend, le Musée d’art contemporain de Montréal a tenu à maintenir secrète la liste des artistes participant.e.s à son exposition 1. Si cette décision a pu favoriser le marketing de l’évènement en dopant les attentes du public, elle a en effet établi une nouvelle façon d’entrevoir la relation qu’entretient le Musée avec les acteurs et actrices de son milieu rapproché. En réponse à cette situation, je me suis tourné vers mark. L’entrevue ci-après a d’abord été publiée dans le catalogue de la Triennale québécoise 2011 comme l’un des trois volets de l’oeuvre que j’ai réalisée à l’occasion de l’exposition. — fl
Votre pratique artistique met de l’avant le soin, l’attention et la discussion sur les circonstances dans lesquelles vous êtes invitées à travailler. Pourriez-vous nous en dire davantage sur la pratique que vous développez en tant que groupe?
Notre objectif est de montrer la réalité intérieure et le contexte entourant l’élaboration des expositions. Dans un tel cadre de travail, ce qui demeure invisible, ce qui n’est pas dévoilé nous est familier en tant qu’artistes et auteur.trice.s d’expositions, et parfois en tant que spectateurs et spectatrices. Nous révélons ce cadre de travail, point de départ depuis lequel se développe notre pratique artistique, ce qui nous donne également l’occasion de discuter de notre attitude globale à l’endroit du «spectacle» et des attentes de performance de ces grandes expositions. Inutile de dire que nous ne nous faisons pas nécessairement des ami.e.s dans ce genre de travail. Nous sommes souvent perçues comme un inconvénient. Collaborer avec mark comporte une forme de risque et requiert une décision consciente.
Plutôt que de parler de la spécificité du contexte et de la sensibilité au site comme s’il s’agissait de tactiques, pourriez-vous caractériser ces approches en tant que partie intégrante de votre pratique artistique?
Ça a beaucoup à voir avec le rythme auquel nous traitons l’information. Les discussions que nous soulevons en tant que groupe nous permettent de ralentir à la fois l’acte créatif et sa réception. Le travail épouse un rythme similaire: une décélération de l’expérience susceptible de provoquer, chez le public (y compris les organisatrices et les commissaires), une réflexion nouvelle ou différente sur des circonstances familières. Cela peut ensuite donner lieu à une accélération de son propre développement. Nous offrons au spectatrice-destinataire de rompre avec les concepts et les interprétations préexistants pour s’orienter vers de nouveaux modes de questionnement.
Pourriez-vous exposer en détail ce changement collectif de vitesse et ses répercussions?
Pragmatiquement, il y a une grande différence entre le travail individuel et le travail au sein d’un groupe. Dans une dynamique de groupe, la nécessité pour chacun d’agir et de se positionner revêt une plus grande importance. Pendant l’élaboration d’une oeuvre, notre travail est sans cesse réévalué, et fait constamment l’objet d’une réflexion de la part de tous les membres du groupe. Le processus de «ralentissement» dont nous parlions plus tôt décrit assez bien notre approche et ses effets. En travaillant à cinq, chacune met à contribution sa propre spécialisation professionnelle, son expérience, son point de vue. C’est pourquoi nous devons passer par un certain processus pour cristalliser une compréhension des paramètres donnés d’un projet – c’est là l’aspect le plus chronophage de notre travail. Nous discutons, nous rejetons des idées; nous devenons les critiques de notre propre pratique. Par ce processus, nous enrichissons mutuellement nos points de vue tout en attisant l’enthousiasme collectif. L’oeuvre qui en résulte, ou celle que le public appréhende comme une réalisation de mark, est perçue comme le travail d’un seul artiste, et ce, bien qu’elle soit la distillation de nos visées individuelles. Une fois déployée, notre verve devient quintuple…
Nous reviendrons peut-être à l’idée de consensus tout à l’heure. Pour l’instant, à la lumière de ce dont nous avons parlé jusqu’à maintenant, pourriez-vous présenter le travail que vous avez réalisé à l’occasion de l’exposition 6. Kunstfrühling 2009, tenue dans la région métropolitaine de Brême-Oldenbourg?
Cette exposition a été montée de manière à ressembler à une foire industrielle. Elle se composait de deux volets: dans le premier, un commissaire a été invité à préparer un événement collectif; dans le second, les établissements culturels de Brême ont été invités à se présenter en assurant le commissariat de leur propre programmation indépendante.
Et mark a été invitée à prendre part au grand événement collectif, n’est-ce pas?
Oui. Après avoir reçu l’invitation du commissaire de Kunstfrühling et discuté de son offre entre nous, nous avons proposé de nous approprier la billetterie de l’exposition comme base de notre intervention. Nous avons ensuite dû passer par la procédure d’embauche. Après avoir soumis individuellement des versions réduites de chacun de nos curriculum vitae, nous avons toutes été embauchées à la billetterie. Nous avons ainsi pu percevoir un revenu durant l’exposition en échange de nos services, tout en menant notre intervention artistique.
Vous vous êtes donc partagé les quarts de travail de la vente des billets?
Oui.
Quelle a été la réaction, au sein de l’organisation?
Pour les organisateurs, notre position n’était pas facile à gérer: intégrer l’activité de la billetterie à une oeuvre d’art dans le cadre d’une exposition, cela signifie que l’artiste a directement accès à des renseignements délicats, comme les recettes de l’événement. Évidemment, notre intervention était une prise de position critique contre la notion convenue et répandue du travail non rémunéré des artistes dans la production de ce type d’événements et d’expositions d’envergure. L’œuvre nous permettait d’explorer cette convention tout en répondant à notre désir commun d’avoir un contact individuel avec chacun des visiteurs du Kunstfrühling.
Et les autres artistes? Comment ont-ils réagi au fait que mark a reçue une rémunération pour son intervention?
Naturellement, certains d’entre eux ont été personnellement offensés par notre idée «lucrative». Certains ont pensé que nous empocherions tout cet argent, ce qui aurait été une idée assez ingénieuse, mais dangereuse…
Pourriez-vous me parler de votre deuxième intervention au Kunstfrühling, en 2011? Si je me rappelle bien, le contexte était différent. Au lieu d’être invitées à participer à l’événement collectif, vous avez reçu une invitation de l’une des institutions culturelles de Brême, elle-même invitée au Kunstfrühling. C’est bien ça?
Nous avons été invitées en 2011 à cause de notre intervention de 2009, à la billetterie. Un des établissements de Brême a décidé d’inviter mark en raison de la position critique que nous avions développée à l’occasion de l’événement de 2009. C’est dans ce contexte que nous avons élaboré la nouvelle oeuvre.
Cet établissement voulait, en quelque sorte, proposer un projet critique de ces circonstances particulières? Et vous remplissiez le poste, autrement dit?
Nous constatons, pour notre part, que la critique est glorifiée de nos jours, en particulier dans le discours artistique. Comme si c’était devenu un plaisir pour les commissaires d’inviter des artistes qui adoptent une posture critique incisive. Nous sommes sensibles à cela, mais nous restons sur nos gardes. Dans ce cas-ci, la deuxième invitation est venue d’une commissaire qui avait peu à voir avec l’organisation de 7. Kunstfrühling 2011. Elle nous a invitées sur la base de notre travail précédent, en s’attendant à ce que l’oeuvre exprime sa position à elle vis-à-vis du «spectacle». Nous avons donc dû trouver un équilibre entre une certaine fierté liée à la reconnaissance dont notre travail faisait l’objet et un malaise découlant de sa potentielle instrumentalisation par un tiers. Nous avons accepté l’invitation, puis avons réalisé une oeuvre en nous servant du travail présenté en 2009 comme cadre de référence. Nous avons pris en considération que nous étions invitées spécialement pour fournir du contenu critique. «Ce en quoi consistait mark», ou l’attente d’une posture critique, voilà au final ce qui devait être abordé. Généralement, le fait de ne pas répondre aux attentes est manifeste dans nos ébauches et notre travail, non pas comme une attitude ou un principe par défaut, mais plutôt comme une phase dans nos négociations avec l’oeuvre.
En quoi consistait l’oeuvre à l’issue de ce processus?
Nous avons fait un audioguide de 76 pistes qui traitait de l’organisation et des décisions ayant présidé à l’exposition, et abordait les positions, attentes, espoirs du visiteur ainsi que le rôle de l’artiste. Comme dans toutes nos oeuvres, notre objectif était de concevoir une forme artistique capable de nous déstabiliser.
Et, si vous me permettez de poser la question, comment s’est présenté l’aspect financier?
La plupart des établissements d’art louent leurs audioguides, mais l’organisation du Kunstfrühling ne nous a pas permis de demander de l’argent.
Parce qu’il s’agissait d’une oeuvre d’art?
Oui, c’était l’argument central. Mais bon, nous pensions fixer un prix symbolique 2€ la location, par exemple. D’avoir à payer pour l’oeuvre, cela aurait sous-entendu une prise de décision de la part du visiteur. Au final, toutefois, nous n’avons rien fait payer et nous avons absorbé les coûts grâce au petit budget de production de l’établissement culturel qui nous avait invitées. C’était un contexte différent de celui de 2009, où les artistes n’étaient pas payés du tout. L’organisation du Kunstfrühling a même exigé que tous les artistes participants paient pour le catalogue de groupe produit en vue de promouvoir l’événement. En définitive, mis en commun, nos salaires à la billetterie ont fini par représenter le même montant que le budget de production qui nous a été alloué la deuxième fois.
Si la critique est de plus en plus perçue comme une devise symbolique dans le milieu des arts visuels, selon vous, où en sommes-nous en ce qui a trait à la pratique?
Que nous en bénéficiions ou non, nous contribuons à l’économie de marché de l’art, cela ne fait aucun doute. En conséquence, d’une manière ou d’une autre, nous avons toujours à composer avec une sorte d’absorption. Nous élaborons donc une pratique également capable d’absorber les conditions particulières comme cadre de travail, comme système de règles, comme paramètres à partir desquels nous pouvons travailler. À la lumière de l’oeuvre d’Andrea Fraser, par exemple, on constate qu’en art visuel, on peut tenter d’être à l’avant-garde, de créer des pratiques qui, penserait-on, ne sauraient être absorbées par aucune stratégie de marché, mais en réalité, ces pratiques sont tôt ou tard entièrement intégrées au marché de l’art. Ce doit être épuisant de toujours ressentir le désir d’être en dehors ou au devant de son époque. Avec notre héritage d’art conceptuel, nous ne nous voyons pas vraiment comme en dehors ou au devant, et il nous arrive même parfois d’oublier que l’art conceptuel critique n’est pas aussi familier et établi pour tous qu’il l’est pour nous. Nous travaillons à partir de cette vision d’ensemble et d’une vaste base de connaissances.
Diriez-vous de l’approche de mark qu’elle est plutôt spéculative – à savoir, organisée autour du défi de ce qui est possible, pas nécessairement de ce qui est plausible?
Notre pratique critique passe par l’étude de modes de sensibilisation, pas seulement par des débats sur les «pour» et les «contre». C’est pour nous un besoin et un désir que de travailler avec des formes esthétiques réduites et de nous restreindre à des gestes significatifs, plutôt que de jeter dans l’«espace» des images et des gestes grandiloquents. On peut voir cela comme démodé ou visionnaire; dans tous les cas, pour nous, ces gestes sont un mode d’expression approprié. Nous n’exclurions pas d’autres techniques si elles en venaient à être nécessaires, mais nous pourrions difficilement imaginer un travail qui ne se fonderait pas sur un contexte concret. Cela pourrait paraître naïf, mais pendant la conception d’une oeuvre, nous sommes concentrées sur le moment présent, de telle sorte que nous ne nous soucions pas de notre avenir professionnel – cela pourrait aussi être un avantage lié à notre position, en tant que collectif. En vérité, nous ressentons une différence remarquable.
Quelle est la couleur préférée de mark 2?
Y a-t-il des couleurs meilleures que d’autres? Jusqu’à maintenant, nous avons appris que «Some girls are bigger than others»(The Smiths).
Littéralement, «Il y a des filles plus grosses que d’autres». [Trad. libre]
- Ce texte a été traduit de l’anglais par Isabelle Lamare et François Lemieux.→
- mark est un collectif artistique allemand composé de femmes artistes, de mères, d’instructrices de yoga, d’architectes, de graphistes et d’enseignantes qui oeuvrent ensemble, ponctuellement, depuis une quinzaine d’années.→
Notes d’introduction pour le contrepoint academique (sic)
Marc G. Courouxle contrepoint académique (sic) est / fut une œuvre dérangeante. Une situation de performance, plutôt qu’un événement purement musical. Une nuisance, dans le contexte du Festival international de musique actuelle de Victoriaville pour lequel il a été composé en 2000. Invoquant un contrepoint académique, voire scolaire, archaïque et idéalisé, pour l’essentiel impossible, irréalisable, la pièce traînait jusqu’au cœur de l’avant-garde de la musique libre que Victo se targue de représenter les orthodoxies poussiéreuses du concert classique. Or cette transplantation forcée a révélé des ressemblances insoupçonnées sur le plan politique entre les deux contextes apparemment antagoniques, en particulier quant à la position de soumission que l’auditeur-spectateur adopte tout naturellement, et à sa propension à tenir pour acquis un mode d’émission figé qui néglige de suggérer la moindre interrogation active, le moindre examen critique. La musique classique renforce constamment ses frontières, en explicitant et en excluant tout ce qui est «extramusical» (c’est l’une des rares disciplines à s’être inventé une telle négativité) et en exigeant une écoute entièrement lisse, libre de toute valence distrayante. De fait, la musique classique comme une grande part de ce qui se passe à Victo (il y a des exceptions) reposent sur une foi inébranlable dans les modes de transmission et de réception de leurs contenus respectifs. Et bien qu’il puisse y avoir des dissonances (des bruits) pour remettre une œuvre en cause – même, à l’occasion, le bruit non cochléaire produit par celle qui ne répond pas aux attentes qu’elle avait créées, ou que l’interprète échoue à faire passer de façon convaincante (encore plus de bruit) –, les conventions omniprésentes qui l’encadrent avant même qu’elle n’ait commencé ne soulèvent aucun intérêt digne de ce nom.
le contrepoint académique (sic) est une œuvre qui dérange par la confusion des genres. Son contenu musical se présente comme l’aboutissement fragmenté, et tardif, d’un type de contrepoint de plus en plus raffiné qui interrompt, de façon anxieuse et répétée, son propre devenir; dans un contexte où la confiance calculée est de mise, on lui substitue un tâtonnement sans fin et des incertitudes à peine réprimées. L’œuvre enchâsse un moment privé, «hors temps», consacré à l’inspection du matériau musical et à son actualisation par le réchauffement, dans le temps de la performance devant public, confondant ainsi par le bruit les attentes «naturelles» du récepteur à l’égard d’un interprète qu’il veut en pleine possession de ses moyens, communiquant avec lui fidèlement et en toute légitimité. Elle est bruyante par son refus d’établir avec l’auditeur une relation stable, par l’espèce de «peaufinage in vivo» qu’elle lui impose et qui propulse les interruptions et les reprises indissociables du studio d’enregistrement dans un univers où l’expérience de l’auditeur repose implicitement sur une garantie de projection cohérente, d’unité temporelle. Elle fonctionne aussi carrément hors de la musique, quand elle fait entrer de force les instabilités inhérentes à certaines situations propres aux arts de la scène dans une boucle de rétroaction aux côtés du matériau musical, désormais assujetti à un corps volontairement (ou non) indiscipliné et tremblant qui ne lui offre plus d’ancrage sûr. Elle ronge enfin un tissu temporel supposé uniforme et continu (supposition nécessaire à la pratique de «l’écoute structurée»), par une diminution générale de l’intention et des habiletés nécessaires pour la véhiculer, par l’absence de «volonté téléologique» et par une perpétuation du même fondée sur la différence infraperceptible; des procédés qui, tous, encouragent par extension le spectateur à se déconnecter périodiquement de ce à quoi il est en train d’assister.
Et pourtant, pour bien des gens (parmi eux, certains critiques), l’œuvre a franchi avec brio l’épreuve décisive. On l’a acclamée comme un combat héroïque. Ses différents bruits ont été ramenés dans le paradigme du maniérisme de haut niveau (Jarrett, Gould, Helfgott…), ses bifurcations stylistiques comprises comme le fruit d’un conflit interne, personnel (avec un démon intérieur, qui sait?). Vœux pieux? Inconscience délibérée? D’autres ont dû détourner le regard ou fermer les yeux pour atteindre un état «d’écoute réduite» (cf Pierre Schaeffer), afin de minimiser la contamination extramusicale. (Alors que d’autres encore affirment que l’enregistrement – le seul document encore existant de l’événement dans son entier –, débarrassé de ses composantes visuelles, transmet néanmoins une impression d’effondrement imminent et de tentative angoissée qui signale, aussi maladroitement qu’on le veuille, une situation extérieure au cadre de la musique elle-ême.)
le contrepoint académique (sic) a été conçu pour intervenir, mais sans la résoudre, dans la situation de perception fortement conditionnée (mais donnée pour immuable) et idéalisée qui s’installe dans cette «machine à concentration» 1 qu’est la salle de concert. Une intervention tactique, qui redirige la conscience, ne serait-ce que momentanément, vers d’éventuels degrés d’engagement, d’autoréflexivité et de capacité d’agir autres, au sein et autour des liens mutuels entretenus par l’auditeur et l’interprète. Pour empêcher la fermeture, la catégorisation et la systématisation, en faisant place au bruit dans la rencontre.
- Traduction libre de concentration machine, un terme forgé par le compositeur et théoricien Eldritch Priest→
le contrepoint académique (sic)
Marc G. Courouxaggression is an essential
characteristic of the avant-garde
the whole story de-evolved from the ego-centre
of the protagonist exploding the interface
forcing certain musical situations into cabaret
playing in straight rhythm but only
hitting notes part of the time
imposing paranoid disposition on blues-like music
focusing in on something that’s not really there
you think you’re hearing something?
a sequence of abortions
the so-called feedback-loop
Gould’s vacuum cleaner story
a totally out-of-control blues
a gradual loss of interest in the thing
i would rather not summarize what i’m doing
I’m probably a little more tired
hey, that’s an idea
make a very pregnant one
end it way before it gets there
maybe it was fractured all along!!!!
I find this material boring
isn’t that a little cliched?
the counterpoint is obviously NOT WORKING
do we still have hope for it?
a kind of “mambo”
this reverb is acted out physically
the swaying produces the blues feel
I knew just how Charles Ives must have felt
almost like playing on a synth
zoom in on a sound-mass
the romantic paradigm is essentially monolithic
is this a violent gesture?
remember MY father’s reaction
they ARE grotesque!!!
the final parameter of serialism
is physical impracticality
what’s the primal layer though?
if that’s the message, what’s left???
why do I like apocalyptical terrains?
we’re not told what will happen between them,
but it’s pretty bad
Cassavetes is about to get REAMED OUT by his wife.
ok, we have the storybook ending
the playwright has been fucked over
it went over wonderfully on the audience
in order to be creative, you have
to mutilate the work of others
dead ends are extremely inspiring
some fake, imaginary “other”
I wasn’t in the best frame of mind
the possibility for harmonic reconciliation
the idea is not to be clever
it had certain problems translating into reality
“unsound” counterpoint
a sicko waltz
i’m often on the floor, kneeling
three times the whole thing trips over itself
something has been lost in the transfer
lots of rag attitude
lightning in the background and spooky
mad scientist effects
you know they happened but WHAT HAPPENED???
you can hit stuff you had NO intention of playing
it always starts with a small deadline
Is my music too avant-garde?
…you have the helfgotts and the
goulds and the jarretts…
I’m being continuously short-changed
of any development
sometimes the body is disposed normally
a kind of carpal-tunnel, tennis-elbow music
that would be the next logical step
as it gradually gets older, fingers get a little tired
does this mimic a traditional process?
something could actually go TOO WELL
is he going to complain like keith jarrett?
does he require applause now?
all these things can be engineered
the lack of confidence is REAL!!!
we shouldn’t have this kind of image
in our living-rooms
in a concert hall, where things like this
aren’t supposed to happen
they ARE there, aren’t they?
the right hand is nothing but confusion
careless work or high revelation?
he plays well but, man!, with the WRONG technique
the piano is the most stationary of instruments, if one excepts the church organ
the chords played are just plain UGLY
the ladies morning musical club would be shocked
you need a kind of semiotic glue
i was lamenting about the fact that maybe the surface was TOO dissonant
call it fauré, call it sorabji
the boogie was deduced as if hiding behind a curtain
this sound mass is not of the Polish-school variety
channel them into a bigger and better counterpoint
you get a kind of involuntary stochastic distribution!
They say it affects the next note. OK!
no suffering, just experimentation
it never really worked in the first place
this whole thing is in really bad faith
they always bounce back to something
equally weird, but different
Mr. Don Music on a WHOLE other existential level
this is the most cardiovascular section
it’s impossible to play “pretty” standing up!
it’s almost a Zen thing…but why now?
it’s never clear why in fact this counterpoint
MUST exist you can tense up at will
i tried to maintain the academic side for
as long as I could
the tranquilizing drugs start to WEAR OFF??
something really bad just happened to the structure
this is great material, but not here
of no “contextual“ value whatsoever, in other words
totally unqualified for entrance
we’re at the end of a medicated séance
looking at the keys from the depression angle
it’s good when things go “in and out” that way,
rather than a one-way deterioration
still, the goal is to produce the counterpoint.
gestures fly everywhere.
it’s like Francis Bacon stating that the swastika
was there just to provide a color contrast
you think it’s over and then, “bang!”…another
visionary harmony
he can’t recover now, can he?
a few minutes ago it looked like curtains for this dude
with the grandmal seizures
even felt some sleep coming on as I was doing it
you’re not allowed to become remotivated
try to really get the romantic thing going
almost as if clarity is being avoided at all costs
they creep out and spook the whole texture
you’re de-evolved to practically nothing — UH-OH!!!
i thought later that this was a kind of “country music”
…really easy going
all alone, wanking off to the whirring
of his own fantasies
the dream has ended and you have to deal with that
life is one big seized-up MESS…no way out.
Memories of Overdetermination
(Sedimental Education)
a betrayal of material
a subversion in order to get inserted into
the “canon” ASAP
packaging my own music in a commercially
acceptable way
remixing? more like DE-mixing!
titillating rhythm
the dumbing-down of material
cop-out solutions
weird self-fulfilling popularity /
mass marketing fantasy
sick concessions to intelligibility
done with a sick heart and bad conscience
Ostranenie.
yanked out of the “canon” wholesale
more synthetic, plastic and more insertable
a music which exists in the ineffectual zone
musak-like substance, almost Indian-raga
meditative but also dangerous
remember those religious condemnations
of backwards-masking in rock and roll
which made an impact on me in 7th grade…
what a turn-on!!
confusing each other mutually
are they friends or foes???
make the backwards-ness the subject of the thing
play into the satanic-religious side of it
using the most basic techniques of “manipulation”
traditional music pronounced badly
the performer has now been absorbed
into the weirdness
it’s like talking to someone who you
don’t know that well
the patina is always on the verge of detaching itself
this almost makes him feel competitive and
the Beethoven comes out of that
getting in the way of the performer’s persona
yes, in a clichéd layer-revealing sense
as if a mechanical piano pedal pressed down
regularly but nervously
continuous rotating squabble
without “distortion”…the man-made kind, of course!
some kind of “Mahler Adagio” (???)
in the background of all this CRUD,
STALACTITE material
it’s almost an accident that this kind of thing
could be revealed in the first place
“zero-in” on detail and clog-up with reverb
layering (piling up) until its “mambo-ness” is annulled
but it should always be FLAT
the pianist might almost be “incidental” to the action
AWOL, MIA, picking his nose unawares
the Hindemithian neo-classical and its backwards
subversion
the ultimate desire for conformity
seeing what you want to see, hearing what
you want to hear
The Social Climbing of an Ordinary Material
But he works very much in the dark.
actual words, not moaning grunting à la Jarrett
the baroque infatuation
These are lofty subjects.
sort of an “erasable” mambo with lots
of incidental harmonic activity
the two yin and yang Nudist materials
DUB: muddy sound
the CD should occasionally be “badly made”
the murder of mediatized reality
parallels between the actual videoed burglary
and the musical burglary in progress
block the video proceedings physically
you can take out the external noises and amplify them
EXISTENTIAL slithers in rather larger units
ultimately shifty, incredibly intelligent and manipulative
instructions remains hopeful and naive
and somewhat puritanical
the air-raid siren in Jabbering-Sousa
Sensuality is important to me…but contextualized
That doesn’t mean you can’t be bluffed
through the nose
the victim of a serious cover-up
working with digital tools is somewhat
like sculpting anyway I amplify its anonymity to drastically
exaggerated proportions
an epigrammatically elusive statement
a strange unexplainable ICON
a nondescript picture
Anonymously pompous
(It’s my first orchestra piece.)
It’s just a strange little construction,
which happens and then goes away.
“This is what’s gonna happen, folks!!”
an Oliver Twist sort of story
My dreams are often geographical
some concrete, basement-like structure,
painted white walls, pipage everywhere
Concert ritual does involve after all,
a before and after too.
the dreams one has for greatness
making a mountain out of a molehill
Of course it won’t happen in any kind of traditional
proliferation technique.
Frankly, Part I just exposes these potentials and
it doesn’t amount to much.
the performer repeatedly demonstrates his
“ABILITY” (or “TALENT”)
(this could also include some picnic materials
in a sub-strata level)
it really is background music for a
Public Service Announcement
the idiosyncrasies of Bacharach especially would
be leveled out, flattened
That doesn’t sound like much of a tribute, put like that!
Even his saddest songs are upbeat
If you begin distorting tempo, you get something
quite removed from Bacharach
something rather less positive
just below the threshold of “sprightliness”
You know…quick is positive, slow is negative?
forcing one category into another
remove the defining characteristics of a thing
and then examine what you’re left with
He seems to be steering Bacharach towards
the darker side
he amplifies everything, pulls every emotion
to its breaking point
until you eventually wind up with the vocals
and the stand-up routine
Material doesn’t matter
But we know now that even the drone isn’t rock-bottom,
it’s actually copyrightable
This material wasn’t meant to emanate from that piece
in that re-contextualised bubblegum way.
it’s reformatting itself down to the original idea
these private moments which no-one
was ever meant to see
there certainly isn’t enough humor in today’s music
I’m fed up with what Grant Applications
force me to do with my work
Maybe a kind of novella? A tract? A love story?
I like that moment in What the World Needs Now,
where you only have the piano chords
ABSOLUTELY NO DIALECTIC.
short barrages of destroyed soundfiles
the Gamelan reality
like playing on a synth
backwards versions of all this material
“mocking the mud”
Can do the Serial Satire!
the so-called “deconstructed mambo“ material
this is the third level of material
Forget incorporating that into the tape part.
The primeval goop
which seems impossibly essentializable
(But wait!)
It’s not a good place to be in.
What I DON’T WANT is some kind of pseudo
Reynolds-like über-structure
avoiding dealing with others head-front
he can do things really proficiently, but chooses
not to sometimes
…or is he just a bad pianist…
a really broad satire on IRCAM
which is why The Wrong Technique can happen
It couldn’t be a worst time to be centrestage
Make no mistake: this entire piece is also a metaphor
what community I have I’m about
to completely alienate
That doesn’t make those little incremental steps
any easier to swallow.
he’s really the little commercial devil inside all of us
The fact is, I always consider selling out but with clauses
(which would still allow me to make my statement
about selling out)
completely acceptable, but completely WRONG
an elaborate SEDUCTION sequence
an incredibly creative, sleazy, manipulative,
charismatic, persuasive SEDUCTOR
an unwitting modernistic, intense,
“artistic” SEDUCTEE
confused as to his veritable purpose in life
Maybe it’s really only MUD. And mud eventually
washes away…it is only dust.
pentimento green-curtain multileveled language
it’s like my bread and water
I could live on it forever, at least I think I could
I’m actually considering though dropping
the whole schtick
never looking the material straight in the eyes
which play are you talking about?
Refusal to follow through on anything
Sliding down this irredeemable, entropic path
towards diversity again?
his reluctance to package himself is funny to watch
he doesn’t care about the Bumblebee
just working through the changes man
take THAT, David Mamet!
the pedal-blues is pleasant enough
the pedal sound is so much more interesting than
what he’s doing underneath
redoing the “mud of Ives mambo”
like making fun of a cripple basically, that BASE.
He’s just too stuck in his ivory tower
to begin understanding
what it means to “reach out commercially”
this work is not so NEGATIVE after all
his first attempts are painfully awful
coming to life is a violent thing, no?
The CD becomes intensely pushy
though he’s REALLY charismatic
maybe he’s not all that BENEVOLENT
a register which no-one can hear anyway
(my preferred register)
come with me, I’ll show you a whole BAG of tricks
you can use to get into the groove, bud.
transpose way down some chorale material
Give up dude. Whatever you can do, I can do better.
But listen, have I got a whole array of goodies for you
that you can use!
he’s really an impotent dude who flashes his lights
and effects
but really is a PHONY
He can do the really obvious magic tricks
Me and Prospect Down By the Schoolyard.
This paradigm shift on the part of the pianist…
is it healthy?
Look at how stupid he looks!
devoid of any kind of REAL commercial manipulation
Dark or light? Hard to say.
you need an instructions sheet to figure out what to do
with this raw choral material
The weird shit you can make with LEGO
the preplanned condos they set out for you
liking the wartime devastation, thinking
these ruins are beautiful.
building is better, just build, build, build,
forget the past, let ruins decay
can make noise out of a file if the window is small enough
this is an unsanctioned version of
the Theatre of Eternal Music
this makes the pianist want to GO FOR
the big gesture
“OK, bad example” — lemme try something else
on yah“
chipping away at his block of granite
“is modernism the only way to be truly alive??”
it’s really a private RITUAL, which you (the audience)
are not invited to
There should always be a “Laurel and Hardy” side
Start having a good time
a whole lotta nothing, just to get the piece going
in the right direction
just like all those bad salesmen
in the way their stressed-out defeated
soul radiates outwards
See, the CD wants to commercialize the pianist.
always looking out for what’s “best” for his kid
what I do is completely inconsequential
and deliberately anti-social
I am happy in the dark chipping away at my reality
look at the misfit, the mutant in front of you
trying to be polite, social
if anyone were interested enough to ask,
which I can’t assume they are unfortunately
The CD’s frequent boring attempts
he is essentially good, but misled
He is like a parent, come to think of it: he wants
what he never had.
his reality is STILL good!
you either melt or you get the fuck out and fast
The pianist makes the bad decision to jump in
but is it truly bad?
chipping the modernist marble
“And where are we, but further into this morass…”
this could mean a LOT of transposition
you can USE this, not be used BY it
getting lost in the implications
come on, that’s not really how it happens!
two types of attention manipulation
run of the mill stylistic cereal-box-toys
He’s concentrated, you’re not…your society forbids it
it’s a REAL STRUGGLE
we’ve been faked to the hilt by now
just a bunch of singles floating along
it was at the beginning of my experiments with
bodily impulses
I think you really can hear the conventional
sonata-form
…with CODA tagged on at the end
I think you could also tag “modern” onto it
sensitive dependence on initial conditions maybe?
where the Prayer musics can coexist
don’t do this for EVERY Bacharach tune
the computer who loses his temper, gets pissed off
loses his usual Zen demeanor
his shiftiness oozes out uncontrollably
I have a real alchemical perspective on material.
Anything can be transformed into gold….
or shit if that’s what you’re into.
They hit you regardless of what they’re made of
19th century European baloney
personalized, monogrammed material
I think he called them “waves” or something
the one that you have at the grocery store
my materials are not worth talking about
it wears it on its sleeve in a very macho way
finding your “voice” and other such cliches
there is sort of a climax about 3/4 of the way through…
the “ragtime”
he continues plodding along with his David metaphor
But he IS taking it in!
The pianist really takes the CD seriously
more meta-structure…as if we really needed any
A whole miniature city preserved in formaldehyde.
WHAT is going on in that little sub-neighborhood?
Ominously lit school buildings.
What is “The Boulevard”??
were wars fought on that grassy knoll?
It’s limiting, but in the way I want it to be.
within the Ladies Morning Musical Club for instance
where they would probably all be throwing up
in the first 10 minutes
or vacate the premises.
the outward-demonstrations of Zorn
a strait-jacketed, suit-attired “concert pianist”
who may or may not have some serious impediments
It’s a counter-paradigm work.
I made sure it always happened within a glorified,
ecstatic context.
Victo is no different from the Ladies Morning
Musical Club
Concert music is dead! Dead as a doornail.
More power to those who DON’T
understand something!
The Brahms audience had to basically
doubt everything they heard
clearly fake emotional displays are almost
universally rejected
the insincere paradigm, which occurs repeatedly
in counterpoint
The two are not synchronized,
they fall apart constantly
What about oral tradition? Answer: it takes time.
I’m much more interested in blurring boundaries
who is this person on stage in front of you?
Down with well-oiled systems!
Sure, they can be useful. But now we have DVD.
But the polemics continue…
and the resistance is ever present
PART I is almost a thesis-defense!
but tainted by showmanship
an entropic mudslide away from his potential client
If I could, I would forever live on that mudslide.
It’s a great place.
“did I just have a stroke or did the lights
really go down?”
you get the whole piece for a song actually…
getting absorbed into preexisting strategies
When did concert music die?
I always take the path of MOST resistance
like your mind is turning to sludge
it’s the zapper’s nightmare
it’s like he’s been patient for so long
and then he shoots his wad all at once,
wastes everything.
covering up his embarrassing activities of the last
20 minutes
We’re talking content again.
Then the message becomes “expressive” and
“descriptive”…and “programmatic”
the composer is trying to put one over on you
McLuhan anyone?
dumbed-down for your average Joe…who by the way
isn’t that stupid
not a trap door into a mollycoddling environment
Once you step on stage you’re committing
a political act
whether you LIKE it or not
inhabitants of another century
the screeching car noise / ventilation system
of the Disabled School
I cringe at the tactics that this salesman is employing.
But OK, the pianist IS advocating!
yes, maybe I AM the salesman…or perhaps
I was once the pianist.
(October 2001)
De l’art pour la fin d’un monde:
Éléments pour une politique de la contraction
«Deux tâches du début de la vie: rétrécir toujours plus ton cercle, et revérifier toujours que tu n’es pas caché quelque part hors de ton cercle.»
— Kafka
1
La pratique artistique contemporaine se conçoit aisément comme une forme d’ascèse ou un exercice de mise en consistance de soi. Dans sa grande étude sur les formes de l’ascèse contemporaine ou de «la vie en exercice» intitulée Tu dois changer ta vie, Sloterdijk par exemple qualifie les pratiques artistiques de tentatives sans cesse répétées de «somatisation de l’improbable» et insiste sur leur dimension contre-naturelle ou «acrobatique» (l’acrobate, c’est littéralement celui qui marche sur la pointe des pieds).
L’artiste contemporain se présente ainsi, aux côtés de l’athlète de haut niveau, comme une figure de mise sous tension existentielle et de mise en œuvre de soi qui se passe du recours à quelconque forme de transcendance – un praticien postmétaphysique de la «verticale sans Dieu 1.» Un autre bonze du ZKM de Karlsruhe (Zentrum für Kunst und Medientechnologie), Boris Groys, aborde la question de l’art de manière fort similaire, c’est-à-dire par le biais de sa dimension éthopoïétique et anthropotechnique. De «l’obligation au self-design» à l’impératif de «production de sincérité», Groys s’applique à penser comment l’artiste contemporain est essentiellement engagé dans un processus d’autoproduction de soi, lequel le fait apparaître comme pure subjectivité ou incarnation d’un vide (Agamben parle en ce sens d’ «artiste sans contenu»). De fait, ses analyses visent chaque fois à présenter la production artistique comme pratique de délimitation active – design – d’un monde, monde dont il cherche à nous faire éprouver la courbure interne ou «historique». Prenons ses remarques les plus récentes sur le design de l’âme moderne: si avec la mort de Dieu, le design est devenu le medium de l’âme comme le soutient Groys, alors l’artiste designer moderne, paradoxalement, devient une sorte d’agent de révélation apocalyptique :
«Le designer moderne n’attend pas que l’apocalypse ôte l’enveloppe externe des choses et les montre telles qu’elles sont. Le designer veut ici et maintenant la vision apocalyptique qui fait de chacun un Nouvel Homme. Le corps prend la forme de l’âme. Tout devient céleste et divin. Les cieux deviennent terrestres, matériels. Le modernisme devient absolu 2.»
Groys va plus loin, et parachève sa surprenante caractérisation de l’artiste contemporain comme designer de l’âme en le chargeant, dans le sillon de Benjamin et d’Agamben, d’une «faible» force messianique :
«L’artiste d’avant-garde est un apôtre sécularisé, un messager du temps qui amène au monde le message que le temps se contracte, qu’il y a une rareté du temps, voire un manque de temps. (…) La visibilité de l’art contemporain est une visibilité faible, virtuelle, la visibilité apocalyptique du temps qui se contracte 3.»
Dans la foulée de cette caractérisation étonnamment spiritualisante de l’artiste contemporain, les questions que j’aimerais poser dans le cadre de cet article pourrait se formuler ainsi : qu’en est-il de notre puissance de contraction temporelle localisée? Comment traçons-nous les lignes par lesquelles nous faisons monde? Ou encore: dans un monde qui ne jure que par l’ouverture individuelle, comment s’éprouve et s’élabore la nécessité d’une clôture-qui-intensifie en commun? Comme le souligne Jacob Wren dans son manifeste sur la profonde ambivalence et la confusion dans laquelle nous nous trouvons concernant le rôle et la fonction de l’art, manifeste publié dans ce même numéro inaugural du Merle, une des tâches essentielles qui s’impose à nous à ce moment donné de l’histoire est de constituer, aussi intimement que possible, la question de notre vulnérabilité. C’est dans cette perspective que seront alignés les quelques fragments de pensée qui suivent sur les thèmes de l’ascèse, de la clôture, de l’art et de la contraction.
2
Commentant les techniques magiques employées par les sorcières néopaïennes afin de se constituer en force active, Isabelle Stengers soulignent qu’elles ont (ré)appris «la nécessité de tracer le cercle, de créer l’espace clos où puisse être convoquées les forces dont elles ont un besoin vital 4.» Cette manière de penser la production d’une localité matérielle et transindividuelle entre en résonance avec le travail de Foucault sur les modes du souci de soi dans l’antiquité. Foucault observe en effet que «ce n’est pas en tant qu’être humain en tant que tel, ce n’est pas simplement comme appartenant à la communauté humaine, même si cette appartenance est très importante, que le souci de soi peut se manifester, et surtout qu’il peut se pratiquer. Il ne peut se pratiquer qu’à l’intérieur d’un groupe, et du groupe dans sa distinction 5.»
J’écris ces lignes au petit matin. La ruelle de la rue Hutchinson est gorgée d’une lumière automnale et cristalline, et je me prends à espérer que Le Merle et son lectorat discriminant et sophistiqué ( ! ) puisse être envisagé comme collectif suffisamment dense et distinct pour donner lieu au genre de travail spirituel et éthique auquel Foucault fait allusion. Quelque chose comme la joie de se donner du temps; tâche politique et collective primordiale, non? Dans la mesure où l’on conçoit le politique comme un degré de contraction dans l’élément éthique, est-ce que toute ascèse n’implique pas ultimement un monde qui, avec elle, se contracte et prend forme? Je pense à cette magnifique parole d’Artaud qui dit : «Mais je me serai tout simplement évité d’être malade, et avec moi, tout un monde qui est tout ce que je connais.» Pure pensée du milieu et de la puissance transindividuelle localisée – pour qui pense par le milieu, il n’y a que du local. Joie.
3
L’ascèse comme contraction suppose un processus de fermeture autopoïétique. Problème politique de la clôture, ou de l’étanchéité relative d’une forme-de-vie. Dans une perspective vitaliste, certains préfèreront éviter le concept de forme, qui renvoie à un dualisme plus ou moins statique avec la matière 6. Commentant Bergson, Deleuze décrit ainsi l’échec relatif que constitue chaque forme matérialisée : «La vie comme mouvement s’aliène dans la forme matérielle qu’elle suscite; en s’actualisant, en se différenciant, elle perd ‹contact avec le reste d’elle-même›. Toute espèce est donc un arrêt de mouvement; on dirait que le vivant tourne sur soi-même, et se clôt 7». Dans la question de la clôture, se joue pourtant celle du devenir et des différents passages sur la ligne, passages où «l’événement s’effectue sur sa pointe la plus resserrée (…) point mobile et précis où tous les événements se réunissent dans un seul [où] s’opère la transmutation 8.» Dans une perspective immanentiste, et selon la situation ou les penchants qui nous affectent, nous aurons tendance à plus ou moins insister sur la contraction politico-existentielle inhérente au passage sur la ligne, ou inversement, à célébrer l’événementialité sans cesse renouvelée des processus potentiels d’émergence. Une inclination sans doute guerrière m’amène à mettre l’accent sur la dimension éthopoïétique du devenir, sa composante sédentaire et localisée, au risque de me broyer sur le déjà constitué – claustrophobie infernale qu’on pourrait traduire en chinois par 无 间 道, wu jian dao, le 8ème et dernier des enfers chauds bouddhistes, littéralement «la voie sans issue» ou «sans interstice». À l’autre extrémité du spectre, on trouverait peut-être quelque chose comme une «théologie du Process» selon l’expression consacrée, qui propose une conversion cosmologique dont les maîtres-mots sont ouverture, créativité, nouveauté et émergence 9. En fin de compte, tout dépend si l’on insiste davantage sur la description plus ou moins spéculative des potentialités de l’élan vital et ses multiples inflexions, ou sur l’effectuation des processus de passage et de mise en consistance.
Incidemment, le mot «devenir» en chinois, 变 成 biancheng, intègre parfaitement les deux pôles de cette alternative. Le premier caractère exprime l’idée d’un changement, d’une variation, d’une transformation. Il entre par exemple dans la composition du mot «caméléon». 成 cheng pour sa part suppose toujours un processus, qu’il parachève; il signifie l’accomplissement d’un devenir, sa venue à terme, sa mise en consistance effective. En chinois, 成 cheng entre dans la composition de mots tels que «adulte», «mûr», «dicton» (成语, cheng yu, un « dire constitué »), «succès»; pour dire qu’un accord est passé entre deux individus, on peut aussi s’écrier cheng le!, «it’s a deal!». Grammaticalement parlant, cheng constitue – et cette formulation ne peut que nous convenir – un complément de potentialité.
4
Dans la conclusion d’Image-temps, Deleuze oppose l’image-temps et la fabulation créatrice au domaine de l’information. Étonnamment, cette opposition est placée sous le signe de la rédemption : «La rédemption, l’art au-delà de la connaissance, c’est aussi bien la création au-delà de l’information 10.» Ce passage trouve un écho plutôt étrange – pour ne pas dire apocalyptique – vers la fin de Différence et répétition, dans lequel la plus haute possibilité de l’art est définie comme la production d’une répétition ou contraction, c’est-à-dire «une liberté pour la fin d’un monde.» Incidemment, lorsqu’ils veulent discréditer la portée politique de la philosophie deleuzienne, Peter Hallward considère l’idée de contre-effectuation et l’appel à un «peuple à venir» comme des gestes rédempteurs, et Jacques Rancière décrit l’histoire du cinéma selon Deleuze comme «l’histoire d’une rédemption». Dans les deux cas, rédemption renvoie péjorativement à un mouvement de rupture hors du monde et une forme de passivité apolitique, dans une tentative pour réduire Deleuze à n’être qu’un simple penseur spirituel dont la pensée se résumerait en somme au renouvellement de cette «intuition orientale» que Hegel a cru un jour repérer dans la philosophie de Spinoza. Dans la conclusion de Out of this World: Deleuze and the philosophy of Creation, Hallward affirme sans ambages “qu’en posant la question du politique dans les termes apocalyptiques d’un nouveau peuple et d’une nouvelle terre, les aspects politiques de la philosophie de Deleuze ne valent guère que comme distraction utopique 11. Pour Hallward, la philosophie deleuzienne doit ultimement être comprise dans l’optique d’une renaissance tardive d’une conception post-théophanique de la pensée, c’est-à-dire, une conception du monde dans laquelle Dieu s’exprime dans toute chose, et toute chose est une expression de Dieu 12.
Jusque dans une certaine mesure, je suis d’accord avec Hallward sur le fait que la politique deleuzienne suppose et implique une composante apocalyptique. Mais au lieu d’interpréter ces passages dans le sens d’une dissolution utopique et éthérée, je crois plutôt qu’il faut les lire en termes de contractions (in)temporelles. Rédemption? Une limite advient – et dans son tracé, la possibilité d’un devenir-ligne. En ce sens, et dans la mesure où un «peuple à venir» est en jeu (il faut entendre la dose d’intériorité commune que l’expression implique), je dirais que, suivant la distinction posée par Agamben dans Le temps qui reste, le mot «messianique» est plus adéquat que celui d’ «apocalyptique» pour décrire ce processus de contraction liminale temporelle. Car ne sommes-nous pas ici confrontés à la nécessité d’une image-temps, c’est-à-dire, non pas d’une image de la fin des temps (l’apocalypse proprement dite), mais plutôt une image qui porte le temps (chronologique) à une fin – un temps messianique ou contracté conçu précisément comme le temps que l’on se donne pour réaliser (collectivement) une image-temps? Dans cette optique, le problème du croire au monde devient politiquement crucial et ne devrait pas être confondu avec une quelconque pratique simplement volontariste. Il en va de la manière dont une valeur ou une image est introduite dans le monde, ou en d’autres mots, comment un certain mode d’existence est intensifié et amené à sa limite créative. Croire au monde constitue une opération indistinctement active et passive: contempler – et être contracté. Car croire au monde, croire dans ce monde-ci, requiert d’en envisager une fin singulière – son éternel retour, dans le vocabulaire de Différence et répétition. Une fin singulière ou imaginale donc, de telle sorte qu’«enfin la Différence s’exprime, avec une force elle-même répétitive de colère, capable d’introduire la plus étrange sélection, ne serait-ce qu’une contraction ici ou là, c’est-à-dire une liberté pour la fin d’un monde 13.»
5
J’aime ce passage dramatique et relativement méconnu de l’œuvre de Deleuze parce qu’il permet d’articuler un contraste fort avec une tendance omniprésente chez plusieurs de nos contemporains, en particulier en Amérique du nord, c’est-à-dire la tendance à devenir une belle âme libérale, cosmopolite et ouverte sur le monde. Il est facile en effet de se figurer cette inclination si pressante à se maintenir dans la plénitude du virtuel et à célébrer abstraitement la multiplicité des devenirs, reprenant parfois à son compte une version vulgaire et étrangement désincarnée du plaidoyer passionné de Deleuze et Guattari pour la déterritorialisation et la production nomade de subjectivités.
Deleuze lui-même n’était pas sans méconnaître ce danger qui plane sur sa philosophie de l’affirmation et de la pure différence. Dans l’avant-propos de Différence et répétition, il sert en effet une mise en garde qui, à plus de 40 ans d’intervalle, s’avère plus ajustée que jamais :
«Il y bien des dangers à invoquer des différences pures, libérées de l’identique, devenues indépendantes du négatif. Le plus grand danger est de tomber dans les représentations de la belle âme : rien que des différences, conciliables et fédérables, loin des luttes sanglantes. La belle âme dit: nous sommes différents, mais non pas opposés 14…»
Inutile de s’étendre sur comment une compréhension vulgaire de la philosophie deleuzienne de la différence peut rapidement se confondre avec le libéralisme existentiel ambiant, avec son esthétique relationnelle tout sourire et son impératif économique de communication; ou comment la reprise de la critique nietzschéenne du ressentiment puisse peu à peu devenir indiscernable de la promotion managériale et psycho-pop de la pensée positive et son horreur de toute forme d’expression de négativité. Ici, on ne peut s’empêcher de penser à Zizek et sa fameuse caractérisation des Nord-américains comme «natural-born deleuzians», écorchant au passage yuppies et autres hipsters du capitalisme global en perpétuel décalage esthétique vis-à-vis leur propre présence. «Je ne suis pas vraiment qui tu crois, tu sais», susurre la créature métropolitaine, tout en se déconstruisant dans votre lit…
Deleuze conjure le danger de la belle âme en renchérissant non seulement sur le pouvoir affirmatif, sélectif et potentiellement agressif de la différence, mais aussi en invoquant la puissance contractive de la colère politique. «Nous croyons que, lorsque les problèmes atteignent au degré de positivité qui leur est propre, et lorsque la différence devient l’objet d’une affirmation correspondante, ils libèrent une puissance d’agression et de sélection qui détruit la belle âme, en la destituant de son identité et en brisant sa bonne volonté 15.» Ultimement, ce potentiel politique de la colère tel qu’envisagé dans la philosophie deleuzienne de la différence a un nom propre : Marx. «Évidemment la philosophie de la différence doit craindre ici de passer dans le discours de la belle âme : des différences, rien que des différences, dans une coexistence paisible en Idées des places et des fonctions sociales… Mais le nom de Marx suffit à la préserver de ce danger 16.»
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Au cœur du problème de la contraction et du croire au monde, de l’ascèse et du passage sur la ligne, travaille une sourde insistance matérialiste – l’exigence (littérale) d’entrer en matière. On pourrait dire que contracter une image de la pensée et l’agencer avec la puissance d’un croire, c’est précisément définir un certain mode d’entrer en matière et / ou en relation avec le Dehors. Ou pour le dire autrement: chaque image de la pensée configure une disposition subjective particulière et engage une mise sous tension existentielle, une verticalisation, un style propre. En guise de conclusion, j’aimerais caractériser plus finement le danger de la belle âme, son désir d’ouverture et sa proverbiale « bonne volonté » par le biais d’un contraste entre deux manières diamétralement opposées de penser/imaginer l’expérience du dehors et de la plongée chaosmotique. Sur un mode pseudo-shakespearien, l’alternative pourrait se formuler de la manière suivante : s’ouvrir, ou être ouvert? Dans «être ouvert», il faut entendre l’action d’un agent venu du dehors : être ouvert comme une canne de conserve, ou comme la poitrine d’une volaille sous les griffes d’un oiseau de proie 17. L’alternative renvoie au lieu par excellence de l’ambivalence des descriptions mystiques, le point d’inversion entre objet et sujet où action et passion entre dans une zone d’indiscernabilité. On sait combien Deleuze affectionne ces seuils impersonnels, où une vie «à la quatrième personne du singulier» se manifeste et où l’on plonge dans le vif de l’anonymat. Pour qui s’agrippe fermement aux pouvoirs de la raison-qui-ordonne, cette zone paradoxale apparaît sans doute comme une malheureuse «mystification»; mais je crois au contraire qu’on peut l’envisager d’une manière tout à fait rationnelle et heuristique, c’est-à-dire comme pointe moteur d’une investigation bien menée sous le radar des représentations – du bon usage du paradoxe 18.
Prenons donc Jane Bennett et William Connolly. Ces deux amis de longue date et figurent respectées de l’académie post-deleuzienne américaine viennent tous deux de publier deux ouvrages remarquables et lumineux, respectivement Vibrant Matter et A World of Becoming. Chacun à leur manière, avec sagesse et recueillement et sur un mode résolument libéral, Bennett et Connolly décrivent la beauté du plurivers duquel nous faisons partie et nous invitent à être plus ouvert et sensible à la complexité du monde qui nous entoure. Pour Connolly, le but d’un tel exercice spéculatif consiste ultimement à nous «rendre plus alerte à notre modeste participation dans un monde bien plus grand que nous de champs de forces animés d’une réelle créativité. De tels processus contribuent à mobiliser actions et sensibilités éthiques et – lorsqu’amplifiés par une micropolitique – infusent d’une manière ou d’une autre l’ethos politique encastré dans les paramètres institutionnels donnés 19.»
La métaphore de l’infusion micropolitique suggère efficacement le type de délicatesse éthique invoquée par Connolly et les tenants d’un réalisme immanent, une ouverture subtile au monde et aux non-humains qui le composent qui mènerait potentiellement à une modification en profondeur de nos manières de faire de la politique. De même, pour Jane Bennett, les descriptions de phénomènes aussi divers qu’une panne d’électricité, l’obésité morbide ou l’action des vers de terre dans l’optique d’une écologie politique visent à explorer «les conséquences d’une “(méta)physique de la matérialité vibrante pour la théorie politique 20.” “L’ambition naïve” du matérialisme vital dont elle se réclame se traduit ultimement par un travail éthique sur soi afin d’améliorer notre capacité à “détecter la présence d’affects impersonnels”, ce qui concrètement, implique de mettre en suspens une certaine tendance à la critique et à la suspicion et d’adopter un mode de présence au monde plus ouvert – « to adopt a more open-ended comportment 21.» Cet appel à une plus grande ouverture sensible et à une culture de soi finalement très près des idéaux d’un Mencius se présente comme une alternative positive à la politique du ressentiment qui fait des ravages depuis plusieurs années déjà sur le plan macropolitique en Occident, et aux États-Unis tout particulièrement. Connolly est celui qui va le plus loin dans cette direction, engageant même un dialogue fort intéressant avec Charles Taylor et les tenants d’une spiritualité de la transcendance radicale : «trop d’adeptes de la transcendance radicale, peut-être impressionnés par la puissance productive de la transcendance telle qu’ils en font l’expérience, perdent de vue le type d’intensification spirituelle que nous [réalistes immanents] éprouvons. C’est bien dommage, car c’est précisément à la jonction des partisans généreux des deux traditions que pourraient s’engendrer des agencements politiques positifs 22.»
D’une certaine manière, Connolly déplore le manque de générosité épistémologique de la plupart des personnes engagées dans la voie de la transcendance radicale, laquelle, pourrions-nous dire, insiste davantage sur l’être-ouvert par (pensons à la question de la grâce pour les Chrétiens, par exemple, ou de la prédestination dans l’Islam). Il aimerait les voir plus enclin à s’ouvrir à un dialogue interconfessionnel concernant les modes d’expérience des moments de «durée féconde». Difficile de remettre en cause la bonne foi et le caractère profondément civilisateur de l’approche de Connolly. Et pourtant, je ne peux m’empêcher d’éprouver un certain malaise en lisant sa doléance: comme s’il ne faisait en somme que réitérer une exigence toute libérale, une disposition existentielle qui se voudrait analytiquement intouchable : être-plus-ouvert.
En guise de réponse à Connolly, ou plutôt, afin de mettre davantage l’accent sur les exigences pratiques liées au type d’ascèse propre à nous faire véritablement entrer en matière et/ou au dehors, j’aimerais conclure en laissant la parole à Reza Negarestani, lequel, dans son ouvrage Cyclonopedia : Complicity with Anonymous Materials, déploie un arsenal conceptuel matérialiste post-deleuzien aussi récalcitrant ou irréductible que possible – et c’est vraiment peu dire – au genre de matérialisme libéral vibrant et bien-pensant promu par Bennett et Connolly. Une fiction-jihad über-paranoïaque ancrée dans l’horreur d’un Islam apocalyptique et qui a sa petite idée sur ce que ça peut bien vouloir dire, être ouvert au – ou plutôt par – le monde…
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Openness is certainly not made for social dynamics or lifestyles instrumentalized within liberal societies. Openness is what turns the very body of the free world upside down throughout human history. (…) Openness can never be extracted from the inside of the system or through a mere voluntary or subjective desire for being open. Openness can never be communicated by liberalism (not to mention the “free world”). (…)
Openness is not ultimately, so to speak, the affair of humans, but rather the affair of the outside (…)
Openness comes from the Outside, not the other way around. Nietzschean affirmation was never intended to support liberation or even to be about openness at all. It was an invocation of the Outside (…)
Radical openness has nothing to do with the cancelation of closure; it is a matter of terminating all traces of parsimony and grotesque domestication that exist in so-called emancipatory human openness. The blade of radical openness thirsts to butcher economical openness, or any openness constructed on the affordability of both the subject and its environment. The target of radical openness is not closure but economical openness.
Radical openness devours all economic and political grounds based on “being open”. (…)
Economic openness is not about how much one can be open to the outside, but about how much one can afford the outside. Therefore, openness, in this sense, is intrinsically tied to survival. (…) “Being open” is but the ultimate tactic of affordance, employed by the interfaces of the boundary with the outside. (…) Affordance presents itself as a pre-programmed openness, particularly on the inevitably secured plane of being open (as opposed to being opened). (…)
“I am open to you” can be recapitulated as “I have the capacity to bear your investment” or “I afford you”. This conservative voice is not associated with will or intention, but with the inevitability of affordance as a mesophilic bond, and with the survival economy and the logic of capacity. If you exceed the capacity by which you can be afforded, I will be cracked, lacerated and laid open. Despite its dedication to repression, its blind desire for the monopoly of survival and the authoritarian logic of the boundary, the plane of “being open to” has never been openly associated with paranoia and regression. Such is the irony of liberalism and anthropomorphic desire. (…)
To become open or to experience the chemistry of openness is not possible through “opening yourself” (…) but it can be affirmed by entrapping yourself within a strategic alignment with the outside, becoming a lure for its exterior forces. Radical openness can be invoked by becoming more of a target for the outside. In order to be opened by the outside rather than being economically open to the system’s environment, one must seduce the exterior forces of the outside: you can erect yourself as a solid and molar volume, tightening boundaries around yourself, securing your horizon, sealing yourself off from any vulnerability… immersing yourself deeper into your human hygiene and becoming vigilant against outsiders. Through this excessive paranoia, rigorous closure and survivalist vigilance, one becomes an ideal prey for the radical outside and its forces 23.
- Peter Sloterdijk, Tu dois changer ta vie. Maren Sell, Paris, 2011, p. 62→
- Boris Groys, Going Public, Sternberg Press, Berlin, 2011, p. 27→
- Boris Groys, Going Public, p. 108; 118→
- Isabelle Stengers, La sorcellerie capitaliste, La découverte, Paris, 2007, p. 187→
- Michel Foucault, L’herméneutique du sujet, Gallimard-Seuil, Paris, 2001, p. 114 (je souligne).→
- Pour une généalogie des interprétations «gauchistes» et «droitières» du schéma hylémorphique aristotélicien, voir Ernst Bloch, Avicenne et la gauche aristotélicienne, Premières pierres, Saint-Maurice, 2008→
- Gilles Deleuze, Le bergsonisme, PUF, Paris, 2008 (1966), p. 108→
- Gilles Deleuze, Logique du sens, Éditions de minuit, Paris, 1969, p. 175, 179→
- On trouve une expression passablement caricaturale, mais néanmoins indicative, de «l’appel» du virtuel à la toute fin du livre Qu’est-ce que le virtuel? de Pierre Lévy: «Tendez l’oreille à l’interpellation de cet art, de cette philosophie, de cette politique inouïe: “êtres humains, gens d’ici et de partout, vous qui êtes emportés dans le grand mouvement de la déterritorialisation, vous qui êtes greffés sur l’hypercorps de l’humanité et dont le pouls fait écho à ses géantes pulsations, vous qui pensez réunis et dispersés parmi l’hypercortex des nations, vous qui vivez saisis, écartelés, dans cet immense événement du monde qui ne cesse de revenir à soi et de se recréer, vous qui êtes jetés tout vifs dans le virtuel, vous qui êtes pris dans cet énorme saut que votre espèce accomplit vers l’amont du flux de l’être, oui, au cœur de cet étrange tourbillon, vous êtes chez vous. Bienvenue dans la nouvelle demeure du genre humain. Bienvenue sur les chemins du virtuel!» La découverte, Paris, 1995, p. 146. Appel du virtuel auquel on serait tenté de répondre, – irrémédiablement ancré dans la «vieille» ontologie? – : le virtuel ne nous dispense pas d’être vrai.→
- Gilles Deleuze, Cinéma II: l’image-temps, Éditions de Minuit, Paris, 1985, p. 354→
- Peter Hallward, Out of this World: Deleuze and the Philosophy of Creation, Verso, New York, 2006, p. 162→
- Peter Hallward, Out of this World, p. 6→
- Gilles Deleuze, Différence et répétition, PUF, Paris, 1969, p. 375→
- Gilles Deleuze, Différence et répétition, p. 2.→
- Gilles Deleuze, Différence et répétition, p. 3→
- Gilles Deleuze, Différence et répétition, p. 268.→
- L’image de l’oiseau de proie n’est pas anodine. Dans des passages particulièrement troublants de la poésie mystique d’un St-Jean de la croix ou de Thérèse d’Avila, on oscille allègrement entre des moments de ravissement mystique et d’autres où le mystique semble «fondre» sur Dieu, dans un jeu charnel et amoureux ou positions de prédateur et de proie deviennent interchangeables. On peut aussi penser aux descriptions de Castaneda concernant la règle du Nagual : «Le pouvoir qui gouverne la destinée de tous les êtres vivants s’appelle l’Aigle, non que ce soit un aigle, ou qu’il soit lié en quelque manière à un aigle, mais parce qu’il apparaît au voyant qui le voit sous l’aspect d’un aigle immense, noir de jais, dressé à la manière d’un aigle, sa hauteur atteignant l’infini. (…) L’Aigle dévore la conscience de toutes les créatures qui, vivantes sur Terre l’instant d’avant et désormais mortes, ont flotté jusqu’au bec de l’Aigle, comme un essaim ininterrompu de lucioles, à la rencontre de celui qui les possède et qui est leur raison d’avoir acquis la vie. L’Aigle dénoue ces flammes menues, les met à plat comme un tanneur étend une peau, puis il les consomme – car la conscience est l’aliment de l’Aigle.»→
- En ce sens, Massumi lorsqu’il souligne avec brio comment les « concepts vagues » sont parfois nécessaires pour appréhender ce qu’il appelle «l’indétermination ontogénétique» : « Générer un paradoxe et puis l’utiliser comme s’il s’agissait d’un opérateur logique en bonne et due forme est une bonne manière de mettre le vague en jeu. Étrangement, si cette procédure est suivie avec une bonne dose de conviction et juste ce qu’il faut de technique, voilà!, le paradoxe devient un opérateur logique en bonne et due forme. Pensée et langage dévient et se plient comme la lumière à proximité d’un corps céleste hyperdense. Il s’agit peut-être d’un exemple de miracle. (Comme si la lucidité même pouvait être inventée.) Brian Massumi, Parables for the Virtual, Duke University Press, Durham, 2002, p. 13.→
- William Connolly, A World of Becoming, Duke, Durham, 2011, p. 5.→
- Jane Bennett, Vibrant Matter. A Political Ecology of Things, Duke, Durham, 2010, p. 94.→
- Jane Bennett, Vibrant Matter. A Political Ecology of Things, p.XV.→
- William Connolly, A World of Becoming, p. 75.→
- Reza Negarestani, Cyclonopedia. Complicity with Anonymous Materials, Re.Press, Melbourne, 2008, p. 195 – 199→