Le Merle

vol.7 no.1, Automne 2024
»
vol.7 no.1, Automne 2024
puissances dans le retrait
«
puissances dans le retrait
Ajouté au panier

Assemblé dans la banlieue rhizome des Outaouais, ce numéro pose la question : comment ne pas tourner en rond dans l’impuissance? À l’atelier, au salon, dans la remise, au patio, sur l’autoroute à 12 voies ou en canotage sur Kichi Sibi, Puissances dans le retrait—hyperlocality témoigne d’espaces et d’expériences où s’inventent les moyens de briser le sentiment d’impuissance, là où s’élaborent des manières de faire collectif et des manières de raconter. Dans cet esprit, Simon Brown et Maude Pilon propose le dossier FAIRE POÉSIE. Cette publication a été réalisée avec le concours d’AXENÉO7. Édité par François Lemieux.

La parfaite excuse

Sarah Chênevert-Beaudoin

La robe extra-large était faite de coton épais indigo, avec une grosse gerbe de blé argentée brodée sur le devant. La couleur, la coupe, le tissu de bonne qualité, l’étonnant motif du devant en firent la digne première pièce de ma future friperie. Cette idée s’était révélée avec force alors que je trainais dans une friperie du quartier latino de Chicago. J’étais très amoureuse, et j’avais trouvé une magnifique chemise en soie pour MA. Il l’enfila, déboutonna tous les premiers boutons, et je lui mis ma chaîne en or autour du cou. Je vis qu’il se sentait beau, et je dis, à voix haute, que j’étais bonne à ça, trouver le bon morceau avec la bonne coupe. Le soleil de l’après-midi tombait sur moi par la fenêtre de la boutique, et les symptômes de l’épuisement s’installaient définitivement dans mon corps.

Quelques semaines après notre retour à Gatineau, j’arrêtais de travailler. La thérapeute me prescrit l’errance pour que mon corps suive ma tête. Je fus émue par l’évidence et la beauté de cette prescription. Je m’appliquais donc à errer, c’est-à-dire à sortir de chez moi et à marcher. La rivière était tout près et mes errances s’y dirigeaient presque toutes. Sur la rive, je me retrouvais souvent seule au milieu du mouvement subtil des choses animées et inanimées qui, comme moi, avaient leurs rythmes et prenaient des formes qui révélaient un peu de leur contingence. Ces choses me suffisaient, j’étais bien parmi elles.

L et la cadette rentraient toutes deux de l’école vers quinze heures. Puisqu’il y avait un délai entre leur arrivée et celle de MA, je me retrouvais seule avec elles et leur besoin de me raconter tant de choses quelques heures par jour. Parfois, je mettais un petit mot dans l’entrée : «Maman dort, je vous aime», et je m’enfermais dans ma chambre. Je ne voulais pas qu’elles me réveillent, même lorsque je ne dormais pas. C’était l’automne, et la lumière était belle. Je ramassais des fleurs mortes, et une fois rentrée à la maison, je les mettais dans de beaux verres. Lorsqu’elles étaient complètement sèches, je trouvais dans leurs coeurs durcis et bruns les graines que je rangeais dans des sacs ziplocs bien étiquetés : marguerites mauves, amarantes du jardin, calendules de P, etc.

J’avais des noms approximatifs pour les fleurs, préférant les identifier de manière relationnelle – F m’avait donné des zinias, j’avais cueillis des fleurs jaunes au coin Couvent et Broad, et volé plusieurs têtes piquantes d’échinacées aux voisins.

Quand je n’errais pas, je m’installais dans mes nouveaux territoires : le canapé du salon et le lit de fortune près du foyer au gaz. Je lisais de manière infidèle les romans que m’avaient prêtés des amies, sautant des chapitres ici et là, prenant des notes sur le tarot de Marseille, le cycle menstruel, et le repos. Entre mes livres, mes errances et l’expansion de mes filles, j’apprivoisais la fatigue et ma domesticité, réfléchissant de manière souple, nerveuse et extatique.

Les journées grises, j’aimais arrêter au comptoir St-Vincent de Paul. Je trouvais des boucles d’oreille, des tasses et des chandails de laine, des vases. J’aimais la simplicité et l’usure des objets, toucher leur matière dans mes doigts, m’étonner de leur esthétique, imaginer
leur ancien propriétaire. Il y avait des choses très laides, d’autres très kitchs. Souvent la matière noble indiquait un design classique ou une bonne coupe, mais pas toujours.

Une nuit, de grandes bourrasques annoncèrent la fin de l’été indien. La cadette me réveilla vers une heure du matin pour que je vienne fermer sa fenêtre : elle avait froid et le vent faisait frémir tous les posters de starlettes accrochés à ses murs. Billie Eilish, fluorescente, vacillait au-dessus du lit. Je fermai la fenêtre, remis la couverture sur ma fille, et dormis mal le reste de la nuit. Le matin suivant, je fus bouleversée par un reportage. T avait passé trois ans dans la rue pendant la pandémie. Elle venait tout juste d’obtenir une chambre dans une maison de transition. Le premier soir, elle avait pleuré toute la nuit en pensant à tous ceux qui n’avaient pas de lit. Puis elle avait meublé sa chambre avec les choses offertes par des itinérants : bibelots, casseroles, couvertures… En échange, T cuisinait pour eux. Le jour du reportage, elle avait fait des cigares au chou dans une grosse lèche frite. La journaliste lui demanda alors si elle avait des enfants. Oui, j’ ai deux grands garçons. Où habitent-ils, dans des appartements? Non, dans des grandes maisons. Incrédule, la journaliste répéta : «Dans de grandes maisons?» T répondit : «Oui, je suis si fière d’eux.»

L’histoire de T mit fin à un cycle d’intériorité dans lequel j’avais passé les dernières semaines. D’un coup, le monde entier s’immisça dans ma bulle. J’étais triste, en colère, agitée, exaltée. J’insistai pour aller danser dans une fête de forêt. Je mis un beau costume de pierrot avec une coiffe de lune en papier d’aluminium que j’avais bricolée. Derrière nous, deux femmes faisaient presque l’amour en dansant, l’une d’elles habillée en Indiana Jones, avec un grand fouet et un fedora. C’était assez pour me rendre heureuse. En partant, je laissais la coiffe de papier d’aluminium à un homme qui était venu de très loin et qui dansait seul dans un coin.

Plus rien ne séchait sur les bords de fenêtres, toutes les semences avaient été rangées dans une petite boite, j’avais repeint le local de ma future friperie couleur corail de Chine, mon pyjama de soie serait livré sous peu. La prochaine étape n’était pas très clair. Commencer l’aquarelle me semblait exagéré. Il fallait me reposer, mais encore fallait-il apprendre comment. Ce temps libéré me semblait comme un sursis, ma maladie la parfaite excuse, réelle et bénigne. Je m’étais démenée jusqu’à elle, et elle ne me laissait pas tomber. Entre elle et moi, qui avait le contrôle? C’était plutôt une collaboration.

Le dernier jour du marché public, j’achetai des poivrons, du chou-fleur, des carottes et du céleri. Délicat, élégant et déprimé, P me montra comment faire les conserves de légumes à la bulgare d’après la recette de sa mère. Outre le poivre en grain et les baies de genévrier, il fallait ajouter une aspirine écrasée dans chaque bocal — pour l’équilibre, me dit-il. En ma présence, il finissait toujours par vider son sac, puis un silence lourd s’installait entre nous. Je remis mon tablier dans mon sac, le quittant plus triste et plus anxieux que je ne l’avais trouvé. Avec moi, il pouvait s’écrouler, mais moi, je n’arrivais pas à le rattraper. Ça faisait l’effet d’un gâchis.

Les conserves furent un succès, les légumes vinaigrés et croustillants. La fatigue persistait. Je me forçais à me coucher tous les après-midis. Je restais couchée et respirais en ouvrant le diaphragme, réconfortée par le poids des couvertures lourdes sur mon corps immobile. Parfois, le sommeil arrivait et peu importe sa durée, au réveil je me sentais mieux. D’ordinaire, je ne dormais pas et finissais par prendre un bain brûlant avec de la lavande. Cela me permettait de finir la journée, sans toutefois avoir la force de faire le souper. Lorsque MA était ailleurs, nous mangions des toasts ou des céréales, et c’était vraiment très bien, une belle habitude à garder. En vérité, j’aurais souhaité que les filles et MA ne rentrent jamais, j’aurais regardé des films de vikings avec du sexe et du sang jusqu’à ce que je m’endorme. J’aurais dormi longtemps, puis je me serais réveillée guérie, à l’aube d’une nouvelle vie. Je n’en fis rien. Dans le fond, je ne voulais pas guérir trop vite, ça aurait fait l’effet d’être bonne élève, de faire une offrande aux forces qui m’avaient poussée à l’épuisement. Je voulais guérir à moitié, pour que ça s’étire.

J’étais définitivement abîmée, mais consciente que cette maladie était la preuve d’un privilège : celui des assurances, de la maison tranquille et des couvertures chaudes. Lorsque les premières journées froides arrivèrent, la médecin doubla toutes mes prescriptions et ajouta un somnifère que l’on devait prendre le moins possible, et au maximum quatorze jours. Cela me laissa perplexe. Quelle stratégie fallait-il adopter : un cachet par semaine, y aller pour quatorze jours d’affilée, ou seulement lorsque la fatigue était vraiment trop intense? Fidèle à moi même, j’optai pour la stratégie «pas de stratégie». Je pris un cachet en rentrant de la pharmacie, en donnai un autre à MA. Je dormis relativement bien.

A et M nous invitèrent pour l’apéro. Chose rare en banlieue, nous nous rendîmes chez eux à pied, avec une conserve de légumes croustillants sous le bras. Ils nous attendaient avec du rhum sucré, de la soupe au poisson et du saucisson. Ce soir-là, A et M parlèrent de la grâce divine en ces termes : accepter qu’on n’avait vraiment rien à offrir à la vie, aucune dette envers elle, que la vie nous prenait tout simplement et qu’elle ne nous lâchait pas, qu’elle avait des trucs prévus pour nous, qu’en somme, elle s’en chargeait. Il y eut plus de rhum agricole, M chanta une chanson créole qui racontait comment on cherche l’amour alors qu’il est là. On les serra fort dans nos bras en les quittant.

Un matin, en revenant de la rivière, je vis un petit écriteau sur lequel on annonçait un lapin à donner, avec la cage et tout le tralala. Je cognai plusieurs fois à la porte et une femme avec un bébé dans les bras m’ouvrit. Elle avait de gros seins pendants, de tailles différentes, des dents croches, les yeux doux. Sur sa figure, des bleus étaient perceptibles malgré la pénombre du salon. Il y avait une petite fille à une table qui assemblait un casse-tête. La femme me dit qu’elle avait quatre enfants, et que le propriétaire du logement avait changé d’idée ; que non, les animaux en cage n’étaient plus acceptés. Il n’y avait rien dans son bail. Elle alla chercher la grosse lapine Pif pendant que je surveillais ses deux plus jeunes. Je caressai longtemps Pif, puis dis que je devais en parler avec MA. Sur le chemin du retour, je me demandais si cela aiderait cette femme que nous adoptions Pif. Le conseil familial trancha : ça pue un lapin, et personne ne voulait ramasser ses crottes. Seule la cadette rouspéta, il y avait toujours de la place dans son coeur pour les petites choses à aimer.

Lorsque la première neige arriva, je me mis à penser trop et à faire moins. Je réduis sur un coup de tête le dosage de ma médication. Je passai la nuit en sevrage et fis un rêve dans lequel je m’écroulais plusieurs fois aux côtés d’un itinérant couché dans la neige. Mes jambes étaient incapables de soutenir mon poids, et moi incapable de cesser de pleurer. Je me réveillai à trois heures du matin, et pris immédiatement rendez-vous avec ma docteure qui me prescrit de nouvelles doses.

La dépression s’ajouta à la fatigue. Des deux, je ne savais pas qui me retenait maintenant au lit. J’avais imaginé qu’en m’insérant dans un mouvement silencieux, celui du désir et de la douceur, ma vie allait complètement changer; que j’allais vite retomber sur mes jambes, ne plus jamais retourner travailler dans un bureau sans fenêtre, nourrie aux lunchs préparés à la hâte et entourée de collègues adapté·es et ambitieux·ses. Non, j’imaginais plutôt être avocate quelques jours par semaine, entourée de femmes faillibles et lumineuses, avec lesquelles je lutterais contre l’inégalité sociale tout en faisant des potlucks de carottes. Plus les jours avançaient, plus je sentais que ma vision ne faisait pas le poids, qu’il n’y avait pas assez de temps et d’énergie pour passer de l’horizontal à la vie nouvelle. La tristesse m’envahit, et je devins tout simplement malade, alors que j’avais passé les derniers mois convaincue d’avoir amorcé une réelle transformation. Cette fatigue, ce n’était pas une vraie maladie avec des masses qui doublent de volume ou des lymphes troubles. Tendue de désir, écrasée d’impatience, je me rendis à l’évidence : rien n’était parfait, rien ne le serait.

    Puissances

    Dalie Giroux

    Puissance1

    Ce qui se manifeste par l’idée de puissance ce peut être l’image d’un pouvoir institué : C’est ainsi qu’on disait autrefois, avant 1982 : le Dominion du Canada, ou, en français, la Puissance du Canada, en référence à cette émanation géopolitique de l’Empire britannique, dont nous sommes peut-être, si on est chanceux, citoyens.

    La puissance, potestas, un mot latin pour référer aux soi-disant souverainetés des monarchies absolues qui, avec l’aval de l’Empire chrétien d’occident, fameux monopole spirituel, ont commandé des conquêtes à des business de transport intercontinental, à des banques et des compagnies d’assurance, à des sous-traitants et à des pirates, à des congrégations religieuses, à des soldats à la petite semaine, et à des spécialistes des ressources humaines – engagés, colons, esclaves, notaires et filles du roi, influenceurs, petites mains, c’est quoi ta job?

    La puissance, c’est alors l’ÉTAT, le Léviathan, le nom propre, la personne morale, la Reine, le «monopole légitime de la violence» comme l’État aime lui-même se définir.

    Puissants

    La puissance évoque aussi nécessairement l’idée des puissants :

    Ils sont souvent des «hommes d’État», mais encore plus souvent les amis de l’État, là où, sur quelque plateau de connivence mythologique entre ombre et lumière, on ne mange probablement pas des ramens végétaliens en groupe dans du carton recyclable.

    Ce sont des Jésus orange;
    Des présidents à tronçonneuse;
    Des peddlers de technologie;
    Des propriétaires de yacht qui coutent 50,000$ le plein et dont les toilettes flushent directement dans la Méditerranée;
    Ce sont des magnats de la communication crapuleuse, des marchands de haine contents d’eux-mêmes;
    Des tueurs de femmes avec un million d’abonnés sur Instagram;
    Des bonhommes qui font du trafic de bébé tigre qui servent à amuser des escortes dans des chambres d’hôtel de Las Vegas;
    Ce sont des philanthropes propriétaires de cabinets d’arrivistes dynamiques qui vident les coffres publics et remplissent les leurs à coup de flexibilité, d’agilité, d’approche lean, de chaine de production just in time – on dirait des jets privés.

    Et il y a tout ceux, toutes celles, celleux, cellulose, cellophane, suremballage commandé par onde cellulaire peut-être livré par drone jusqu’aux portes de fastueuses hypothèques où la balayeuse se passe néanmoins et les cartons de take-out s’acheminent par boite de plastique bleu dans d’hypothétiques loops de revalorisation. La puissance est au singulier, et les puissants sont au pluriel. Tout le monde a un nom propre et des secrets sales. C’est un certain ordre des choses. Le seul que l’on connaisse.

    L’image : des accumulateurs de puissance

    Le jeune Nietzsche écrit, et la jeune Dalie ne l’a jamais oublié même si je ne sais plus où c’est écrit parce que c’est écrit en moi : «il n’y a pas de civilisation sans esclavage».

    La courbe de la civilité est toujours la construction d’une échelle de détermination de la valeur des êtres, une hiérarchie en somme, qui a pour fonction de légitimer un pouvoir de capture,

    un pouvoir d’extermination,
    un pouvoir de concentration,
    un pouvoir de confiscation,
    un pouvoir de domestication,
    un pouvoir de mise en esclavage,
    un pouvoir de destruction, dont l’horizon unique et total est celui de l’accumulation.

    La domination comme forme générale de territorialité, une territorialité que l’on pourra dire impériale, ce territoire de la puissance, celui des puissants, est la condition de possibilité du surplus. C’est une territorialité intégralement accumulatrice : escaliers roulants, convoyeurs, rampes de lancement, viaducs, stations service, fibre optique, câbles sous-marins, émetteurs récepteurs, stationnement à étage, clignotants, manivelles, swipe, swipe, swipe, tinque, gaze, paye.

    Nous vivons, étant civilisés, dans des accumulateurs de puissance – ainsi nos maisons sont des hypothèques, et notre attention des revenus publicitaires.

    Survivre

    Homo sapiens advient avec la position verticale. C’est la bête qui se dresse sur ses pattes arrière.

    Se lever sur ses pattes arrière, et libérer les mains : naissance de la technique. Le couteau, le bâton, la pierre, la corde. Gratter, couper, lancer, frapper, tirer. Éventuellement : envoyer une armée pour prendre possession d’un continent. Image de l’État.

    Se lever sur ses pattes arrière, libérer les mains et, ce faisant, libérer la gueule : naissance de la parole. Phonétiser, parler, symboliser, transmettre.

    Éventuellement : inventer une mesure d’équivalence universelle pour capturer le futur. Image du capital.

    L’État et le capital forment le complexe d’accumulation monopolistique et autonome qui caractérise le contemporain global, machine de guerre technoscientifique qui se présente comme le prolongement zoologique de Sapiens, qui fait la guerre à la Terre, à la finitude, au vivant, à l’eau, qui chauffe, qui produit du déchet, qui désertifie, qui rase, qui brûle, qui déplace, qui accumule, qui produit du surplus, qui produit des paysages pharaoniques, de la vitesse, des ciels de satellites, des gâteaux Vachon, des cartes à puces.

    André Leroi-Gourhan écrit qu’à partir du moment où les groupements d’homo sapiens se constituent en groupes nationaux,

    «l’organisme collectif devient prépondérant de manière de plus en plus impérative et l’homme devient l’instrument d’une ascension technoéconomique à laquelle il prête ses idées et ses bras. De la sorte, la société humaine devient la principale consommatrice d’hommes, sous toutes les formes, par la violence ou le travail. L’homme y gagne d’assurer progressivement une prise de possession du monde naturel qui doit, si l’on projette dans le futur les termes techno-économiques de l’actuel, se terminer par une victoire totale, la dernière poche de pétrole vidée pour cuire la dernière pognée d’herbe mangée avec le dernier rat2

    L’impuissance

    Quel est le lien, et y a-t-il un lien, entre les puissants, ceux qui exercent ou croient exercer le pouvoir, un pouvoir, celui de l’État, celui du capital, et les autres, celleux qui ne le sont pas, celleux qui n’en sont pas? Qui est l’autre du puissant? Et quel est le revers de la puissance au singulier? Qui sont les impuissant·es, et qu’est-ce que l’impuissance?

    Brûler 60 litres de pétrole raffiné chaque semaine et s’inquiéter des changements climatiques;
    Remplir à ras-bord à chaque deux semaines un bac de recyclage de quatre pieds de haut;
    Brancher ses appareils pour recharge pendant que les sous-traitants d’Hydro-Québec rasent la forêt sous les fils, huit mètres de chaque côté, sur tout le réseau électrique dans toute la province;
    Choisir entre le rouge de la vertu libérale ou le bleu de la libârté complotiste une fois tous les quatre ans;
    Utiliser Facebook;
    Ne pas utiliser Facebook;
    Se faire un radeau de luxe au milieu de l’océan pour ne pas payer l’impôt qu’on ne paye déjà pas;
    Partir dans le bois avec un fusil pour ne pas payer l’impôt qu’on ne paye déjà pas;
    Souffrir d’éco-anxiété et aller en Europe pour des vacances, propulsé au kérosène;
    Manger à la vitesse fossile;
    S’habiller à la vitesse fossile;
    Se divertir à la vitesse fossile;
    Se loger à la vitesse fossile;
    Se soigner à la vitesse fossile;
    Se faire vendre des diplômes;
    S’endetter pour payer les diplômes que l’on nous vend;

    Avoir le choix entre acheter et acheter, vendre et vendre, acheter et vendre, se vendre et se faire acheter, faire des achats en ligne ou en magasin, magasiner une formation, marketplace ou kijiji, acheter un chien, essayer de s’en débarrasser, s’abonner au gym, s’abonner à une info-lettre, retourner un colis, changer d’assureur.

    Savoir au plus profond de son être qu’il n’y a pas de vertu qui vaille, que de séparer le monde en bons et en méchants n’y fera rien, et que nous sommes évidemment perdus, comme l’a écrit de manière énigmatique et peut-être vraie Walter Benjamin, à confondre les moyens d’agir avec la puissance d’agir.

    Où il s’agit de cesser de (se) penser comme un État —

    Le jugement : un devenir multiple

    Que seraient non pas la puissance, la puissance des puissants, l’impuissance des impuissants, leurs noms propres et les fantaisies de maîtrise, mais plutôt : une vie, une science, des collectifs dans la compagnie des puissances, puissances plurielles, puissances au pluriel.

    Puissances qui nous agitent, nous confrontent, nous dépassent, nous menacent, puissances que nous épousons, naviguons, faisons danser jusqu’à ce que la musique change;

    Puissances que nous éprouvons et qui nous éprouvent, puissances que nous prions;

    Puissances qui nous animent, anima, vent, air, souffle, rires et larmes dont nous sommes le médium et le vecteur;

    Puissances d’agir, en partage, en sourdine, éternelles, conspiratrices, incompressibles, toujours recommencées;

    Puissance des éléments, feu, eau, insectes, virus, carnassiers, monde minéral, monde onirique, opérations magiques;

    Puissance du corps, des corps, puissance du nombre, devenir multiple, contingence, contiguïté, pouvoir d’affecter, puissance de l’affect – ce qui peut, ce qui se peut. En acte. Tout ce qui se peut.

    Puissances en passe de ruiner les accumulateurs de puissance, dans le petit et le grand, le quotidien et le structural, en travers, à rebrousse-poil, par les racines, frontalement, imperceptiblement, par usure, I prefer not to, pratiques de dés-accumulation, marges de la civilité, improductivité, désoeuvrement, détournement, dilapidation, inutilité, stérilité, abolition, mutinerie, désaffectation, amitié, dommage, rêve.

    Puisque le monde brûle : sur la piste d’une éthique de la combustion.

    1. Le texte Puissances a été lu par l’autrice le 13 décembre 2023 dans le cadre du Salon #2, organisé par AXENÉO7 à Gatineau.
    2. Leroi-Gourhan A. (1964), Le Geste et la parole, I : Techniques et langage, Paris, Albin Michel. p.260

    Tomber encore garde aller

    Marc A. Reinhardt

    1

     

    Sens-tu le courant d’air

    quand tomber encore

    nous garde aller ?

    À fond dans

    l’habitude dans

    refuser ou non

    la norme de l’abandon

    du que faire maintenant

    avec bienveillance

    et le meurtre lent

    de l’hésitation —

    c’est limite, fatigant.

     

    Je m’ennuie de mes dents

    de lait, de saigner

    quand je trébuchais

    sur rien d’autre que mon élan

    quand la poussière collée au sang

    donnait aux galles un relief

    que je grattais du bout des ongles

    presque sans les arracher.

     

    Aujourd’hui mes mots blessent

    du même souffle soigne la plaie

    et mes poumons épuisent

    les ballons de fête.

     

    Entre calme du lac

    et guerre totale

     

    le deuil sans fin, le deuil normal

    jusqu’à ne plus entendre

    jusqu’à ne plus rien voir :

     

    la rumeur grise de nos feux hors de contrôle

    les guenilles qui sèchent au soleil de midi

    les freins qui nous lâchent sur le chemin du retour

    le muguet de personne au bord de la clôture —

     

    la violence

    du monde

    suspendue

     

    le reflet

    d’une lame

    imprévue

     

    à l’ombre de l’éclosion

    quand le jour recommence

    avec lui je respire

    encore je respire

     

    tremblant semé

    au fond de ton pouls.

     

     

    2

     

    Notre maison ne sera jamais propre

     

    Nous nous porterons malgré tout.

    Nous portons la mort de nos pères, de nos ami.es

    des vies jamais vécues, nous portons des objets

    et des souvenirs pliés pour les ranger quelque part.

    Quelque part à l’extérieur de nos corps.

     

    Nous avons des maisons

    et des remises derrière les maisons.

     

    Nous portons un nom

    que certains reconnaissent

    que d’autres oublient.

     

    Il y a des fleurs pendues

    aux cadres de nos fenêtres.

     

    Tout est grave maintenant,

    mais rien n’est grave finalement.

     

    Nous portons nos cernes

    couché·es près du tremble

    et des vinaigriers.

     

    Auprès de la molène, l’amarante, le sumac

    et du beau gâchis des fruits tombés.

     

    Donnant nos paroles

    nos voeux, nos mensonges

    nous tenons au fond à ce qui nous échappe

    comme les rigoles, les rivières, les fleuves

    nous enveloppent.

      Ninóswáhadón Sibi (Je suis la rivière)

      Émilie Monnet

      Sons de la rivière dansante,
      groovy, rapides1

      Pinock:
      C’est très flatteur d’en parler comme d’une oeuvre d’art,
      de dire que c’est beau. Je suis fier que mes ancêtres
      aient créé·es une oeuvre d’art.
      Mais personnellement, je ne suis qu’un Algonquin
      qui fabrique des canots. J’ai l’impression de faire
      quelque chose que traditionnellement
      j’aurais fait de toute façon.

       

      On ne mentionne pas le nom de la rivière.
      On dit « rivière » tout simplement et si on veut aller
      à la rivière des Outaouais, on dit Kiche Zibi –
      c’est la grande rivière que vous connaissez.
      Si vous demandiez à quelqu’un comment iel est arrivé·e
      ici, iel répondrait «Je suis venu·e par la rivière». Vous ne
      diriez pas «j’ai pris la rivière Gatineau, que j’ai
      descendue avant de sauter les rapides», mais plutôt
      «je suis venu·e par la rivière». C’est simple, on passe à
      autre chose. On ne nomme pas tout à chaque fois… il n’y
      avait pas de rues ici ou quoi que ce soit du genre…
      On arrive tout simplement. À l’heure indienne.
      On prend le temps qu’il faut.

      Sons de rivière, pagaie

      La rivière était la principale voie rapide de canotage et
      elle l’est encore aujourd’hui. Toutes les petites routes se
      jetaient dans la rivière et c’était donc la voie principale.
      Mais il faut se rappeler qu’avant, il n’y avait pas
      d’autoroutes. Il y avait de la forêt partout, et il fallait
      pouvoir tout transporter. À l’époque du commerce des
      fourrures, on pouvait transporter jusqu’à 5000 fourrures
      sur des embarcations comme celle-ci.

      Sons de castors,
      un canot glisse sur l’eau silencieusement

      Les animaux n’en ont pas peur parce que les matériaux
      proviennent de la nature. Ils sentent ces choses
      vous savez. Certains d’entre eux mangent de ces
      affaires-là, donc ils n’ont pas peur du canot.
      C’est très silencieux, très légers et avec ces
      embarcations vous pouvez redescendre la rivière
      facilement. Donc le design est parfait pour
      l’environnement dans lequel nous vivons, la région ici.
      Je n’en reviens toujours pas de l’intelligence de mes
      ancêtres d’avoir su construire cette affaire-là.

       

      Quand on te promène dans le porte-bébé, ton
      éducation commence. Parce que ta mère te porte sur
      son dos, elle te voit et tu es à sa hauteur.
      Tu ne traîne pas au ras du sol. Tu es là haut, avec elle.
      Tu es toujours en train d’observer ce qui se passe
      autour de toi, et donc dès le jour 1,
      ton éducation commence.

      Sons de travail du canot et du porte-bébé,
      conversation en Anishnabemowin

      Je n’ai pas reçu d’éducation formelle, mais je ne suis
      certainement pas autodidacte. Quelqu’un m’a montré.
      J’ai vu mon grand-père fabriquer des canots, il y a 50
      ans, 60 ans. J’ai vu faire des oncles dans la réserve.
      J’ai vu faire d’autres membres de la communauté alors
      j’ai pu apprendre de la communauté
      dans son ensemble.

      Sons de fabrication du canot

      On ne dois pas couper dans cette partie verte ici,
      car c’est l’écorce interne dont on a vraiment pas besoin.
      C’est l’autre écorce qu’on veut. (…) On peut avoir
      deux arbres côte à côte, l’un d’eux a tout ça ici, ça sort
      par couches. En Algonquin on dit pitoushkway,
      ça sort en morceaux. L’autre est solide, comme ça ici.
      Tu vois comme c’est épais et solide (…) c’est ce qu’on
      appelle un inoushkway. C’est une couche épaisse. Donc,
      Pitoushkway se présente en plusieurs couches séparées.
      Inoushkway est une couche stratifiée.

      Sons d’écorce, toucher l’écorce…

      Nous allions chercher de l’écorce. Dans mon esprit,
      je me disais que j’allais revenir avec un camion
      plein d’écorce. Il fallait prévoir l’essence en bonne
      quantité, apporter notre déjeuner, car on devait allez très
      loin pour en trouver. C’est beaucoup de travail la récolte
      de l’écorce. Une fois qu’on a terminé, il me dit «Mets-ça
      dans le camion pis on rentre à la maison.» Alors j’ai dit
      d’accord… parce que c’est l’aîné et que je respecte
      l’ainé et sa décision de rentrer à la maison.

       

      Prenez de la nature ce dont vous avez besoin.
      Elle a été créée pour qu’on en fasse bon usage
      et non pour en abuser.

       

      L’ainé me montrait comment faire, mais sans dire
      un mot, simplement à travers les gestes qu’il posait.
      C’est la façon autochtone d’enseigner, avec les trois «L» :
      «look, listen, learn»2.

       

      Maintenant, prends tes doigts. Presses le bois ici,
      par en bas, toujours vers l’extérieur. Si tu vas dans ce
      sens là… et maintenant tu vois que ça va
      un peu loin. Tu vois, il n’y a pas de grain qui va
      dans ce sens là, ça va dans l’autre sens. Ça se fend
      mieux avec le grain dans cette direction (…)
      Si il est orienté du côté épais, tu peux pousser vers
      le côté qui est plus mince, et normalement ça fendra
      tout droit, vers le bas. Vas-y très doucement.

       

      Ça a beaucoup à voir avec le choix des matériaux, ce qui
      me rend fier de mes ancêtres. Le canot sera durable.

       

      Quand on prend de l’écorce comme celle-ci, celle qui
      est plus épaisse, je peux séparer les fibres et
      j’insère entre-elles ces racines. Je les mets dedans,
      et je laisse ça reposer. Après un certain temps
      on ne peut plus les retirer. Parce que cette écorce,
      bien qu’elle soit morte depuis cinq ans et qu’elle soit
      desséchée, elle a toujours un peu de vie en elle.
      Elle veut se guérir et reprendre sa forme et donc ça ne
      va plus se défaire. Ça reste pris à l’intérieur.

       

      Racines d’épinette, ici gomme d’épinette,
      gomme d’épinette pour les joints, écorce de bouleau,
      tout en cèdre à l’intérieur, sauf les banquettes qui
      sont en frêne. Sent-moi ça. Ça sent très bon.

       

      Ensuite, tu fais fondre ça. Il faut très peu de chaleur…
      tu fais fondre dans la poêle. Cette chose là, tu la
      prends … et je prendrais juste un morceau comme ça
      pour bien sceller l’écorce de bouleau. Donc tu prendrais
      ça et tu ferais comme ceci. Et voilà, c’est scellé.
      C’est de la bonne gomme.

       

      Tu peux aller dans la forêt avec un minimum d’outils
      et avec l’approvisionnement de la nature, ça peut
      te donner un canot avec lequel tu pourras ensuite sortir
      de la forêt. Ça permet d’apprécier le Créateur et
      la Nature et tout ce qui est là autour. C’est là et
      ça ne pollue rien. Et si vous laissiez le canot
      quelque part, il retournerait tout simplement à ce qu’il
      était avant. Il retournerait à la nature sans polluer quoi
      que ce soit, parce que tout ça vient de la forêt.

       

      Émilie:
      Pensez-vous que les gens continueront à fabriquer des
      canots dans 50 ans, ou 70 ans?

       

      Pinock:
      Les connaissances sur la fabrication des canots
      seront encore bien vivantes. Parce que les jeunes qui
      apprennent aujourd’hui sauront toujours comment les
      fabriquer, ils sauront comment faire. En ce qui concerne
      les matériaux, c’est une autre histoire. Il se peut que
      nous ayons du mal à trouver de l’écorce. À un moment
      donné, il sera impossible de trouver de l’écorce de
      qualité, ou même des arbres.

       

      Aujourd’hui, nous pourrions encore avoir de l’eau
      potable et de l’air frais à respirer si nous donnions
      juste une possibilité à la nature de se régénérer.
      Mais on continu de polluer, et nous sommes tou·te.s
      coupables. Je ne blâme aucune nationalité en particulier
      de ruiner le monde, nous sommes tou·te.s coupables
      parce que nous sommes tou·te.s ici et que nous faisons
      tou·te.s la même chose. Comme vous le savez,
      c’est une chose universelle. Ça peut changer,
      mais ça demande un effort de la part de tout le monde.
      On a de la misère à mettre deux personnes d’accord sur
      quoi que ce soit, alors comment allons-nous faire pour
      que les nations s’entendent entre-elles? C’est un beau
      rêve, mais c’est peu réaliste.

       

      Émilie:
      Peut-être que tout ce monde devrait construire
      un canot ensemble.

       

      Pinock:
      Ils devraient, ça pourrait leur faire réaliser à quel point
      le monde pourrait être beau, vous savez, si nous le respections.
      Tout se résume à ce mot: respect.

      1. Ninóswáhadón Sibi, I Follow the River (2019) d’Émilie Monnet, est une pièce audio de 11 minutes 11 secondes pour casque d’écoute et un podcast, créée avec Pinock Smith. Nous reproduisons ici des extraits de cet échange enregistré au studio de Pinock à Kitigan Zibi. D’autres des sons et extraits audio ont été recueillis et enregistrés sur les rives de la Tenagàdinozìbi (rivière Gatineau) et de la Kichi Sibi (rivière des Outaouais). L’oeuvre a été commandée par CUAG et GUQO en partenariat avec DAÏMÔN et Transistor Média, avec le soutien de l’Université Carleton, de l’Université du Québec en Outaouais, du Conseil des Arts du Canada, du Conseil des Arts de l’Ontario et du Fonds d’initiatives numériques Reesa Greenberg. Montage sonore et mixage par Pascal Desjardins. Traduction française : François Lemieux.
      2. ntd.: Regarde, écoute et apprends

      Matérialités circulatoires d’un voyage de pêches depuis les collines de l’Outaouais

      Amélie-Anne Mailhot

      J’ai pris l’habitude d’écouter la rosée tomber, en été, vers 4 ou 5 heures du matin. Si je suis éveillée à cette heure-là, j’écoute le moment où le changement de température condense l’humidité et crée comme une fine pluie, soudaine, élusive. Ça dure à peine quelques secondes, et ça s’arrête. Je ne suis jamais certaine si j’ai bien entendu, si c’était le début d’une pluie très légère qui s’est arrêtée, ou si j’ai vraiment assisté au point de rosée. L’eau tombe sur la toiture de métal, qui amplifie le son que produit son contact avec la matière, et je me dis, toujours après coup : je crois bien que c’était la rosée.

      L’été 2023 fût celui des rivières atmosphériques. Le premier été des rivières atmosphériques dans cette maison des collines de l’Outaouais que j’habite depuis dix ans. Pour la première fois, j’ai eu peur pendant une pluie, en pleine nuit, un sentiment étrange, l’envie que la pluie s’arrête. Il a plu avec une telle intensité, comme lors de ces moments, habituellement une ou deux minutes au milieu d’une averse, où on devient stupéfait·e.s et excité·e.s par le débit de la pluie, mais cette fois l’intensité dura une quarantaine de minutes. Normalement, quand il pleut, j’aime penser aux plantes du jardin et d’ailleurs, en énumérant dans ma tête toutes celles qui bénéficient de l’eau qui tombe, pendant que le son me garde éveillée. Je me rendors, c’est comme compter les moutons, avec un sentiment d’apaisement en plus, une tâche d’arrosage que je n’aurai pas à faire, que je n’aurais jamais pu faire aussi bien, avec autant de soin. Cette nuit-là, mon sentiment était plus trouble, et je suis allée rassurer mon chien – de ce réconfort dont on ne sait plus s’il agit sur un ou sur l’autre, mais on est ensemble, allez.

      ***

      Depuis quelques années je repousse le projet, énoncé de manière un peu légère, d’aller chercher des pêches biologiques dans la vallée du Niagara. Les paniers de pêches de Niagara abondent sur les tablettes des supermarchés près de chez moi au mois d’août, mais leur peau duveteuse retient parfaitement les pesticides utilisés pour leur monoculture, ce qui m’empêche d’en manger autant que je le souhaiterais. Nous nous proposons donc, D et moi, de remonter le courant et d’aller en chercher sur place, faisant le trajet inverse de ces flots de pêches qui arrivent par camions depuis l’Ontario jusque dans les Collines de l’Outaouais, à toutes les années, entre la fin juillet et la mi-août.

      J’ai commencé à correspondre l’an dernier avec M, producteur de pêches biologiques – le seul que j’aie trouvé, et il me confirmera être le seul dans la vallée. Le ton de nos correspondances est sympathique et il m’a conseillé des dates pour faire le voyage afin d’être en phase avec le mûrissement des fruits. Bien que nous habitions la région du Québec la plus proche de Niagara, il faudra six heures pour s’y rendre, en passant par Toronto.

      ***

      Après avoir hésité jusqu’à la veille du départ à se lancer dans ce périple – décision finale prise à la brunante, sur la galerie qui surplombe le jardin, nous nous mettons en chemin. Des ami·e.s qui ont renoncé au voyage — trop de route depuis Québec, vingt-quatre heures aller-retour — viendront à la maison la fin de semaine suivante pour nous aider à transformer les pêches. Leur énergie combinée à celle de F et J, qui veilleront sur les animaux et la maison pendant notre absence dans un esprit convivial qui bordera notre escapade un peu avant, un peu après, donne l’impulsion au voyage.

      Les pêches que nous convoitons sont incidemment cultivées dans un des haut-lieux du tourisme intracontinental canadien, et leur moment de mûrissement est en plein mois d’août. Les terrains de camping sont pleins, on ne trouve même pas à se loger à l’hôtel. Il nous faudra improviser. Nous sommes sur la route des chutes Niagara et c’est la haute saison touristique.

      Nous partons ainsi vers le sud, rejoindre l’autoroute 401 qui se substitue au fleuve Saint-Laurent comme voie de transport. L’autoroute longe le fleuve jusqu’à Kingston, puis parcourt les berges du lac Ontario en passant par Oshawa, Scarborough, Toronto, Mississauga et Hamilton. Faisant escale après quelques heures de route, nous nous baignons à la hauteur de Wellington dans le lac Ontario : une étendue d’eau claire et scintillante (Ontario signifierait «beau lac» ou «eau miroitante» en langue iroquoienne). La plage et les premiers mètres du lac sont remplis de baigneur·se.s, il fait beau et chaud et l’eau est irrésistible. Nous entrons dans les vagues avec le chien qui nous accompagne, et nous gardons quand même la tête hors de l’eau, riant de l’improbable salubrité de l’eau dans laquelle nous sommes immergées. À sa sortie, le chien se roule dans une carcasse de poisson mort.

      Ma connaissance de la géographie de cette région est assez approximative, mais je conçois bien que le système des Grands Lacs est pollué. Je lance une petite recherche sur internet pour me rafraîchir la mémoire, quelques minutes après être sortie de l’eau. Microplastiques, rejets de médicaments, eaux usées : «les scientifiques et les écologistes» s’affolent des conditions exécrables de l’écosystème du lac Ontario1. Apparemment, les eaux de ruissellement sont parmi les sources de pollution les plus constantes et les plus durables. Je retourne aux travaux de Michelle Murphy, décrivant le circuit des polluants au centre-ville de Toronto, un jour de pluie :

      «L’eau de pluie éclabousse les tours à bureaux de Bay Street (le Wall Street du Canada), est récoltée par un réseau d’égouts pluviaux recouvrant des ruisseaux enfouis, et ruisselle enfin jusque dans l’immensité du lac Ontario. Les tours à bureaux et les autres surfaces urbaines sont recouvertes d’un mince film gras qui retient les polluants organiques persistants tels que les biphényls polychlorés (BPC; Simpson et al. 2006). Ceux-ci voyagent à travers la circulation globale des nuages de particules et viennent à la rencontre des tours à bureaux dont les films huileux agissent comme de gigantesques dispositifs de collecte de pollution. Le flot de gouttelettes d’eau sur les vitres urbaines rince les BPC dans un ruissellement hautement concentré en composés chimiques qui les retourne au lac, lui-même dépotoir de BPC hérité de cette ère d’exubérance industrielle que fût le milieu du siècle dernier2

      La circulation passe des surfaces aux corps :

      «Prenez une grande respiration. Avec chaque inspiration, les molécules produites industriellement pénètrent dans votre corps. Une fois qu’elles sont inhalées, les molécules synthétiques passeront peut-être à travers une membrane, connecteront avec un récepteur, s’installeront dans un tissu adipeux, imiteront une hormone, ou moduleront l’expression d’un gène, stimulant par là une cascade de réactions métaboliques. Inspirez. On n’y peut rien. On doit respirer pour vivre, comme on doit boire et manger. Il n’y a pas de choix à faire. C’est une condition de notre être. Avec chaque respiration nous nous réengageons dans cette relation ininterrompue avec les matériaux de construction, produits de consommation, déversements de pétrole, pesticides agricoles, usines – proches ou éloignées – qui contribuent tou·te.s à l’émission de ces molécules synthétiques3

       

      ***

      À partir d’Oshawa, au nord-ouest du lac, nous empruntons une autoroute à douze voies qui nous mènera jusqu’à une longue pointe de terre qui s’étend vers le sud-est du lac Ontario. Pendant ces quatre heures lors desquelles nous roulons sur de l’asphalte à plus de 100 km/h, nous sommes entourées d’usines : usines de voitures, d’asphalte, de sucre, de biscuits (vision : une douzaine de camions dix-huit-roues stationnés en diagonale devant les portes de chargement d’une usine, prêts à être remplis de biscuits qui seront livrés en épicerie). On croise aussi une centrale nucléaire. Tout ce qui nous entourera pendant ces heures sur la route sous la pluie, ce sont d’autres autoroutes, du béton pour construire ces routes, ces bâtiments et ces usines à perte de vue. Après avoir lu sur une pancarte bordant l’autoroute que nous sommes en territoire haudenosaunee, je pense tout haut : nous reconnaissons que nous roulons à 100 km/h sur une autoroute de douze voies bordée d’usines en territoire haudenosaunee.

      Cette section du littoral du lac Ontario, de Oshawa à Niagara Falls, se nomme le «Golden Horseshoe»; j’entends quelque part qu’on surnomme la région ainsi parce que la nuit, les lumières allumées des villes et des routes vues du ciel forment un fer à cheval illuminé, mais ce serait plutôt, vérification faite, parce que c’est un haut lieu de «prospérité» en forme de fer à cheval. L’or, pas parce qu’il brille, mais parce qu’il vaut cher.

      ***

      Dans un séminaire d’agroécologie auquel j’ai assisté à la fin des années 2010, on nous a informé que la nourriture qu’achètent les grandes chaînes de distribution alimentaire comme Provigo (propriété de Loblaws) est acheminée dans les entrepôts de la grande région de Toronto et redistribuée à partir de ce point de transbordement dans les supermarchés. Cela signifie, c’est l’exemple qu’on nous avait alors donné, que des bleuets du Lac Saint-Jean achetés en gros doivent passer par les entrepôts du Golden Horseshoe avant d’être vendus dans un Provigo de Saguenay. Un aller-retour de 2000 kilomètres pour être vendu à quelques kilomètres du lieu de cueillette. Cet espace de haute désertification industrielle est donc – si on souhaite en désigner un – le «garde-manger du Canada», au sens le plus strict (et reprenant ainsi l’expression consacrée pour qualifier les grandes cultures au glyphosate de l’Ouest Canadien) : c’est là qu’on entrepose une bonne partie de la nourriture consommée dans tout le pays.

      Nos pêches auraient fait le même chemin, pour parvenir jusqu’à nous, dans un camion de transport réfrigéré; cette fois nous les accompagnons, ressentant dans notre corps ce qu’il en coûte de cette circulation autoroutière de marchandises qui, normalement, aboutissent dans les supermarchés que nous avons pris l’habitude de fréquenter comme s’il était tout à fait normal d’y chercher notre nourriture – et qu’elle y soit en une telle abondance. Cette abondance mène, inévitablement, à la production d’«invendus» calculés heureusement déjà comme pertes prévisionnelles par les grandes chaînes de distribution – des tonnes de nourriture prenant la route du dépotoir, dont les potentielles pertes financières par les détaillants sont redistribuées sur les prix des autres aliments que nous y achetons – du point de vue de l’abstraction financière, il n’y a donc pas de perte, et tout roule.

      ***

      Dans le film White Noise, de Noah Baumbach (2022), le supermarché agit comme un lieu rassurant, intouchable, lumineux dans le chaos climatique qui sévit à l’extérieur. On revient toujours à ce point zéro, neutre, commun, de la normalité nord-américaine. En exergue d’un texte dans lequel elle consigne ses expériences à l’hypermarché, Annie Ernaux place une citation de Rachel Cusk :

      «L’hypermarché au bout de la route est toujours ouvert : toute la journée, ses portes automatiques coulissent dans un sens ou dans un autre, accueillent et relâchent tout un flot humain. Ses espaces éclairés au néon sont si impersonnels et si éternels qu’il en émane du bien-être autant que de l’aliénation. À l’intérieur, vous pouvez oublier que vous n’êtes pas seuls, ou que vous l’êtes4

      J’ai d’excellents souvenirs en épicerie, qui remontent à mes premières années de vie dans la vallée de la Chaudière. Je me souviens que tout y était beau et bon : les grosses poubelles pleines de paquets de suçons aux caisses enregistreuses avaient bien sûr un grand effet sur moi, mais aussi les machines à nettoyer les tapis en location, qui me faisaient envie. Certains souvenirs plus marquants, mélange de honte et de plaisir : notre petit stratagème de vol de bonbons, à P et moi, dévoilé lorsqu’il poussa l’audace jusqu’à manger des bananes en guimauve à même un sac ouvert dans une boîte laissée au sol par un·e employé·e.

      Au début des années 2000, Loblaws a fermé une usine à Mississauga où ses 850 employé·e.s syndiqué·e.s revendiquaient de meilleures conditions de travail, pour ouvrir une usine à Ajax, à quelques kilomètres plus loin, opérée par un sous-traitant et employant des travailleur·se.s non syndiqué·e.s5.

      ***

      Plus au sud, nous traversons la zone d’Hamilton, usines d’Arcelor Mittal (corporation sidérurgique mondialisée), embouteillages monstres sur une autoroute qui ne rétrécit pas. Je lis au retour que «respirer l’air d’Hamilton est comme fumer une cigarette par jour6». Le trafic est toujours aussi intense une fois passé Hamilton : la route des usines se mue en route des vacances, dans un mouvement ininterrompu de corps roulants. Les chutes du Niagara attirent les foules. Nommées Onguiaahra en langue iroquoienne, «tonnerre d’eau», elles attirent aussi les corps dans leur mouvement hypnotique : la première tentative documentée d’un saut du haut des chutes à bord d’un baril de bois remonte à 1903 – et c’est un chat qui prenait place dans le baril. La femme qui avait le projet d’être la première personne à réussir l’exploit y a effectivement envoyé son chat en éclaireur, faisant à la fois acte de cruauté animale et de sabotage. Depuis, d’autres personnes ont tenté de sauter pour l’honneur mais y ont péri, ont essayé de mettre fin à leurs jours en sautant mais ont survécu. On raconte même qu’une personne prévoyant sauter les chutes en kayak en 2022 a renoncé au projet après des années d’entraînement, réalisant que ceux et celles qui l’accompagnaient pouvaient être accusé.e.s d’homicide involontaire s’il ne survivait pas. Une loi a en effet été mise en place pour interdire à quiconque de sauter en bas des chutes du Niagara, et toute tentative est criminalisée; il semble que cette mesure ait été jugée nécessaire pour ralentir le flot d’êtres humains attirés par le débit enivrant de l’eau qui s’écoule.

      En 2017, une nappe d’eau noire nauséabonde a elle aussi fait le saut: un déversement d’eaux usées a été rendu visible et a causé une commotion dans le petit monde de l’industrie touristique.

      ***

      La vallée du Niagara est luxuriante. Après avoir traversé cette zone industrielle qui s’étend sur des centaines de kilomètres de littoral des Grands Lacs, on se rend enfin à la ferme de M. Il nous accueille chaleureusement, souriant et vapotant parmi ces vergers de pêches, cerises, poires, pommes, prunes qu’il a mis en place au fil des années. Amusé par notre aventure et ressortant, ravi, ses quelques mots de français d’enfant né à Rouyn d’une mère de Jonquière, il nous avoue qu’il refuse souvent les invitations de son fils ou de ses ami·e.s à aller les voir à Toronto à cause de l’intense circulation automobile qu’il lui faut affronter pour se rendre jusqu’à la ville. Le jour de notre arrivée, sous des pluies diluviennes – il serait tombé 45 mm de pluie en quelques heures – M a dû endiguer une inondation dans son verger. La digue en sable qu’il a érigée entre le fossé et sa ferme a cédé. Cette inondation serait en fait due à une décision récente de la ville, qui aurait choisi de détourner le flot des eaux de pluie que le système d’égout ne peut plus contenir vers les champs environnants. Ces eaux viennent ainsi terminer leur course dans les fossés de M qui doit faire des travaux d’endiguement, sans relâche, avec son tracteur, pour éviter que ses vergers ne soient constamment submergés par la débâcle des eaux de ruissellement.

      M sort enfin ses pêches de la chambre froide, fier de sa récolte : «c’est incroyable le travail que ça prend pour faire des pêches biologiques, mais vous voyez ça? Elles sont magnifiques». Il en coupe une avec son couteau, que nous partageons dans la petite pergola attenante à son garage. Nous repartons avec 120 livres de pêches que nous entassons dans la voiture. Il nous quitte en nous donnant des framboises pour la route et des têtes d’ail que nous replanterons à l’automne. On se fait rire en se disant qu’on ne se reverra sans doute jamais, à cause de la route éprouvante qui nous sépare.

      ***

      En 1764, deux mille Autochtones de plus de vingt-quatre nations ont fait le voyage pour se rassembler à Niagara, en territoire hatiwendaronk (ou chonnon, ou de la confédération des neutres) sur invitation des représentants de la Couronne, pour négocier le Traité de Niagara. Cette rencontre diplomatique, qui dura plus de deux mois et que l’on imagine de haute convivialité internations, devait établir les fondements et l’éthique des relations à venir entre les peuples autochtones et la Couronne, suite à la Proclamation Royale de 1763. Le juriste ojibway John Borrows, parmi d’autres, considère que la Proclamation Royale – édit fondateur de la constitution du Canada – ne peut être comprise sans le Traité de Niagara et que ces deux documents combinés garantissent l’autonomie gouvernementale des peuples autochtones (2002). Le Traité de Niagara aurait été l’occasion d’établir des relations de «dépendance et d’interdépendance7» selon des principes – notamment consignés dans le Wampum de la Chaîne d’alliance – parmi lesquels Borrows énumère :

      «la reconnaissance de la gouvernance autochtone, […] le respect des droits territoriaux autochtones, l’affirmation de l’importance du consentement et de l’autorisation autochtones dans les questions concernant les traités, […] le respect des droits de chasse et de pêche et l’adhésion aux principes de paix et d’amitié8».

      Le gouvernement du Canada ne reconnaît pas, à ce jour, le Traité de Niagara, redoutant sans doute les conséquences révolutionnaires d’une reconnaissance de la déferlante de fautes commises à cette promesse d’amitié.

      Les négociations du traité ont eu lieu en juillet et août, en pleine saison des pêches. On raconte que des pêchers auraient été amenés à Fort Niagara dès 1719 par les Français qui s’y établirent (des pêchers auraient été cultivés dans les jardins de France, depuis la Chine ou la Perse, dès le XVe siècle), et des pêches auraient déjà été envoyées par canot au marché de Québec en 1753, longeant les rives du lac Ontario pour éviter les grands vents, puis s’embarquant sur le fleuve Saint-Laurent. Est-ce qu’on a mangé des pêches lors des négociations du Traité de Niagara? Je me demande ce qui était au menu, de quelle manière les repas étaient organisés, sachant bien sûr que chacun.e est arrivé à Niagara en juillet 1764 avec une grande quantité de nourriture à partager – et que ce lieu était déjà un important territoire agricole hatiwendaronk, mais aussi haudenosaunee, anishinaabe et mississauga.

      ***

      Au retour, nous décidons, en regardant la carte, d’emprunter une autre autoroute, qui fait un détour pour éviter les zones industrielles : la 407, qui propose un peu plus de kilométrage mais moins d’embouteillages, pas plus mal, se dit-on. Nous parcourons alors, presque grisées par le confort, ces kilomètres de béton parfaitement lisse, autoroutes à huit voies sur lesquelles il n’y a presque personne. On roule vite et bien, je dis même, mi-sérieuse : «c’est la plus belle autoroute que j’ai vue de ma vie!». Nous sauvons du temps, presque deux heures par rapport à l’aller. Autour de nous, cette fois, le long de la route, que d’immenses maisons de plastique en rangées et de la verdure. C’est que la 407 passe dans ce qu’on appelle «la ceinture de verdure» de Toronto. D m’apprend pendant qu’on roule que cette banlieue qui encadre la plus grande zone industrielle du pays, où tout a l’air neuf, est la zone de peuplement avec la plus forte croissance démographique au Canada, ce qui en fait conséquemment la zone la plus convoitée par les politicien·ne.s.

      ***

      J’ai rencontré F par des amis, à Québec, au début des années 2000. On s’est retrouvés plus tard dans ses expérimentations de lieu d’art collectif et de résidence dans son appartement de Montréal. On se croise des années plus tard dans le cadre des activités de la nuit blanche, dans l’édifice du Belgo, alors qu’il travaille pour un centre d’artiste et est en charge de faire des grilled cheese pour les gens qui viennent s’attarder. La conversation autour des grilled cheese ce soir-là nous mène à l’histoire de sa grand-mère qui, pour célébrer «Québec 84» (une célébration de l’arrivée du navigateur Jacques Cartier au Canada 450 ans plus tôt) et l’arrivée des voiliers dans le port de Québec, avait fait des grilled cheese en forme de voiliers. F entreprend alors, pour la démonstration, de confectionner des «p’tits bateaux» en grilled cheese, maniant parfaitement l’art du triangle9.

      Pour D, «Québec 84» c’est un spectacle de Beau dommage au bassin Louise et les soirées à regarder les voiliers sur le fleuve depuis la galerie de la maison de sa grand-mère, à Lévis. Pour moi, c’est un paquet de cartes à jouer turquoise et blanc qu’on a déménagé de la Beauce à Montréal. Il paraît que les organisateur·trice.s de l’événement ont eu si peur que l’affluence des automobiles dans la ville de Québec crée des bouchons de circulation et de la frustration chez les visiteur·se.s dû au manque de places de stationnement, qu’une campagne de publicité agressive recommandant aux gens de prévoir leurs déplacements en conséquence (et d’éviter Québec) a été mise en place, résultant en un si petit nombre de visiteur·se.s qu’on a parlé d’un «fiasco».

      Chaque fois que j’ai revu F depuis, j’ai trouvé le moyen d’amener la conversation jusqu’à ce qu’on reparle des grilled cheese, ce qu’il trouve un peu étrange. Cette fin de semaine n’y manquera pas, alors qu’il arrive à la maison pendant que nous terminons les préparatifs du départ à Niagara. Il est accompagné de son ami J, fraîchement débarqué de l’avion depuis les Pays-Bas, et d’une quantité formidable de nourriture. J a toujours une recette en tête, un ingrédient autour duquel organiser un repas, une bonne histoire de plante aromatique à insérer dans un plat. Il cuisine sans arrêt. Ils se sont rencontrés il y a plusieurs années parce que J a écrit à F, qui participait un événement d’art, et lui a proposé un échange : si F trouvait un endroit à J pour se loger, il ferait la cuisine pour toute la durée de l’événement. Quelques années plus tôt, J a fait une installation dans laquelle les gens étaient invités à manger une soupe dans un bol qui ne s’épuisait jamais, alimenté par un système de tuyaux qui remplissait les bols à mesure qu’ils se vidaient.

      Avant que J ne quitte, on fait quelques échanges : je lui donne des semences de Ropreco Paste, de Matt’s Wild Cherry et d’Iberville, mes trois variétés de tomates préférées. Il prend aussi une éclisse de racine de raifort à replanter chez lui, des semences de shiso et de rhodiola. Il m’enverra par la poste, à son retour, un morceau de cactus et une sélection de ses meilleures variétés potagères.

      ***

      Plusieurs semaines après notre passage sur cette autoroute stupéfiante, nous recevons un courrier un peu étrange, que j’ai d’abord du mal à comprendre. Qu’est-ce que c’est, ça, la 407? que je demande, oublieuse, en attrapant l’enveloppe. Une facture de 56,47$ pour les 120 kilomètres que nous avons parcourus, un jour ensoleillé d’août 2023. L’autoroute a été privatisée en 1999, d’où l’intérêt pour le gouvernement de l’Ontario de faire de nouveaux plans à la fin 2022, pour construire une nouvelle autoroute, la 413, encore une fois dans la ceinture de verdure qui borde Toronto. Le gouvernement de l’Ontario se «désole» d’avoir vendu l’autoroute, qui génère des profits énormes, et souhaite maintenant reprendre le contrôle de la circulation. Des opposant·e.s ont réussi à faire abandonner les projets de développement immobilier qui auraient bordés la nouvelle autoroute, en septembre 2023, mais le projet de voie de circulation automobile à grande vitesse, lui, tiens toujours.

      ***

      Juste avant de quitter le verger, M nous retient un moment de plus pour nous dire que nous devons absolument manger des pêches grillées dans une poêle ou sur la grille d’un feu, arrosées d’huile d’olive, avec du sel et du poivre.

      Ce que nous ferons, sur le feu, dans la fraîcheur du mois d’août, du haut d’une colline le long de la rivière Gatineau. Lorsque A, A et E viendront nous retrouver la fin de semaine suivante, remontant depuis Québec le fleuve St-Laurent, la rivière des Outaouais et la rivière Gatineau, et ne manquant pas de souligner le plaisir conceptuel de venir chercher des pêches à La Pêche, nous baratterons de la crème glacée aux pêches, en ferons sécher, congeler, compoter, mangerons des pêches fraîches, cuites, pendant qu’une chauve-souris rousse – grande migratrice du Québec aux Caraïbes, très sensible à l’industrialisation – fait irruption dans la maison, virevoltant en haute voltige jusqu’à ce qu’on ouvre toutes les fenêtres et ferme toutes les lumières et qu’elle se dirige au sonar vers la sortie, et nous donnerons rendez-vous pour les pommes, en octobre, à l’est cette fois.

      1. Ernoult, Marine (2023). «Le lac Ontario victime de son succès», L’express, En ligne.
      2. “The water splashes off the office towers of Bay Street (Canada’s Wall Street), is collected by a storm sewer system overtaking buried streams, and then washes out into the vastness of Lake Ontario. Office towers and other urban surfaces are covered in a thin, greasy film that attracts persistent organic pollutants like polychlorinated biphenyls (PCBs; Simpson et al. 2006). These travel in global circulations of particulate clouds, encountering office towers whose oily films act like massive pollution-collection devices. The pattern of droplets on urban glass rinses the PCBs into a chemically concentrated rainwash that returns them to the lake, a legacy dumping ground of PCBs from an era of midcentury industrial exuberance” dans : Murphy, Michelle (2019). “Afterlife and Decolonial Chemical Relations”, Cultural Anthropology, 32 (4), p.494. [ma traduction]
      3. “Take a deep breath. With every inhalation, industrially produced molecules are drawn into your being. Once inhaled, synthetic molecules may pass through membranes, connect with receptors, nestle in fatty tissue, mimic a hormone, or modulate gene expression, thereby stimulating a cascade of further metabolic actions. Breathe in. We cannot help it. You must breathe to live, like you must drink and eat. There is no choice in the matter. It is a condition of our being. With each breath we are recommitting to an ongoing relationship to building materials, consumer products, oil spills, agricultural pesticides, factories near and far that all contribute to the emission of these synthetic molecules” dans : Murphy, Michelle (2017). “What Can’t a Body Do?”, Catalyst : Feminism, Theory, Technoscience, 3 (1), p.1. [ma traduction]
      4. Ernaux, Annie (2016). Regarde les lumières mon amour, Paris: Gallimard (Folio), p.9.
      5. Morin, Annie (2010). «Provigo lâche un gros morceau», Le Soleil, En ligne.
      6. Peesker, Saira (2023). «Breathing the air in parts of Hamilton is like smoking a cigarette a day, researchers says», CBC News, En ligne.
      7. Ash, Michael, John Borrows and James Tully (dirs) (2018). Resurgence and Reconciliation. Indigenous-Settler Relations and Earth Teachings, Toronto : University of Toronto Press.
      8. “[R]ecognition of Aboriginal governance, […] respect for Aboriginal land holdings, affirmation of Aboriginal permission and consent in treaty matters, […] respect for hunting and fishing rights, and adherence to principles of peace and friendship” dans : Borrows, John (2002). Recovering Canada. The Resurgence of Indigenous Law, Toronto : University of Toronto Press. p.125. [ma traduction]
      9. Après lecture de ce passage, F commente : «Le pain à sandwich coupé trois fois par le centre fait huit petits triangles placés debout dans l’assiette».
      Le Patio
      De : Le Patio xxxxxx@gmail.com
      Objet : Résidence conjointe entre Le Patio et Le Clinique
      Date : 23 mai 2021 à 13:48
      À: ED xxxxxx@gmail.com, JP xxxxxx@yahoo.ca
      Cc: PP xxxxxx@gmx.com, SCB xxxxxx@gmail.com,
      MAR xxxxxx@gmail.com

       

      Chère E,
      Chère J,

      J’espère que vous vous portez bien. Je vous écris pour vous inviter à venir passer quelques jours à Gatineau, dans le cadre d’un projet de résidence — Le Patio. Une mise en contexte. L’idée du Patio est survenue de manière improvisée en 2019, quand I et C, venu·e.s passer deux ou trois jours à la maison pour des raisons différentes, sont resté·e.s bien plus longtemps que prévu.

      J’ai apprécié les discussions informelles, le matin autour d’un café ou au fil de la journée, toujours à l’improviste. Celles-ci permettaient de revenir sur des idées en chantier; de partager nos intérêts, nos lectures, nos recherches; de prendre une pause dans la durée et la torpeur estivale; sans oublier de faire aussi quelques activités de socialisation en soirée.

      L’année dernière, j’ai organisé deux résidences. L et CA sont d’abord venus travailler sur un projet d’expo prévu pour Montréal, mais sont revenus à l’automne avec une mutation du projet initial que nous avons développé sous forme d’exposition au rez-de-chaussée, mais aussi, dans toutes les autres pièces de la maison qui permet une grande adaptabilité. Celle-ci est propice à la présentation de projets sans devoir nous plier à une structure rigide . Lors de la seconde résidence, S et A ont visité la région à titre de «résident·e.s temporaires de Gatineau», et ce, afin de répondre aux critères de sélection d’un projet de Radio Hull, qui n’était initialement ouvert qu’aux résident·e.s de Gatineau. Iels sont venu·e.s travailler à la composition d’un opéra diffusé sur les ondes de Radio Hull.

      De manière plus précise, ce qui m’intéresse avec ce projet de résidence, c’est d’inviter celleux qui collaborent avec des institutions locales à passer du temps ici dans la durée, et ce, contre la logique des brefs aller et retours incessants pour un projet ou pour enseigner, etc. Bien sûr, avec le travail à distance de la dernière année, la donne a un peu changé, mais l’argument tient toujours : faire une pause, s’arrêter là où on est autrement toujours de passage, et rendre ce territoire habité par la joie de la création et de l’être ensemble, à revers d’une logique normalisée qui privilégie l’extraction à tous les niveaux et l’épuisement qui en découle.

      Que ce soit pour développer un projet, ou pour ne faire rien du tout — pour simplement profiter du soleil et des lacs, ou pour faire des excursions et explorer la région — les jeux sont ouverts.

      Ce printemps, en discutant avec S et MA, (qui viennent de lancer une maison d’édition, Le Clinique, situé à l’autre bout de la rue, ou presque), nous souhaitons tester une nouvelle formule de résidence et vous invitons donc conjointement.

      Si quelques idées se concrétisent pendant votre séjour, il est possible d’envisager la présentation d’un travail , d’un projet ou d’une idée, sur le champ ou plus tard à l’automne ou à l’hiver, sous la forme d’une publication, d’une présentation publique, d’une exposition, ou toute autre forme qui convient à vos manières de faire.

      Je joins ci-après le PDF d’une présentation des activités tenues au Patio l’an dernier qui donne un aperçu de manières possibles d’activer les espaces offerts. Les photos des baignades n’y figurent pas. Pour vous donner une idée générale, l’horaire habituel consiste à ceci : travail le matin si il y a lieu, baignade en après-midi, apéro avec invité·e.s en soirée, mais cela reste ouvert et flexible. Nous pourrons en parler de vive voix si vous le désirez.
      Cette année, S et A seront de retour pour travailler sur un projet que nous avons en commun. E et F viendront pour la première fois, mais elleux veulent surtout profiter du beau temps et des lacs.

      Ma seule demande aux résident·e.s, sans aucune obligation, c’est de faire une courte présentation à l’occasion d’un 5 à 7 organisé pour un cercle d’ami·e.s proches, de connaissances et de collègues. Le but : vous faire connaître de ce milieu et introduire vos recherches et intérêts; les questions qui portent votre travail, vos préoccupations actuelles ou passées. Mais cette décision survient plus tard, une fois sur place.

      Si vous êtes intéressé·e.s, je vous propose
      les dates suivantes:

      17 au 27 juin;
      9 au 19 juillet;
      20 août au 30 août;
      ou encore, si aucune de ces trois périodes ne convient, du 6 au 16 août.

      Si vous décidez d’aller de l’avant avec notre invitation, ne vous préoccupez pas de synchroniser vos disponibilités. Si elles ne coïncident pas, nous nous organiserons autrement.

      En espérant que vous répondrez par un OUI, je vous souhaite un beau début d’été.

      P

      _2.pdf
      4.1Mo

        Passion neutre : vers une grammaire périphérique

        Marc A. Reinhardt

        J’ai grandi en banlieue dans un nouveau développement, le genre de quartier résidentiel qui aurait pu être construit la semaine dernière dans n’importe quelle ville moyenne d’Amérique du Nord. Dans notre petite cour carrée, nous avions une clôture en bois pour protéger notre intimité. Notre lopin. À quatre ou cinq ans, l’âge où on ne s’ennuie pas encore, je passais beaucoup de temps dans cet enclos. Une de mes activités préférées consistait à peinturer les planches en pin de la clôture à l’aide d’un petit pinceau et d’un seau d’eau. Cela pouvait durer toute la journée, car la teinte foncée du bois humide venait toujours à sécher au soleil, au fur et à mesure que j’avançais dans mes travaux. Je devais constamment revenir sur mes pas, faire des retouches. Cette tâche, impossible, était la seule que je désirais réellement accomplir.

        ***

        Le 17 novembre 1917, Ludwig Wittgenstein s’adresse au Cercle des hérétiques1. En guise de préambule à sa conférence, le philosophe s’excuse par avance de malmener la grammaire anglaise (sa langue maternelle étant l’allemand). Il appréhende la déception des attentes du public réuni (composé pour la plupart de logiciens) et finalement, dit espérer qu’on arrivera à le suivre dans sa réflexion sur le sujet délicat qu’il a choisi d’aborder : l’éthique.

        La délicatesse avec laquelle il introduit son propos vient du fait que l’éthique traite d’une expérience si radicale du monde, c’est-à-dire, si foncièrement ordinaire, qu’elle ne se laisse pas clairement définir par une structure de règles logiques et invariables. C’est trop messy. Contrairement à la morale, l’éthique n’établit pas des principes par avance. Elle engage plutôt un mode d’existence, une inclinaison et une intonation que je suis amené à donner à mon corps et ma voix dans les situations de la vie. Ce rapport fluctuant, évolutif et variable entre mes intentions et mes actions (Emmanuel Hocquard) est proprement inexprimable. Parler d’éthique me confronte aux limites insurmontables du langage, tout au plus peut-on montrer cet inexprimable, ce que j’éprouve lorsque je m’émerveille de l’existence du monde. Évoquer ce qui nous heurte, parfois : que vivre, cela tient à quelque chose. L’éthique entraine en périphérie des prescriptions du langage, à jouer ses limites en se frottant à ce qui l’induit, mais ne peut contenir – un dehors dont je ne peux rien dire – ce qui n’oblige pas forcément à se taire.

        Cette posture emporte en une sorte d’enchantement face à ce que le monde nous fait faire, elle nous amène à l’éprouver comme un «miracle» (c’est le mot qu’utilise Wittgenstein), c’est-à-dire comme l’événement tout à fait inédit de sa propre composition continue avec les situations de notre vie. Si l’éthique, le politique et l’art nous engagent à (re)composer un monde habitable, ces formes de vie résistent aux définitions nettes du langage. Elles font sens par la persistance même du langage et l’acharnement avec lequel nous travaillons à l’énoncer, négocions ses règles, jouissons de ses leurres, modulons ses intensités. Se limiter au maximum en épuisant ses possibles : la joie.

        ***

        Renoncer à l’illimité. Plutôt se rassembler autour du très limité et en tracer une carte, sentir ses surfaces. Les limites montrent plus qu’elles ne contiennent. Les cerner, voilà un beau problème. Il y a là un mouvement désespéré, toujours déjà collectif, se faisant de proche en proche, à corps défendant, lorsqu’un désir d’autonomie s’exerce dans le soin de ce qui nous lie : nos ami·e.s, nos amours, nos territoires.

        ***

        Wittgenstein dramatise ce que nous faisons des limites du langage, de la perception, de la cognition : this running against the walls of our cage is perfectly, absolutely hopeless. Aucune connaissance ne peut être tirée de cet acharnement, de cette vitalité désespérée (Pasolini) qui nous pousse à appréhender nos situationslimites. Il est possible, par ailleurs, d’y voir une occasion de se laisser toucher, d’évoquer comment nous y sommes assujettis. Ce que Wittgenstein a tenté de décrire jusqu’à la fin de sa vie, c’est que nous habitons les règles du langage qui nous habite. Ces limites et présupposés que nous apprenons à suivre ou à contester, ce que Gilles Deleuze et Félix Guattari nomment les «mots d’ordre», constituent en fait un tissu vivant de gestes, à la fois naturel et social, fragile et contextuel.

        Ces trames et ce qui les trouble je m’y abandonne au quotidien. J’y suis attaché. Il s’agit alors, d’une situation à l’autre, d’élucider si j’y suis bien ou mal attaché tout en admettant une certaine impuissance à maîtriser ce qui me lie. Les mots d’ordre partagés (ma culture, mon école, ma région, ma gang…) me font parler, mais la grammaire soutient du même coup la tâche patiente de les cerner, voire de m’en dégager partiellement (pour ne pas me retrouver seul à peinturer la clôture). Ce dégagement réactive du commun dans un souci de ce qui nous arrive.

        ***

        Ce qui nous arrive cet été où j’habite, à la confluence des rivières Tenagadin Zibi et Kitchissippi, ce sont des tornades de plus en plus fréquentes, un smog dense provenant des incendies hors de contrôle au nord, des inondations, des canicules historiques, une pénurie critique de logements sociaux qui contraint des centaines de personnes à survivre dans des abris de fortune au bord des ruisseaux, une spéculation immobilière vertigineuse, une bretelle d’autoroute de plus et le projet d’un nouveau pont routier pour relier Gatineau et Ottawa. Ce qui nous arrive, c’est aussi la pénurie d’enseignant·e.s dans des classes où les plafonds coulent, des urgences fermées par manque de personnel et l’extinction graduelle d’espèces vivantes et de langues vernaculaires. Ce qui nous arrive, c’est l’épuisement mental et physique de nos corps participant à l’épuisement du territoire.

        Être soucieux de ce qui nous arrive, c’est tendre à faire part des écologies menacées, apeurées, abîmées. Cette attention, délabrée peut-être, exerce néanmoins nos capacités à faire sens en commun de l’impuissance individuelle face aux violences et inégalités plus prégnantes que jamais. On ne s’en sortira pas, c’est un fait. Cela n’empêche pas de se demander comment ça se fait, d’imaginer une grammaire du délabrement à partir de ce qui reste d’inappropriable : le dénouement des mots d’ordre (poésie), le partage de gestes gratuits (soutien mutuel) et les tâches interminables qui soutiennent le désir (désoeuvrement).

        ***

        Je viens de la classe moyenne, mes parents étaient fonctionnaires du gouvernement fédéral, comme une grande part de la population de la région de Gatineau-Ottawa. J’ai habité dans différents quartiers en périphérie de la capitale fédérale. Après des errances, des études, une vie en ville, je suis revenu et j’y travaille. Je travaille mon retour dans une banlieue ordinaire.

        Ce que je quittais et retrouve aujourd’hui, c’est la vie normale-moyenne : sous le ciel de la crise, ce sont la souveraineté du quotidien, les embûches ordinaires et les petits rêves réalisés qui ont donné leur texture à nos vies (Dalie Giroux). Banlieue et classe moyenne – ces paramètres identitaires flous, et si relatifs aux régions géopolitiques, continuent d’exercer une emprise sur l’imaginaire du territoire nord-américain et configure l’arrière-fond d’une vie dite «normale», d’une existence périphérique porteuse d’une promesse de sécurité, de stabilité et de loisir à l’abri des crises socio-économiques ponctuelles. Durant la pandémie, en effet, on étouffait moins au bord de la rivière et dans une forêt de pins qu’en pleine ville-centre. Aylmer, la banlieue où je vis, est une ville-dortoir née des vestiges d’une ancienne villégiature et d’un parc d’attractions. Elle est une intrication de dispositifs exemplaires de l’alliage techno-capitaliste entre l’état nation et la consommation émancipatrice, la circulation motorisée endémique et les sentiers naturels récréatifs à proximité, l’accès à la propriété et l’endettement systémique, une diversité ethnoculturelle croissante et un curieux libéralisme réactionnaire. J’y habite en famille dans une maison dont je suis co-propriétaire et c’est en prise avec ces habitudes – la grammaire du normal-moyen – que je tente de résister : en me rendant présent à ce qui nous fragilise. Mon engagement politique se résume à soigner mes relations quotidiennes, surtout l’épuisement et l’anxiété des personnes que j’aime. J’ai la conviction qu’une transformation profonde s’impose, mais doute de la portée de mes gestes pour conjurer les violences qui nous morcellent. Je suis du côté de celles et ceux qui se demandent comment organiser le pessimisme. Ni plus ni moins.

        ***

        Chaque fois que j’échoue à allier ma solitude à d’autres solitudes, je me rappelle que le langage ne m’a pas encore quitté; que les mots d’ordre parfois me font faire autre chose; que leurs agencements ne sont ni stables ou immuables, mais précaires et situés; que la valeur d’une propriété se défait par des usages imprévus; qu’une remise abandonnée peut devenir friperie collective et lieu de guérison.

        ***

        Sur le territoire périphérique du normal-moyen, il y a des occasions de remanier nos attachements, d’expérimenter et de déposer les hiérarchies qui s’imposent à nous, des lieux où se heurter à la grammaire hégémonique, ce qu’elle épuise et fait naître. Y circule entre autres une langue bâtarde entre le français et l’américain, une parlure que je parle moyen, qui me trahit et me dénude. Je me demande si j’arriverai à trouver un jour l’intonation juste, une voix capable de rendre commun ce qui parle par ma bouche, sans jamais parler pour les autres. À habiter des franges de la banlieue où vivre les tornades, les inondations et les feux à venir, où prendre des marches l’hiver sur la rivière qui gèle encore. À s’échanger les graines de fleurs glanées pour les semer le printemps venu dans nos petites platebandes. À boire une teinture faite avec une plante qu’une amie aura soignée.

        ***

        La ville-dortoir peut-elle se transformer en lieu de revendication d’un repos social? Je ne demande pas qu’on supprime la fatigue. Je demande à être reconduit dans une région où il soit possible d’être fatigué (Maurice Blanchot). Ce qui me travaille, c’est le désir d’agir inévitablement lié. Quelle action est susceptible de répondre aux mots d’ordre? Comment retrouver du commun lorsque l’individualisme de la vie normale-moyenne nous épuise? Comment ne pas opposer la liberté et l’obligation (Maggie Nelson), se réapproprier nos limites et revendiquer nos dépendances, à autrui et au territoire? Comment réimaginer la syntaxe de nos relations?

        Dans la grammaire archaïque, il existe une forme verbale entre la voix active et la voix passive. La voix moyenne exprime des situations où le sujet subit une action en même temps qu’il l’accomplit. Par exemple : «les branches tombées durant la tornade se ramassent à plusieurs». On peut en faire un feu ou des tuteurs pour les tomates du jardin ou juste un tas à composter. Ni active ni passive, la voix moyenne effectue en s’affectant (Emile Benveniste), occupée à vouloir-vivre plus qu’à vouloir saisir, à traverser les apories (l’enclave de la cour, les limites du langage, les normes néolibérales) sans prétendre les déjouer héroïquement par la force de la volonté. Prendre (ou ne pas prendre) la parole, en ce sens, ouvre une voie dans le territoire périphérique, une lisière qui donne du jeu aux espaces clos (catégories ou cloisons), c’est-à-dire une frange qui y participe sans pour autant s’y confondre. La grammaire dont il faut prendre soin a les traits d’une lisière, à la fois active et passive, infondée et sauvage (Robert Hébert) : elle impose un ordre à ce qui est possible (active) en dépendant des usages qui en sont fait (passive).

        ***

        Émietter la banlieue, ne pas respecter la périphérie. Se laisser toucher par ce qui en elle reste vague, ce qui grouille dans les lisières de l’étalement urbain. Le périphérique traversant la périphérie. Faire attention aux orties. Les cueillir avec des gants.

        ***

        Une hospitalité radicale rend possible une grammaire de la voix moyenne. Le patio est la figure concrète d’une telle hospitalité, c’est une forme de lisière aménagée dans les zones d’habitation post-coloniale. L’en dedans et l’en dehors s’indiffèrent sur le patio; leur hostilité s’annule par les gestes et les mots qu’il soutient et qui en sont les prolongements. Le patio s’occupe des entités qui l’occupent. L’usage du patio échappe peut-être à la modalité de la propriété privée comme un surplus de vitalité qui excède les métriques du marché immobilier. Entre l’intimité de la maison et l’entropie du jardin, cette plateforme ne conteste pas les limites de la situation – le cadre normal-moyen de la banlieue nord-américaine. Il en fait la scène d’une certaine chorégraphie irrésolue, d’une cohérence immaîtrisable qui à tout moment peut surgir. Tandis que l’étalement urbain se poursuit, le patio abrite des chats et des boitements, des scandales et des chauves-souris, des litanies sous la pluie et du mobilier tombant doucement en ruines. Le patio joue la fonction d’un tenseur, il fait que la langue tend vers une limite de ses éléments, formes ou notions, vers un en-deçà ou un au-delà de la langue (Deleuze et Guattari). Sur le patio retentissent des rires et des refrains entre les grillades d’aubergines, un espace de parole pour tous et pour chacun, la rumeur anonyme du désoeuvrement.

        ***

        Certain·e.s de mes voisin·e.s détestent les métaphores, d’autres les chérissent. D’autres encore s’en méfient tellement qu’iels préfèrent régresser jusqu’au bégaiement. Pour ma part, une métaphore qui bégaie cesse de l’être, et ce bégaiement trace une figure qui rapproche ce qui était distant. Naît alors une amplitude impersonnelle, de voix et de gestes, et à travers les variations de cette amplitude, l’impuissance s’active. L’instabilité d’une situation mobilise une force collective, un refrain émerge. Je ne saurais dire pourquoi. Pour faire travailler les limites du langage, on peut se tourner vers un en-deçà de la langue. Par exemple, se laisser aller dans le chant neutre d’un refrain : berceuse, chant de labeur, slogan de manifestation, comptine, prière… La poésie, entendue comme poiesis, fabriquer, produire, c’est-à-dire «mettre en présence», dégage une grammaire d’en-deçà, nous travaille et donne à entendre quelque chose de si ordinaire que ça nous apparaît étrange, insaisissable. Quand les mots d’ordre et les prescriptions nous laissent tomber, lorsque la langue nous divise et nous isole, la poésie en-deçà rappelle ce que les mots et la langue auraient pu nous faire faire, elle rappelle l’échappée provisoire qu’une autre grammaire rend possible, un rythme à sentir, l’intonation d’une voix fugitive.

        ***

        Un refrain ordinaire est sans gloire ni consolation. Il s’accompagne de voix concordantes ou non suivant les variations d’un air quelconque. Il retentit, nous garde aller quand vient le temps de s’en sortir. Il recueille nos peurs et anxiétés, leur donne forme, oriente. Nulle part où aller à part dans le chant. Outre le chant qui porte, qui porte… Le destin d’un choeur est d’être dissout. La voix se dissipe dans l’épaisseur des choses, dans l’espace ouvert impossible à combler. Il ne faut pas oublier de reprendre son souffle. Le refrain tire de la voix la matière des liens, fragile et poreuse, entre l’oeuvre et le désoeuvrement.

        ***

        Imaginez la scène : tout à coup elle refuse de vivre dans le regard d’un autre sans pour autant éviter ce qui en lui la traverse; tout à coup elle évite le conflit sans renoncer à ce qui par lui la fait trembler. Imaginez une conviction n’ayant plus besoin d’une cause identifiable, mais simplement de s’abandonner au sentiment d’impuissance qu’une situation fait naître en vous : la mort qui veille, la fatigue qui troue, la peur qui guette, le désir qui emporte. Et si on habitait cette scène? Et si on se donnait les moyens de suspendre la violence du monde et des paradigmes qui l’enferment, d’accueillir ses nuances infinies en le (re)composant? Il faudrait moins de principes et plus de tact. Une passion neutre.

         

         

         

        1. Hertzberg, Lars. (2015). «Wittgenstein’s Lecture on Ethics», edited by Zamuner, Di Lascio & Levy. Nordic Wittgenstein Review (NWR), 4 (2), p. 143-145. En ligne.

        Marshmallow Chins & Foreign Objects

        Isabelle Pauwels

        Alberta is bigger. More wheat, more West and more sky. We’re heading to the bar, speeding on numbered roads straight from the original mapmakers. Chris warns us not to wear our silly hats inside. It’s not a big stretch for me to play Ronda Rousey in my home video. I’m talking WWE Ronda, not UFC Ronda1. We have a lot in common: we can’t act, we can’t talk, but we stay in your face because we believe we’re just a heartbeat away from genuinely connecting with an ordinary person. We rehearse our entrance for the Royal Rumble with Chief Brand Officer STEFFF McMahon.

         

        RHhONDA   You’re in trouble bitch –
        STEFFF   No, RHhONDA. You don’t need any lines. The Universe just has to see you pointing at the sign.
        RHhONDA   I’m pointing at the sign?
        STEFFF   The sign!
        RHhONDA   Oh yeah yeah yeah — no, I know.
        STEFFF  It’s like: you’re literally pointing at the future, because you are the future.
        RHhONDA   Right.
        STEFFF   Everyone will get it. It’s what we do. Right
        RHhONDA   I’m… I’m just worried about one thing. Like if I’m standing here and I’m pointing – pointing, pointing, pointing at the sign — I guess I’d be pointing with this hand, right — because the hard cam’s over there — so I’m pointing at the sign, for like, I don’t know, yay minutes — isn’t it gonna look kinda weird
        STEFFF  RHhONDA, you’ll be fine, okay? You’ll be fine.
        RHhONDA  Right.
        STEFFF  Just be yourself, right?
        RHhONDA  Yeah.
        STEFFF  Just point at the sign.
        RHhONDA  Right.
        STEFFF  Trust me. It will all make sense.
        RHhONDA  Point at the sign…
        STEFFF  That’s it. That’s all you have to do.

         

        Painted-on tunnels, ACME bombs, playing the piano with machine gun toes – I wish! Nothing about Character Animator inspires me. I hear my characters long before I see them. I’m not dying to see them at all. So I write and I write. Am I making an animated video slowed down by narrative, or the other way around? Problem: the main characters aren’t in enough pain so why would anyone care about them? I kill them over and over again. BOOM! a stranger barges in. It’s my collaborator. He climbs up to the crow’s nest to have a vision or something and BAM! He’s all tangled up in the rigging2.

         

        My collaborator lowers down some rigging tests. Our main characters — who are lemons, but they’re oranges just for now – are dressed kinda like California Raisins. Uh oh. Why are they even dressed? Are they mascots for kids’ cereal? Worse: if they’re not bopping around like kids’ cartoons, they twitch like crack whores. Damn. Character Animator is not the Northwest Passage after all.

         

        A woman walks into a bar and — listen, you large language model, you better be able to kidnap me from myself, or else! A woman in a suit with a tight skirt and a marshmallow chin walks into the bar, her heels clicking across the wooden floor. Let’s criticize everything, says the man next to her as he blows the foam off his amber-hued drink. Amber-hued? Dude, it’s just a beer. The woman isn’t listening anyways. She’s thinking about her face. Who gave her that marshmallow chin?3

         

        If it wasn’t for that chin this woman would be straight outta Airport Lit. The kind of fiction that’s about ink on paper that gets onto your fingers when you stare off into space in between sentences that spell but don’t cast anything. I’m trying too hard. Where’s the emergency exit? “Just tell me a story!” Marsha cries. Look here Marsha, the story is I’m your mother so I get to name you after your chin. And it’s microwaved, your chin. Not roasted over a campfire. Because I said so.

         

        I don’t like Marsha. But I can empathize. She’s a badlymade woman in a badly-made world. Whenever she tries to be original, she ends up sat on her ass in this anyplace bar anyway. So this must be the right place? An Industry Plant sits on the floral patterned stool next to us. He wipes the foam off his amber-hued daffodil of a daffy drink, and drops a clunker in Marsha’s ear: “Where else would you be, if you could be anywhere but here?” “Look,” continues the Industry Plant, “let’s find a way we can have a little fun, so we can each feel —” It’s not long past noon. The bartender and his regulars stare me and Chris and Nina down from a different planet. Ya can’t just waltz in here like assholes from the city. Unbelievable. The bartender’s not really saying this. He doesn’t need to. Oh, ya think ya didn’t? Well – ya did. Thank God we left our silly hats in the car.

         

        ***

         

        Video is a problem. If only my website didn’t exist. If only I was a painter or photographer – I wouldn’t even need a broker and my insurance would cost less than half of what it does. My broker needs 2 weeks + 1 day to find me commercial general liability insurance. Meanwhile, Christ resurrects and Montreal is blessed by an ice storm.

         

        The building manager is in a rush. She’s meeting with the city over delays with the transformation permits. What that means is, that while our building is real, none of the new units on the ninth floor are. “Don’t worry”, she says. “You can still get your mail”. Sure. Whatever you say, Marsha. My building manager (who might as well be Marsha, her life is nothing like mine) has a way with words. As soon as she speaks them, they become somehow reality-adjacent.

         

        At the edge of the studio, the great parking lots commence. Réno-Dépôt, Party Store, Dollarama, Bureau en Gros, Home Dépôt, Ordinateurs Canada. Elvis, by Baz Luhrmann. The bulk of my sculptural vocabulary – which I must express without a driver’s license. I walk a ladder back from Réno-Dépôt and Uber an office chair from Bureau en Gros because my 30-dollar dolly from Bureau en Gros can’t handle the dip from the sidewalk into the crosswalk.

         

        Without a real address, the internet won’t let me get the internet I need to research the sculptures I want to make. “Just tell them you’re unit 901, no problem,” advises Marsha.

         

        Right. I buzz outside Vidéotron. The staff locks me in the store with them. I perform my little white lie about being unit 901. No go. Why did I even bother following Marsha’s instructions?

         

        I make a show of double checking my insurance contract. “Ah non, je veux dire, le local 903.” I explain that the unit is physically real – here is my insurance contract which proves it, but – the Vidéotron manager jumps in. Since I am a business account, it doesn’t matter if my unit doesn’t exist in the eyes of Canada Post. “Fantastique!” The manager will pass on my information to Vidéotron Affaires, who will call me back ce jour-même, lundi au plus tard.

         

        Samedi. I need an antagonist for my animation video. I call my mother. She can’t stop talking about tree roots, drainage ditches and property lines. Of course the neighbour is trying to kill her pine – again. “She digs another inch, I’m phoning the city!” Hello KAREN.

         

        Lundi, mardi. I merge my mother with the neighbour she’s feuding with and add a whole lot of right-wing kitsch – mercredi, jeudi – because I can, because this is an animation video. Anything is possible, even the internet!

         

        Vendredisamedidimanchelundi — apparently I fell off the spreadsheet at Vidéotron, but so what. Because when I go to drill a hole in the wall so I can hang up my jacket, I find out there’s no juice coming out of the walls even though the lights turn on so how are you gonna plug in a modem anyways but thank God for the 2nd email about fire alarm drills (which I read at home) because that’s how I discover the existence of the JUNIOR MAINTENANCE MANAGER who miraculously gets me connected to power but while I’m out at the bike shop with a flat I miss the phone call from Vidéotron to process payment so add another five days. MARSHA doesn’t care. In this airport, in her life, everyone is always standing around, waiting to get scraped.4 Is that even consensual? I ask. MARSHA rolls her eyes, overselling. Losing patience, I suplex Marsha5 – who might as well be the BUILDING MANAGER, who might as well be my animation collaborator – off the adder onto the SPANISH ANNOUNCE TABLE, which is what I’m calling the table where my computer – hooked up to the internet – will be. Of course I’ve already strewn its surface with a bunch of thumbtacks from Bureau en Gros. Thank God the table actually breaks.

         

        Mercredi, I think. The KAREN DOLL is rigged with a wooden spoon in her left hand and an assault rifle in the right. “Let’s talk about international objects,” says the KAREN DOLL. “I can’t talk about them on the Peephole Network, but I can talk about them with you in private. International objects protect mommy, daddy and the whole family. Our homes, our steeples, and all of our peoples! So don’t be scared, boys and girls! International objects know that if you don’t deserve to die, you won’t!” But, will people think the wooden spoon is the international object? “Don’t overthink it, the art audience doesn’t even watch wrestling.”

         

        Jeudi, vendredi, samedi… Euphemisms shouldn’t hurt even while they’re slowly or quickly killing you. “Calendars murder Art,” says Marsha. Shut up, Marsha. Why am I hearing the electrician next door?

         

        ***

         

        SHE’S BACK !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
        screams the UFC’s marketing department. CINEMATIC RONDA moves through oversized rooms, carefully balancing a blank expression on her face. So this is what superstardom looks like. CINEMATIC RONDA is truly alone in this house – and in this sport! After all, no other fighter is repped by William Morris Endeavor. But what do all these rooms have to do with Amanda Nunes? After a staircase, CINEMATIC RONDA runs into Stephen A. Smith on a TV monitor. “Is that about you losing, or is that about you not living up to the image that you created?” asks Stephen A. Good question. Did RONDA really create her image? Or did she recreate herself in ‘her’ image? I mean, is anyone home?

         

        Umbrella, meet sewing machine. Now I can’t hear the electrician next door anymore.

         

        CINEMATIC RONDA shuts off Stephen A. with the remote and exits onto her agent’s balcony. Behind her back, Amanda wrecks shop in the Octagon for about 5 seconds. On the balcony, CINEMATIC RONDA stares across an abyss. That’s not Holly Holm on the other side, those are the HOLLYWOOD HILLS. CINEMATIC RONDA is walking into this fight with just her story — she’s a game changer out for redemption, it’s written all over her face. What’s-her-face — Amanda– has lots of weapons, but no story and no name. CINEMATIC RONDA is supposed to win.6 Got it.

         

        I ask the painters in the hallway if I can borrow their mop. At first, they think I’m asking them to clean my floor for me. Once we clear that up, the woman offers to show me how to use the mop, but I already know how because I’ve been both a painter and a janitor but I don’t tell her this. Am I looking for someone to clean my “office”?

         

        IN A WORLD WHERE –

        1- No way UFC president Dana White will allow his light weight champ Conor McGregor to fuck off for a year just to train for a fight in a totally different sport!

         

        2- No way the Nevada Athletic Commission will sanction a match between a 49-0 professional boxer and a mixed martial artist who is 0-0 in professional boxing!!

         

        3- Dollar bills arrested mid-air. Frozen women. This is boxing!!!

         

        4- International objects taste like chicken, like the chicken you had for dinner last night.

         

        5- Why stop short of frog legs?

         

        6- Wtf, that’s Dana White up on the stage, sat right next to Conor.

         

        7- I smell a bitch, says Floyd Mayweather.

         

        8- Nouille de pool.

         

        Dear Santa : All I really want for Christmas in July or preferably April though May is good too, is a pair of 8 foot ladders. You see, I need them to make sculpture with AND I need them to be sculpture. For example, I could use them as scaffolding for lights and to hang things from. Because, Santa, it’s too complicated for me to drill into concrete. Or I could use them to touch the ceiling and the hooks that are already in there and for that, my 6 footer is too short. Also, I think that aesthetically, a pair of 8 footers will go well with the 6 footer I walked over last weekend and together they can star in a soap opera or act like they’re in a TLC match. I already have 8 steel chairs and a couple tables so you don’t need to get me those.

         

        Finally running out of rooms, CINEMATIC RONDA circles a date on a calendar on the wall.

         

        Santa, I’m only asking because last time I checked, Réno-Dépot doesn’t have any 8 footers on the floor only 6 footers or 10 kilometer extension ones, and the Home Depot is but an orange speck in the distance so I don’t want to walk an 8 footer from all the way over there even if they do have them in stock. You’ve got the reindeer so it shouldn’t be that hard for you.

         

        “Get the bag,” says Floyd to his entourage. Ah, the mysterious backpack sat on the stage. What could possibly be inside it. The crowd – the real bitch here – obediently screams into the long pauses Floyd leaves for them. Verse or curse, it doesn’t matter : the pacing is excruciatingly slow. Floyd tells his DJ to start the music. Sample lyric : “McGregor is a bitch.” I think of the secret column of dead air at the heart of each and every pool noodle. Sat on his stool, Conor chews gum with oversized nonchalance, opening and closing his mouth like he’s letting little fish in, one at a time. Scavenger fish, maybe – picking at shreds of innuendo stuck between the Irishman’s teeth. But-it’s-not-racist-to-say-that-in-Ireland, fook da Mayweathers, Connor With Two N’s is a bitch, Floyd is a pussy, both men have pillow fists. Floyd tosses dollar bills all over the “stripper” McGregor. “They’re all ones!” Conor exclaims. It’s a four-city tour.

         

        ***

         

        OHHHHHH!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
        “People! Let’s stop this Ronda Rousey nonsense, ok!… She gonna retire go do movies she already has a lotta money come on!” — Amanda Nunes.7

         

        UFC RONDA loses to CINEMATIC RONDA. Both Rondas lose to Amanda. The Rondas wake up in the body of WWE RONDA. WWE RONDA points – and points, and points and points — at the sign. The memes come hard and fast. This is pro wrestling. Everything is.

         

        It’s weird talking about Conor as the B-side, but this is boxing, where it’s all about unfair advantages. But hear me out – why couldn’t Conor McGregor, the best boxer in all of Mixed Martial Arts, beat Floyd Mayweather, the greatest boxer of all time? I mean, Floyd’s over forty, coming out of retirement, and was never known for knocking people out. And, he’s never had to solve for an MMA boxing stance! Would it even be that big of a deal if Conor –

         

        I press 9, it stops at 10. Security shows me the special trick : When it stops at 10, you slide the grille all the way up. Then you open les portes just a little – like so – then close them again. Then you slide the grille down and hit 9 again – voilà, the monte-charge drops down to 9.

         

        WWE RONDA pushes spelling mistakes around her mouth before WE WANT BECKY!  dropping them off partially or wholly chewed WE WANT BECKY!  into the microphone. WE WANT BECKY!  The honeymoon is over.

         

        We exit the prairie bar after just one drink to rendez-vous with Chris’ grandma on the Correction Line. 8 Zero kmph is the best speed to take in the rhythms of the swaying wheat. Beauty is all around. Chris’ Grandma pops the trunk. It’s full of root vegetables — cucumbers or zucchinis, I can’t tell. The organisms swoop and curve like swan necks. Grandma toots on one like it’s a saxophone.

         

        ***

        100 MILLION DOLLARS LATER –
        “He lost the fight, but he won at the game of life,” trumpets MMA media. Overnight, Conor turns into Zombie Simpsons. All across the land, nobody really loses anymore. It’s against the rules.

         

        The WWE turns RONDA heel. Her new gimmick: pro-wrestling is fake, she can actually kill Becky with her bare hands and everyone knows it. WWE RONDA’S contempt for the crowd is electric. She’s human again!

         

        Lundi. The internet comes with astonishing amounts of cable, so much rope to play with. Euphemisms, wrestling promos, objects foreign and international. Some are huge, like buildings, others are small, like a pencil. Some are colourful, like flowers, others are dull and boring, like a pencil sharpener. Some are endlessly photogenic, like Jake and Logan Paul.

         

        I get on my bike, weaving around the knee de pools past industries I don’t understand. The Paul brothers are the worst possible potholes – but roads are fake news! The Pauls are not even professional athletes. Doesn’t matter. They’re 20-somethings famous for doing something on YouTube that 11 year old boys really like. Doesn’t matter. They’re here to rip the world of combat sports a new one – and UFC President Dana White too.

         

        GIVENS

        1- Most MMA fighters retire with broken bodies and small bank accounts.

        2- Dana White will bite on almost all your feints.

         

        THE WORLD ACCORDING TO JAKE AND LOGAN PAUL

        1- Call out the retired MMA fighter in his late thirties, who’s a former Olympic wrestler with a hip replacement and a reputation for being the worst striker in the history of the UFC.

        2- Not like he can take you down if it’s a boxing match.

        3- Excellence is elitist, but not when you’re just imitating excellence.

        4- KA-CHING! It’s not all ones.

         

        24 hours after signing to fight Jake Paul in an 8-round boxing match, retired MMA fighter Nate Diaz (39 years old, ju-jitsu specialist) chokes out a professional Logan Paul look-alike in a street brawl. The real surprise is that the brawl, which took place in New Orleans, wasn’t sanctioned by the Nevada Athletic Commission. WrestleMania 39. Logan Paul does a frog splash off the ring post onto fellow Youtuber and former celebrity boxing rival KSI, who is dressed up as a giant bottle of Prime energy drink. We created PRIME to showcase what happens when rivals come together as brothers and business partners to fill the void where great taste meets function.8

         

        Nesting in the void between the inner and outer windows, I continue plotting how to break into my studio. Yes, I can live on spiders and sunshine, just like all the other pigeons.

         

        Endeavor, UFC’s parent company, acquires the WWE.

         

         

        1. The Ultimate Fighting Championship is an organization which promotes Mixed Martial Arts (MMA) fights. These are competitive (i.e. real) fights. World Wrestling Entertainment, Inc. is a professional wrestling promotion, which promotes scripted (i.e. fake) fights.
        2. Character Animator is an animation software from Adobe. Rigging is an animation technique which determines how your character moves. Rigging is also found on sailing ships.
        3. Specially formatted text was generated by Sudowrite, an AI powered writing app.
        4. Scraping is the process of extracting data from websites.
        5. A suplex is an offensive move used in amateur and professional wrestling.
        6. I am describing and quoting from a video produced by the UFC to promote Rousey vs. Nunes at UFC 207, Dec. 30 2016. This was Ronda’s return after her shocking defeat to Holly Holm at UFC 193.
        7. Quoted from Amanda Nunes’ victory speech at UFC 207.
        8. Marketing material for PRIME Energy drink.

        L’Original, 4 janvier 2023, Hull

        Aimée Lalonde

        C’est le 4 janvier 2023 à la taverne «L’Original» située à Hull, Gatineau. L’entrée principale se situe au coin de la rue Eddy et Vaudreuil. La clientèle est surtout masculine et le personnel féminin, à l’exception du cuisinier. Ma présence n’incommode pas les réguliers accoudés au bar qui à mon arrivée me font un signe de la tête en guise de bienvenue. Bien que L’Original soit l’une des plus anciennes bâtisses de la rue Eddy, l’intérieur d’origine est entièrement recouvert de contre-plaqué et les murs de brique de peinture aérosol. Le cuisinier m’explique que le bar a été racheté en 2018, d’où l’aspect fraîchement rénové, et que le plancher original, en bois, est caché sous un plancher flottant, plus facile à nettoyer. Assise sur un fauteuil en faux cuir rouge sang je peux observer à distance l’ensemble des lieux. C’est un début de soirée. Qui dit début de soirée, dit tranquillité.

        Il est 18h37.

        Le plus jeune client est dans la trentaine. Il quitte après avoir joué aux machines à sous. Nous sommes quatre : la barmaid, le cuisinier, un client régulier d’une soixantaine d’années et moi, toujours assise dans le fauteuil rouge sang, à deux pas de la sortie d’urgence et des toilettes. La barmaid me raconte que la pluie du mois de janvier et les dépenses des fêtes expliquent l’absence de client·e.s : «C’est pas le bon temps d’l’année. Les gens ont pu d’argent».

        L’Original a plusieurs fonctions signalées par la décoration et les commodités. Dans l’espace ouvert, on peut distinguer 3 zones d’activité : le bar, un espace réservé à la consommation d’alcool et à la socialisation; la zone des machines à sous; et enfin, l’espace réservé au dancefloor et au karaoke, sous une boule disco fixée au plafond. En fait, dès lors que mon attention se porte sur les luminaires, je remarque que ceux-ci contribuent à distinguer ces trois zones. J’ajouterais aussi la zone des toilettes, très peu éclairée, qui se trouve à donner sur la porte de la cuisine. D’ailleurs, ayant discuté avec un ami plus tôt au bar, nous avons remarqué que les luminaires promo décoratifs de marque Budweiser ressemblent aux lampes à l’huile qui étaient jadis suspendues dans les mines. Cet élément rejoint peut-être une clientèle.

        Vu la tranquillité des lieux, le cuisinier ferme la cuisine plus tôt que prévu. Il m’amène une crêpe-repas que nous partageons, assis au fond de la salle. Nous sortons ensuite fumer une cigarette par la sortie d’urgence qui donne sur le stationnement, à l’arrière de la bâtisse, au coin des rues Vaudreuil et St-Jacques. Le cuisinier me propose de fumer dans sa voiture pour éviter la pluie. Nous discutons lâssement de cette journée sans client·e.s. De loin, je vois des containers, dont ceux de la friperie St-Vincent-de-Paul. Une voiture s’arrête. Ce qui semblait être une voiture de police est en fait la Volvo Rockland noire d’une dame venue déposer ses déchets près des containers. Nous rentrons.

        Le bar est vide. Voyant la mine fatiguée du cuisinier, nous nous disons aurevoir. Il rentre chez lui. Je décide de rester quelques heures de plus. Le temps s’allonge.

        Il est 19h36.

        Un nouveau client portant un béret entre dans le bar. Il doit avoir la soixantaine. La barmaid, S, parle à voix haute au téléphone. Son interlocuteur est sur le haut-parleur. Le client s’assoit et attend un signe de la serveuse qui poursuit sa conversation téléphonique. Un toussotement se fait entendre. Je remarque alors une dame seule assise loin du bar, près des fenêtres entre les zones machines à sous et dancefloor. C’est M, une seconde barmaid. Ses cheveux blond platine illuminent ce coin sombre et inoccupé de la taverne. Après quelques minutes à fixer la salle, celle-ci décide d’aller voir le client au béret assis au bar. Ils semblent se connaître. Par politesse, la barmaid, M, lui demande quand même ce qu’il souhaite boire. Ils communiquent en anglais. Je n’arrive pas à comprendre leur échange à cause du haut volume des télévisions qui diffusent toutes une game de hockey; la même game. Je décide de me rapprocher de la zone bar. Je garde mes distances afin de ne pas interrompre la conversation.

        Une fois son appel téléphonique terminé, la barmaid, S, vient me voir. Un second client entre. Il est dans la fin trentaine. Il porte un gilet des Sénateurs d’Ottawa, une équipe de hockey. Alors que la barmaid, M, me parle de l’industrie de la restauration, l’homme au gilet des Sénateurs commande une grosse Coors. Je commande un café. Un troisième client, lui aussi dans la soixantaine, se joint à nous. Il paie directement sa petite Budweiser à la barmaid, S. La machine à café Keurig fonctionne par intermittence. Je me permets d’aller derrière le bar vu ma complicité avec la barmaid, S, en cette journée tranquille. Le café finit par couler dans ma grosse tasse blanche. «Veux-tu du lait ou de la crème?» demande-t-elle; «de la crème». Elle sort lentement du frigo un berlingot de crème et le dépose devant moi, sur le bar.

        Mon voisin au gilet des Sénateurs me regarde de temps à autre. Quand nos regards se croisent, il se crispe le visage en guise de sourire et se retourne, absorbé par la game—vers les 75 pouces d’écrans plasma fixés au mur—du hockey junior : des Canadiens contre des Américains. À ce moment, nous sommes cinq. Deux d’entre nous ne parlent que l’anglais. Je décide d’aller fumer. Les deux Anglais sont déjà dehors, l’un du côté de la rue Vaudreuil et l’autre du côté de la rue Eddy. Il pleut. Je reste à l’intersection, à peine protégée par la marquise. L’anglais fumant sur la rue Vaudreuil m’aborde en premier. C’est l’homme au gilet des Sénateurs. L’homme au béret reste en retrait de son côté de la rue. On parle de la pluie et du fait qu’il fait moins froid que lors de la grosse tempête d’avant les fêtes. La conversation ne dure pas. La température humide nous force à entrer et nous retournons à nos places respectives, téléphones intelligents à portée de main. Le client au béret demande quelque chose aux barmaids, S et M, dans un anglais difficile à décoder. La barmaid, M, obtempère. L’anglais n’est finalement pas sa première langue. Un accent est détecté.

        Je me retrouve seule de mon côté du bar. Les deux Anglais fument dehors à bonne distance l’un de l’autre. À chacun sa rue. Cette fois, l’homme au béret est sur la rue Vaudreuil et le jeune homme au gilet des Sénateurs est sur la rue Eddy. J’aperçois un juke-box moderne typique des tavernes de Hull, que ce soit à la brasserie de l’île, à la taverne Montcalme ou ici. Il est éteint. On me dit que ça fonctionne comme une télévision, c’est-à-dire avec une télécommande. On me dit que les barmaids, S et M, gardent la télécommande derrière le bar, que l’on peut convertir une pièce de deux dollars canadiens et obtenir quatre crédits de juke-box moderne (une chanson coûte deux crédits). Considérant que tout le monde semble être venu pour le hockey, ou par habitude vu la tranquillité, je renonce à choisir une musique et retourne m’asseoir.

        La musique sera pour plus tard.

          Échanger et (se) changer autour d’une remise

          Anykrystel Coppet Sarah Chênevert-Beaudoin

           
           

          La Remise

           
           

          Sarah Chênevert-Beaudoin

          L’histoire du début de la Remise est quand même belle. Il y a un an, à la fête du travail, je m’en allais graduellement vers un burn-out. Je n’étais plus fonctionnelle. J’étais prête à tout lâcher… ma job, etc. Et là, je me suis dit: «okay, ça suffit d’être sérieuse, là. On met tout ça aux poubelles; on arrête d’être avocate». Et donc voilà, un an plus tard, dans ma cour, j’ai une friperie dans ma shed. La Remise, c’est comme une cabane quand t’es petite. Des fois, je passe le balai, puis je me sens comme si j’étais… comme quand je jouais à la maison quand j’étais petite. Je peux dire que la peinture à l’intérieur, c’est «corail de Chine, la couleur. Euh?! [elle éclate de rire] Que MM, avec des powertools, elle m’a installé des supports. Il y a des vêtements…

          Anykrystel Coppet

          Pendant que tu décris la Remise, je vais aller fouiner, voir ce que tu as, là derrière. Comme ça, ça donne plus de vie à cette oeuvre!

          SCB

          Et là maintenant, il y a Anykrystel dans la Remise, dont les vêtements devraient être sur les racks! Au mur, il y a une magnifique peinture verte qui vient de l’Armée du Salut, sur la rue Eddy—à Hull, Gatineau. C’est une femme nue, cubiste. J’aimerais qu’un historien de l’art viennent m’en parler. Quand j’ai ouvert, je venais de passer tout l’hiver à l’Armée du Salut, ce qui faisait partie de mon processus thérapeutique. J’y allais une ou deux fois par semaine, pis j’avais vraiment choisi tous les vêtements que je voulais vendre. Beaucoup, beaucoup de robes, des super belles matières : la soie, le coton. Mais cet été, comme j’étais partie, j’ai surtout demandé aux gens de me donner des vêtements parce que j’avais pas le temps d’aller chercher des choses pour l’automne. Donc là, c’est surtout des dons. Donc ça c’est chouette, parce que je donne l’argent des ventes à un organisme qui vient en aide aux survivant·e.s de violences sexuelles, le Ottawa Rape Crisis Center1. En fait, le déclencheur du burn-out, à part d’être avocate, c’était des traumatismes sexuels qui ont été comme déclenchés par le travail. Donc moi, je suis contente que ces organismes existent parce que voilà, ils soutiennent des gens qui ont besoin d’aide. Voilà la Remise.

          Le Merle

          Cette expérience de la Remise, Anykrystel, elle fait écho aux ateliers collectifs que tu as initié durant la même période.

          AC

          Oui. J’ai accompagné, ou plutôt, marché avec des personnes qui étaient en réflexion avant de provoquer des changements importants dans leurs vies, à l’approche de leur fin de carrière plus précisément. Ça a commencé pendant la pandémie, alors que tout était encore bloqué et c’est inspiré d’une démarche d’accompagnement que l’on appelle le Cercle de legs professionnel crée par Diane Doyon, et à laquelle je me suis formée en France.

          Avec la pandémie, on était en mode télétravail et tout le monde se posait beaucoup de questions. À l’époque, je travaillais au développement culturel dans la région ici et j’étais déjà en mode: «Ah! je sens que j’arrive à la fin de ce que je pourrais donner, puis il faut que j’aille explorer autre chose», voilà. J’en étais là. Je m’intéressais aux personnes qui sont à quelques années de la retraite. Je voulais pouvoir les accompagner, discuter avec elles. Puis, m’est venue l’envie de mettre en place la démarche du Cercle de legs professionnel. Malgré la réalité pandémique, on s’est réuni·e.s en personne… On avançait ensemble, on reculait, on notait nos remarques, nos étonnements. C’était délicat, mais super intéressant pour nous tou·te.s.

          Concrètement, effectivement, c’était de voir ensemble comment on se voyait pour les prochaines années. Parce qu’il y a autre chose… Vous avez des personnes qui ont travaillé pendant XY année et qui ont besoin d’aide pour bien clore cette étape.

          Malheureusement, pour plusieurs c’est un peu le clap de fin. L’objet de cette démarche collective vise à revenir sur ce que vous gardez, ce que vous cédez, ce que vous léguez, etc. Tout cela permet de quitter le monde du travail la tête haute.

          lm

          On parle d’une fin de la «vie utile», active ou productive de salarié·e.s?

          AC

          Oui, c’est ça. Mais ça n’était pas de l’accompagnement à la retraite. La richesse de cet échange-là, c’est qu’on était entre pairs. Chacun·e était prêt·e à partager, à s’entraider. À ce moment-là, j’avais envie de m’arrêter sur les parcours. Les gens réalisaient que la vie ça n’est pas simplement : «je travaille, je vais au boulot, je vais en vacances, je paye mes factures, etc.» Tout d’un coup, ensemble, on pouvait se parler, se toucher, se réunir sur un autre mode. Les choses les plus importantes s’imposaient et cette période, on peut dire que l’évènement pandémie nous a aidés. À ce moment-là, avec Sarah, on s’est rapprochées, on s’est mises à faire des balades… à avoir des discussions en parallèle de nos boulots.

          SCB

          Pour moi, c’était un truc de santé, la pandémie et des questionnements sur ce que je faisais de ma vie; des trucs du genre : «j’ai pas étudié le droit pour faire ça! Comment ça je suis rendue là?» Avec Anykrystel, on a fait davantage connaissance en arrêtant de travailler toutes les deux en même temps, par choix ou par obligation. Elle et moi, on a des parcours quand même similaires. Elle a plus d’expérience que moi; elle aussi a étudié en droit, on a toutes les deux oeuvrées dans le social, etc. Je trouvais chez Anykrystel une sagesse. Elle me disait : «Ah moi, j’ai toujours fait des pauses». C’était magnifique. Elle me répétait: «Je me pose», ce qui n’existe pas beaucoup dans mon monde d’avocate. Et donc à chaque fois qu’on se parlait, quand j’étais vraiment à plat, ça me donnait du courage. Je te voyais aller, et puis tu me disais «Je me pose. C’est ce que je dis aux gens. C’est ça que je fais.» Ça a créé tellement d’air pour moi.

           

           

          Bifurcations

           

          AC

          Dans mes rencontres, je dirais que les personnes se font plaisir. Elles s’écoutent davantage; sont plus présentes à elles-mêmes et aussi, comment dirais-je… elles se protègent et deviennent sensibles à détecter ce qui avant… les effaçait.

          SCB

          C’est beau ça.

          AC

          Il faut dire qu’entre 2021 et maintenant, c’est deux choses. C’est une transition qui dans 5 ou 10 ans sera plus claire pour tout le monde, je pense. Les dernières années ont révélé des situations, des tensions qu’on a laissé perdurer et qui sont parfois liées au racisme, à l’intolérance, etc. Maintenant, on est beaucoup plus sensibles à tout ça, on touche davantage l’humain. Mais, il faut le rappeler : c’est à ce moment là que ça a explosé; le harcèlement… les formes de harcèlement qui existaient depuis toujours, mais qui ont été révélées. Malheureusement, c’est un peu comme une cocotte minute : sous la pression, certain·e.s n’osent plus être elleux-mêmes. Inversement, d’autres osent, mais du côté mauvais… et il faut faire avec ça.

          lm

          Dirais-tu que le racisme s’exprimait plus librement?

          AC

          Plutôt de l’égoïsme, je dirais. Dans les petits détails, on sent qu’il y a de l’impatience. Donc pour défaire ça, on est passé à autre chose qui s’oriente vers la communauté. Et par exemple, je trouve qu’avec la Remise, Sarah, tu crées un lieu, une ouverture, une détente, un lieu de passage pour le quartier. Ça n’existait pas et maintenant des gens viennent d’un peu partout et se rencontrent. C’est super. C’est cette idée de l’impact qu’on peut avoir localement, quand on décide… quand on prend le temps, quand on ose enfin. Voilà ce que ça peut donner. On ne se rend pas compte tant qu’on l’a pas fait.

          SCB

          J’ai pas trouvé ça facile de m’arrêter, de dire aux gens «j’arrête, je vais devenir barista, je vais ouvrir une friperie. Fuck ça ma carrière d’avocate.» C’était tellement une évidence quand j’étais avec Anykrystel; à la fois par sa spiritualité, à la fois à travers son expérience professionnelle, à la fois pour qui elle est … Tout ça me faisait tellement de bien au moment où, voulant ouvrir une friperie, j’avais une gêne du genre : «Ah mais mon Dieu, mais c’est superficiel comme projet, parce que c’est du linge!» Puis, Anykrystel elle à toute une garde-ro… premièrement, pour les gens qui qui liront le texte, iels ne verront pas qu’Anykrystel est toujours habillée d’une façon qui fait un bijou pour l’oeil. C’est toujours magnifique et ça fait vraiment du bien, surtout en banlieue, de pouvoir dire : «c’est magnifique ce que tu portes». [rires] C’est remarquable! Et ça crée de l’espace pour moi. Tu sais, comme «ah ! des couleurs, des textures… Merci!» Mais bon, j’étais comme gênée de dire «Ah! moi j’ai envie d’ouvrir une friperie», parce que je trouvais que du vêtement, c’est superficiel. En côtoyant Anykrystel, j’étais plutôt comme : «Ah non! c’est légitime». Pis là, il y a toute une transformation possible qui se fait.

          AC

          En tout cas, pour ma part, ça n’est pas superficiel. C’est le vêtement. Parce que dès que je commence à le voir comme quelque chose de superficiel, j’arrive pas. Je sais que c’est vu comme ça, mais bon… Voilà l’important : quand je vais dans les friperies, c’est aussi pour retrouver ces anciens vêtements bien coupés et qui ont une histoire! Tu peux voir comment ils correspondent à telle ou telle morphologie. Or, avec tout ce qui est production de masse, on dit : «Bah tiens! Ça, c’est la mode. Tout le monde peut rentrer dedans.» C’est pas vrai! Donc arrêtons ça! [rires] J’ai bifurqué là!

          On a parlé du corps, on a parlé de parcours de vie, de changements profonds, de style vestimentaire… À ce moment, je suis allée à la rencontre de personnes afin de mieux comprendre le désir et les décisions de changement. Et c’est ce qui a donné l’émission Déclic, que j’ai proposé à une télévision communautaire de la région. On a traité différents exemples, dont celui d’un couple qui travaillait dans la comptabilité et en informatique, je crois. Iels venaient de France et se sont établis dans la région. Ce couple a décidé d’ouvrir une épicerie africaine et ça a marché! Iels m’ont raconté leur histoire, c’était super génial. Il y avait aussi cette artiste qui travaillait sur la rue principale à Buckingham, dans une galerie d’art, et qui un jour décide de tout arrêter pour aller travailler en forêt. La question était : «qu’est ce qui a fait, à un moment donné, que vous décidez de tout changer?»

          SCB

          Pour moi, la pandémie et mon travail avaient écrasé toute forme de désir. Je ne désirais plus rien. Et j’étais très triste quand j’ai constaté, complètement brûlée, que si on me demandait : «Mais toi, t’as envie de quoi?» Je n’avais aucune réponse. Je me disais : «Oh mon Dieu, je suis loin de moi-même», parce qu’à la base, je me considère comme quelqu’un de vraiment désirante. Alors, je me suis mise à écrire. Et écrire tout ce qui me passait par la tête—sans filtres, sans jugements. Tu écris sans juger, sans te demander si ça va se réaliser ou combien d’argent ça va coûter. J’étais donc dans cette logique là : «Ok, ça me tente, je le fais».

          AC

          Tu vois, c’est tellement important parce qu’on a tou·te.s quelque chose qu’on aime faire et qu’on fait spontanément. Là, je parle vraiment de choses que tu fais sans avoir pris de cours. Tu vois?

          SCB

          Des trucs que tu ferais avec plaisir, sans être payé·e.

          AC

          Exactement. Un truc que tu fais quel que soit le mood dans lequel tu te trouves. Par exemple, il y a des gens qui adorent faire le ménage, qui sont obsédés du ménage. Je dis bravo, parce qu’iels aiment ça! Et là, tu comprends que ce serait intéressant si chacun pouvait faire vraiment ce qu’iel aime. Ça changerait le monde. C’est cette idée qui dit : Sarah, c’est Sarah, donc sa Remise elle l’a fait. Si une autre personne se décidait de créer un projet similaire, et bien ce serait complètement différent.

          SCB

          Je dois dire que j’ai été privilégiée d’avoir accès à la fois aux ressources intérieures et extérieures pour en faire quelque chose. Moi, la pandémie, ça m’a écrasé par terre. Je ne me suis pas dit : «Ah! un temps d’arrêt, Waouh!», J’étais au contraire comme aplatie de stress, de manque, de tristesse… Mais quand on parle de retour à la normale, Oh là là… Moi, j’ai eu une une période… Enfin, c’est un peu comme si on m’avait mis un soufflet à feu dedans, pis qu’on m’avait réanimée. (…) Par ailleurs, je crois que beaucoup de gens sont restés aplatis. C’est dur. On s’est déshabitué·e.s. Plusieurs ont continué à travailler dans des conditions tellement pauvres et sont retourné·e.s à la vie, mais aplati·e.s. Donc quand j’ai retrouvé du désir, j’avais juste envie d’être dans un endroit au soleil, à mettre de beaux vêtements sur des cintres et à écouter ma musique préférée. Et c’est ce que j’ai fait. Après, je dis : «Pouvez vous juste passer dans ma cour pour danser pis boire de l’alcool, s’il vous plaît?» [rires] Mais bon, je dis alcool en blague, mais ça aide parfois.

          lm

          Retrouver du désir, ici et maintenant, ça peut vouloir dire troquer la cour de justice pour la cour verdoyante, ensoleillée et bondée d’ami·e.s. La Remise est ouverte demain après-midi?

          SCB

          Oui! demain, des gens vont venir, on va faire de la bouffe. J’espère qu’iels vont acheter des vêtements parce que j’en ai beaucoup et que les profits vont au Ottawa Rape Crisis Center. Mais bon, c’est aussi une occasion de faire la fête. L’invitation est lancée. Si personne ne vient, et bien on sera cinq. On va manger du Chili. On va mettre du Kate Bush pis on va danser et ça va être super. Donc, c’est vrai! [rires]

          Je ne sais jamais ce qui va se passer2.

          1. En ligne : https://orcc.net/our-team/
          2. Des dizaines de personnes sont venues le jour suivant et près de 900 dollars ont-été remis en don au Ottawa Rape Crisis Center.

          Accueillir l’inattendu — Fait Maison

          Anna Khimasia Thomas Grondin
          T

          La soirée performance battait son plein, mais cette fois, beaucoup d’inconnu·e.s se trouvaient chez moi. Parmi elleux S et T, deux Gutaï qui ont improvisé ensemble une performance en réponse à l’ambiance de Fait Maison. H, C, T, S et moi sentions que quelque chose d’inattendu et de transformateur venait de se passer. Deux artistes japonais légendaires se sentaient interpellés en même temps que ce nouveau public.

          J’organisais depuis 2005 des soirées performance dans ma maison à Gatineau tenant à la fois de la fête, du laboratoire et de la discussion critique. J’étais alors à la maîtrise, et j’envisageais déjà de poursuivre ce projet issu de ma pratique artistique au-delà de mes études. J’ai privilégié une structure organisationnelle légère et versatile capable d’accueillir d’éventuels collaborateurs·trices. Malgré des débuts modestes, Fait Maison offrait enfin un espace de diffusion pour les artistes de performance en Outaouais. Puis, ma demeure est devenue un lieu de rassemblement, de création, et de partage pour Fait Maison, autour d’une communauté solidaire.

          Depuis ses débuts, Fait Maison a beaucoup changé. La maison sur la rue Moussette a été vendue, les membres du noyau dur ne participent plus à l’organisation quotidienne et nos événements performance se font plus rares sur la scène artistique gatinoise. Pourtant la plateforme souple a su s’adapter aux changements sans perdre son identité.

          Depuis 2020, je collabore avec A. Nous nous rencontrons toutes les deux semaines pour développer des projets de commissariat et un livre. Celui-ci portera sur les activités de Fait Maison, et plus largement sur la vitalité du milieu artistique en Outaouais et sur la performance, une forme d’expression trop souvent négligée par les institutions culturelles.

           

          ***

          Les possibilités offertes par l’espace de la maison caractérisent les qualités associées à Fait Maison : l’intimité, l’expérimentation, la collaboration, faire confiance et prendre soin. Ces qualités sont au coeur de tous nos projets, même lorsque nous les transposons en galerie.

          L’Espace de la maison

          A

          Je raconte souvent l’histoire de cette première fois où je suis allée à la maison de T, sur la rue Moussette à Gatineau. C’était en compagnie de notre groupe de maîtrise, et la plupart d’entre nous n’avaient jamais assisté à la performance en direct. Dans un salon bondé, nous étions assis·e.s sur le divan à boire une bière quand soudainement, juste à côté de nous, T, nu, performait Art Must be Beautiful, Artists Must be Beautiful de l’artiste M En fait, T n’était pas nu, mais je crois que les expressions faciales de mes camarades de classe et la proximité de l’action ont donné une impression d’intensité. Cette façon dont chacun·e se souvient de Fait Maison est importante pour nous. Témoigner et construire à partir de ces expériences kaléidoscopiques est central à notre démarche.

          Je me souviens d’avoir assisté à certains des premiers événements où les performances se déroulaient dans une ambiance de fête, ou à l’inverse, la fête avait lieu autour des performances. La frontière était souvent floue entre les artistes et les membres du public. Pour l’art performance et particulièrement pour Fait Maison, cette ambiguïté des frontières est une occasion de remettre en question les conventions artistiques.

          T

          En ouvrant ma maison je cherchais à sortir de la prétendue neutralité des lieux dédiés à l’art. Le comportement du public indique qu’il a compris dès le départ comment ce lieu changeait l’expérience des performances. Même pour les performeur·euse.s, la pratique et les habitudes étaient mises au défi. Il nous a donc fallu un certain temps avant d’oser explorer le plein potentiel créatif et contextuel de la maison. Les exemples de performances s’adaptant au contexte se sont ensuite multipliés. Je pense notamment à R conviant le public à le suivre à travers la maison; ou à M, donnant son bain à S avec l’aide de volontaires du public; ou encore à C, grimpée sur des échasses, assise sur le frigo chez A. À la fin, seule la chambre de mon fils était hors limites.

          Prendre soin

          A

          En entrant chez T, j’avais l’impression que tout était possible, ce qui ouvrait un espace pour l’expérimentation, et particulièrement cela met en avant une qualité particulière d’intimité et une confiance qui se tissait entre nous, les artistes et le public. Assister à ces événements impliquait également de cultiver un certain sens des responsabilités — envers les artistes, envers la maison, envers les autres personnes présentes. Ainsi, prendre part impliquait de s’engager tacitement à prendre soin les un·e.s des autres.

          ***

          Il y a eu des moments où plusieurs se sont demandé·e.s si iels ne devrait pas intervenir durant certaines performances particulièrement intenses. Durant la performance de C, qui vomissait les pages d’un magazine de mode pour s’en faire un masque de beauté. Ou bien quand U s’est mis le pénis en feu, à deux reprises, sous le plafond bas du sous-sol. Cela dit, entretenir cet espace d’ouverture amène à cultiver la confiance; confiance que le / la performeur·euse connaît ses propres limites, confiance que le public est solidaire de son action.

          Collaborations

          D’une bonne vingtaine de personnes au début, les événements Fait Maison en accueillaient plus d’une centaine en 2010. Ces fêtes-laboratoire attiraient des participant·e.s divers·e.s et inattendu·e.s; multipliant entre autres les maillages entre les sphères anglophones et francophones de la région, entre les artistes émergent·e.s et établi·e.s et inspirant entre nous de nouvelles conversations, le respect et la confiance.

          A

          L’interinfluence et la collaboration étaient sans aucun doute un des éléments clés. Les exemples d’artistes travaillant ensemble sont nombreux : A a performé avec V, V avec H, H avec M, M avec M, M avec T, T avec H, H avec G… Des collectifs plus stables ont aussi eu un impact comme V et H avec leurs courtes actions surprenantes et magiques; ainsi que T ou de M et Cie dans des performances aux déroulements épiques et impliquant tou·te.s celleux présent·e.s.

          T

          L’investissement personnel du public a culminé lorsque certain·e.s ont invité Fait Maison chez eux. N nous a accueilli pour souligner le 10e anniversaire de la mort de D; L nous a offert l’occasion d’élargir nos horizons en proposant un événement où la littérature était à l’honneur; V, un Gatinois vivant à Montréal, nous à mis en relation avec la relève montréalaise.

          En 2010, épuisé, j’ai cessé d’organiser Fait Maison, marquant ainsi la fin de la période communautaire gatinoise du projet. Puis, à l’initiative de E, un vieil allié, nous avons organisé un événement très festif chez lui, à l’occasion de nos 40 ans. S’en est suivi une décennie de collaborations ponctuelles impliquant souvent J avec qui je partage désormais ma maison et ma vie.

          A

          Il y a cinq ans, je me joignais à Fait Maison. Initialement un projet de T, son invitation était généreuse et, je l’espère, ma participation générative. Nous avons déjà réalisé des tables rondes, des podcasts, d’évènements performances, un site internet et nous travaillons sur notre projet de livre. La notion même de collaboration est devenue centrale pour nous en vue d’explorer et de développer un travail plus nuancé, plus inclusif et réfléchi. Qu’est-ce que représente pour nous la collaboration? Qu’est-ce que cela implique?

          Avant notre résidence à AXENÉO7, nous n’avions jamais rien organisé ensemble, T et moi. Depuis, nous avons beaucoup partagé sur qui nous sommes; sur ce qui est important pour nous; sur le type de travail que nous croyons porteur de sens; et sur la façon de traduire nos valeurs dans les activités que nous proposons.

          À travers nos divers projets, nous nous efforçons de maintenir la proximité, l’ouverture et la structure organique qui caractérise Fait Maison depuis ses débuts. Nous cultivons cette flexibilité afin de développer de nouvelles façons de travailler.

          De la maison à la galerie

          T

          Très tôt, les centres d’artistes de la région ont invité Fait Maison à collaborer. Nous souhaitions alors traduire l’atmosphère et les possibilités de la maison vers l’institution. Avec Pas ce soir chéri (2009) par exemple, nous avons meublé la Galerie 101 que nous avons habitée comme on habite un logis, incluant les tâches ménagères, la cuisine, le partage des repas, une soirée pyjama, un BBQ, et l’entretien d’un jardin.

          A

          Nos projets en contexte de galeries nous ont amené·e.s à approfondir notre réflexion sur le déplacement de l’espace domestique privé vers l’espace d’exposition ouvert au public. Comment pourrions-nous maintenir une organisation, voire une ambiance fluide lors de nos événements? Et surtout, comment pourrions-nous préserver la confiance, l’ouverture et les formes de l’hospitalité qui font la spécificité de Fait Maison?

          Pour la Suite…

          Collaborer demande du temps. Ce n’est pas toujours une tâche facile. Cela implique des échanges, des négociations, des compromis et parfois des désaccords. Nous espérons continuer à explorer de nouvelles stratégies collaboratives. En 2025, nous présenterons un projet d’exposition à la Maison des artistes visuels francophones1 de Winnipeg, et ce, en collaboration avec Urban Shaman2. Nous réfléchissons aux meilleures pratiques pour amorcer notre travail avec cette communauté; à travers le commissariat, mais aussi comme pratique de bienveillance. En nous lançant dans ce projet, nous espérons contribuer positivement à cette rencontre. Avec l’aide de T, l’un des premiers performeurs à s’investir dans Fait Maisonqui vit désormais à Winnipeg, nous bâtissons un réseau et nous élaborons ce nouvel événement.

          ***

          Depuis ses débuts, Fait Maison a grandi. Après la maison de la rue Moussette, une multitude de lieux nous ont accueillis. Aux collaborateur·trice.s d’origines, des dizaines d’autres se sont ajouté·e.s et nos événements performance se déploient bien au-delà de l’Outaouais. Bien que notre duo porte le nom de Fait Maison, chacun de nos projets est centré sur les personnes que nous rassemblons. Fait Maison est ainsi devenu un état d’esprit qui nous permet d’insuffler l’atmosphère de la maison à nos projets et événements.

          1. https://maisondesartistes.mb.ca/
          2. https://www.urbanshaman.org/about-urban-shaman/

          DOSSIER FAIRE POÉSIE

          Maude Pilon Simon Brown

          une introduction

          FAIRE POÉSIE ouvre une fenêtre sur les manières de faire, d’être et de vivre dans et par l’écriture. On a imaginé ce dossier comme un espace dialogique où tout était à entamer, à nommer ensemble, tant les gestes singuliers qui sont ceux des poètes, tant les conditions matérielles qui tantôt permettent, tantôt entravent la vie d’écriture. On pourrait croire que la poésie flotte en nuage, loin au-dessus de nos têtes, mais elle reste pourtant bien collée à la semelle, le soulier du réel étant constitué autant de transports extatiques que de déceptions profondes. À titre d’exemple, les textes rassemblés ici devaient à l’origine faire partie d’un projet plus ambitieux, un numéro entier du Merle consacré à la poésie. Faute de financement, celui-ci prend plutôt la forme d’un dossier. Comme quoi c’est très souvent la main du capital qui dessine les contours de nos projets.

          Bien qu’elle demeure plutôt inaudible dans les milieux littéraires, la discussion autour des processus d’écriture nous paraît essentielle, non seulement dans la perspective d’encourager l’échange et le soutien entre les écrivain·e.s, mais aussi afin de penser et repenser les pratiques poétiques; de comprendre les conditions dans lesquelles celles-ci s’exercent.

          Dans les textes qui suivent, trois duos de poètes examinent ce qu’impliquent de se mettre au travail de la poésie et, plus particulièrement, de concevoir un dispositif d’écriture collaborative. Quels sont les terrains d’écriture à défricher ou à laisser en friche, et quels contextes pour l’exploration de ces espaces physiques et réflexifs?

          Quel rapport entretenir au réel, à la vie dite ordinaire, à ses exigences matérielles, voire à ses obligations de survie? Quelle place la poésie occupe-t-elle au sein des structures existantes? Le réel est aussi impossible que la poésie, dit le poème qui s’affaire avec consternation, joie et faiblesse à décrire cette impossibilité. Ainsi, pourrait-on dire que le poème enchante, non pas en sublimant le réel, mais en prenant soin des contours du monde insaisis? Anne Boyer écrit que «la poésie la plus importante est toujours la poésie du moment où la poésie est absente1.» En ce sens, on pourrait qualifier le travail des poètes d‘un travail de l’attention. L’attention nécessite un ralentissement du rythme imposé, peut-être même un refus de celui-ci. Le poème interroge donc incessamment la temporalité de l’action. De quels temps sont les poètes? Quelle actualité pour le poème? Quel lien au monde nourrit-il? Lyn Hejinian écrit : «The poet must renounce results and keep on thinking2.» Ainsi, le poème pose un modèle, une manière d’être en tension entre participation au monde et renoncement. Le poème propose-t-il l’ambivalence comme moyen sans fin? Si le poème semble rester pris dans le poème, il n’est pas pour autant en mesure de réaliser cet enfermement. En effet, le poème se relance incessamment au dehors de son propre mystère, mystère gardé par les lecteurices.

          À l’instar de María Zambrano, peut-on dire que la poésie est en son essence même une forme de communauté? «Le poète est celui qui refuse de faire seul son salut ; il est celui pour qui être soi-même n’a pas de sens [car] ce n’est pas lui-même que cherche le poète, c’est tous et chacun3Une communauté de poètes est-elle possible? Et comment? En proposant à des poètes d’écrire à deux, on suggérait aussi de trouver les manières de se lire, puis de sonder les terrains d’écriture communs. Mais souvent, nos réalités respectives rendent évidente notre absence à l’autre. Parfois, il faut faire sien ce déliement. Névé et Lux ont tenté le tout pour le tout : interchanger les approches créatives habituelles — tendre vers un devenir l’autre — pour qu’une rencontre poétique ait lieu. Quelle absence s’offre-t on? Parfois, c’est dans ce moment de déliement qu’on se rencontre dans l’écriture, comme pour Trynne et EJ, indéterminé·e.s par l’espace à façonner ensemble, espace empreint du vertige des retrouvailles, espace déjà occupé par une amitié foisonnante, ici dépliée au rythme de l’énumération des objets réels et épistolaires. Quelle cadence s’offre-t-on? Parfois, on écrit à deux voix, alors que deux n’est plus deux, mais trois. À titre d’exemple, ni la voix de Simon ni celle de Maude ne se manifestent plus, perdues dans une décennie de travail collaboratif. Il surgit alors une énonciation instable qu’il faut apprendre sans cesse à reconnaître et surtout à contredire. Quelle amitié s’offre-t-on? Quelle résistance? Quelle perte? Quelle faiblesse féconde?

          1. Anne Boyer, «Une femme assise à la machine», Quand les agneaux s’élèvent contre l’oiseau de proie, traduit de l’anglais par Olivia Tapiero, Montréal, Varia, 2022, p. 142.
          2. Lyn Hejinian, My Life and My Life in the Nineties, Middletown, Wesleyan, 2013, p. 134.
          3. María Zambrano, Philosophie et poésie, traduit de l’espagnol par Jacques Ancet, Paris, Corti, 2024 [2003], p. 97-98.

          Éclaircies

          Lux névé dumas
          Retranscription à peu près verbatim :

           

          Névé

          Bon matin Lux,
          hem
          voici un message vocal que je t’envoie
          pour lancer la balle sur une conversation
          c’est le matin ici
          c’est la première [heure] du jour
          je m’assois ici avec une pile de livres,
          un café,
          hem
          pis je regarde par la fenêtre
          pis… pour moi c’est comme le moment idéal
          de la journée
          le moment parfait, un moment
          en fait, c’est comme une occasion
          vraiment importante pour commencer à écrire
          ou penser à écrire ou juste même avoir
          une brèche dans la journée
          entre le sommeil pis la journée qui s’en vient
          c’est un moment où est-ce que mon esprit
          est pas trop figé sur les choses à faire
          c’est un état que je peux cultiver
          pis que je cultive
          quand je suis en période d’écriture
          mais que, aussi, je peux laisser vaquer un peu
          pis c’est un espace un peu à protéger pour moi,
          comme un espace qui se cultive
          pis qui peut être menacé, surtout comme
          par le stress
          ou par euh si je ne veille pas à sauvegarder
          ce temps-là
          cet espace-temps-là,
          où est-ce que souvent, ce que j’ai besoin
          c’est du silence
          une fenêtre pis
          un endroit où m’asseoir,
          hem
          je peux vraiment le perdre
          mais c’est un endroit
          spécial que j’aime cultiver
          pis que je veux
          dans lequel je veux t’inviter aussi
          ces jours-ci.
          ok.
          je t’embrasse,
          bye.

           

          ***
           

          lux

          Deux poètes, une discussion à propos de nos écritures. Nous avions commandé le même breuvage au café. Une table de bois, nos voix en alternance. Accueillir névé dumas dans mon univers, moi qui ne sors jamais de la ville. Accueillir névé dumas qui écrit à la campagne, dans une maison que j’imagine toute en bois, c’est ce que j’ai cru apercevoir derrière ses épaules lors de nos conversations virtuelles. Peut-être imagine-t-elle ma maison entièrement construite en gypse. Ce serait presque exact, à quelques briques près. Le bloc appartement dans lequel j’habite tient debout grâce à la tige de vigne vierge que j’ai plantée dans la cour quelques années auparavant. Elle se rend maintenant jusqu’au toit. On me l’avait offerte en affirmant que ces quelques branches brunes, sèches et sans feuilles pousseraient. J’ai cru en cette magie et elle s’est manifestée.

          Cette discussion amorcée il y a deux ans environ, suite à une invitation à collaborer, lancée par des ami·e.s artistes, S et M, m’apparaissait saugrenue mais tentante toutefois, s’est poursuivie en pointillé, morcelée par les saisons. Une correspondance par courriel, quelques messages vocaux, instigués par névé, surtout.

          Elle qui écrit dans la campagne. névé dont je ne connaissais rien. Je ferme les yeux et je rêve de visiter sa maison en bois, de regarder les plantes pousser sur les étagères devant la fenêtre, là où elle s’assoit le matin, en prenant son café. Je ferme les yeux en écoutant ses messages. Je les réécoute. Je n’écris pas.
           
          ***
           

          Retranscription verbatim :

           

          névé

          Bon matin Lux,
          c’est névé.
          hem,
          je t’envoie un message vocal
          de l’espace liminal entre
          le sommeil et la journée.
          (soupir)
          je réfléchis sur l’angle de la lumière sur les arbres,
          sur le sentiment de faim dans mon ventre.
          et je pense à l’écriture,
          sans pourtant écrire.
           
          ***
           

          lux

          Je suis ce poète qui n’écrit pas. J’écoute. Je laisse passer du temps. Les textes se forment comme des rêves. Je me fie à ma mémoire, aux miettes d’éveil, aux pièces à conviction, aux archives. Je cueille toujours mes poèmes in extremis, comme les pommes de fin de saison, avant leurs chutes, avant qu’elles ne deviennent de la bouffe à chevreuil.

          Une région sans vergers ni chevreuils m’a vu naître. Une région sans poèmes sauf peut-être ceux écrits dans le ciel, comme les miens. Peu de gens savent les cueillir, là-bas. Ils les voient sans les remarquer, sauf pour prédire le temps qu’il fera. En Abitibi, les poèmes tombent des étoiles et courent entre les branches des épinettes noires, voyagent parmi les sources cristallines, secrètes, menant à des filons d’or. Enfant, je me demandais comment j’avais bien pu atterrir là-bas. Je rêvais de la ville, de gratte-ciel illuminés, de rues grouillantes de monde. On m’a dit que ça avait changé, depuis mon départ. C’est sûrement vrai.

          névé, toi, tu écris loin de cette agitation. Tu viens d’un endroit assez urbain, toi aussi, pourtant. Près d’une frontière provinciale. Dans ta voix, on perçoit la pointe d’un accent anglais. Je peux comprendre ton choix d’écrire loin des grands centres. Nos discussions portent souvent sur ce sujet. On se compare, on se console.

          On n’échangerait pas nos places. C’est bien.

          Rencontre dans un café. Cet établissement a fermé ses portes il y a quelques jours, alors que j’écris ces mots. Je me souviens encore de la texture du bois verni de la table, mouillé par mon verre embué. Tu étais à Québec. Nous t’avions invitée à lire pendant une de nos soirées de poésie.

          Ces soirées n’existent plus, maintenant. Nous avons cessé d’en produire.

          Tu as lu, éclairée par les mêmes projecteurs qui ont illuminé les visages de quelques générations de poètes avant nous. Là où j’ai moi-même fait mes débuts. Toi, tu as conquis tout le monde présent. Je me souviens de ça, mais pas de tes mots. J’écoutais en coulisses, mais n’entendais rien. Le moteur d’un frigo sous le comptoir du bar vrombissait près de moi. Un éclairage rosâtre sur tes cheveux. Des applaudissements. Tu as dormi chez une de mes bonnes amies, mortifiée en t’apercevant le lendemain que sur le divan, aucune couverture ne t’avait réchauffée cette nuit-là.

          Tu étais déjà partie.

          Pendant des mois, le projet d’écrire ce texte à quatre mains est resté en suspens. Un courriel a ravivé l’idée de poursuivre cette démarche. Je mélange sûrement les événements, la séquence réelle des choses. Tu m’as envoyé une invitation à communiquer via Signal, une application permettant d’envoyer des messages vocaux.

          Je n’écris pas. Parler dans une machine m’intimide. J’ai écouté, sur repeat, les quelques mots arrivés jusqu’à moi, juste pour analyser chaque inflexion de ta voix, chaque soupir, parfois aspiré. J’imaginais ton exaspération dans ta maison en bois, alors que le vent hivernal soufflait sur tout et menaçait d’anéantir tout ce qui osait la verticalité.

          Le sommeil m’a engourdi. Faute de pouvoir bouger, j’ai dormi. Longtemps. À mon réveil, j’ai dû jeter quelques plantes étiolées et sèches sur ma bibliothèque. Mes livres poussiéreux m’attendaient toujours. Un des recueils de névé s’y trouvait, quelque part sous une pile de vieux dépliants.

          J’ai soufflé sur la tranche du bouquin comme dans les films d’aventure fantastique et je l’ai ouvert avec précaution, comme un cadeau oublié sous un sapin desséché, retrouvé longtemps après les fêtes.
           

          Animalumière

          lux

          Une petite plaquette blanche. Le titre, écrit en jaune, éblouit l’oeil. Je m’assois près de la fenêtre. Je réalise que le matin est passé depuis longtemps, qu’il y a tant de choses à faire.
          Je suis en retard
          En retard pour quoi?
          On ne m’attend plus
          Je bois un café, rédige une liste de choses à faire
          Une liste de choses à faire demain
          En premier : Prendre un rendez-vous avec J. Ma cousine J Écrivaine. Mon mentor symbolique.

          Je sonne chez elle. Sa maison de pierre se dresse contre les vents du fleuve depuis des centaines d’années. Sa silhouette frêle derrière la porte de bois noble. Son sourire ressemble au mien. On nous confond parfois. Elle m’invite à entrer. Ses plantes nombreuses quoique jaunies reposent sur des poutres de faux marbre. Du plâtre, peut-être. Sa bibliothèque vitrée touche presque le plafond. Les fenêtres doubles donnent sur la rue Hébert, glacée. Je m’assois sur un divan de cuir, bois le thé qu’elle m’offre. Je fouille dans mon sac à dos et j’en extirpe Animalumière.

          J se redresse sur son fauteuil. Je lis une très grande curiosité dans ses yeux noirs. Elle ne connaît pas le nom écrit sur la couverture du livre. Je lui parle de névé dumas. Je lui raconte tout. Le projet, les périodes d’attente, d’abandon, notre rencontre en personne, sa poésie sur scène, nos messages, ma crainte de décevoir, d’échouer. J me regarde avec bienveillance. Elle comprend.

          Je me sens mal.

          J’ouvre le recueil, lui fais la lecture depuis le début. J m’arrête après quelques pages. J’ai perdu l’habitude de lire à voix haute, je vais trop vite. Elle veut tout bien entendre, bien apprécier. Je comprends : mon enthousiasme nuit aux poèmes, ne leur rend pas justice. J retient sa frustration. Me dire ces quelques mots lui aura pris presque une minute.

          J ne peut plus parler à un débit normal. Une tumeur au cerveau ronge la zone du langage depuis maintenant une vingtaine d’années. Elle mène son combat avec une grâce dont je serais incapable, moi qui pleure dans mon lit au moindre rhume. Pendant que je dormais, ces derniers mois, elle a presque complètement perdu l’usage de la parole.

          Elle saisit un exemplaire du Devoir, choisit un article au hasard. Elle lit avec fluidité. L’espace d’un instant, je retrouve ma cousine, femme fougueuse à l’intelligence vive, qui aime débattre, communiquer, éduquer. Je la retrouve, prof de Cégep, romancière, comme un mirage à travers les mots imprimés. Dès qu’elle pose le journal, elle n’arrive plus à articuler une phrase complète sans devoir pauser à maintes reprises. Nous n’argumenterons à propos de rien ce jour-là.

          Des fois, il ne reste plus qu’à découvrir des poèmes en prenant le temps de savourer les mots qu’on lit, sans en discuter après. Ce n’est pas nécessaire. Des fois, il ne reste plus qu’à boire ma dernière gorgée de thé vert, tiède comme je l’aime.
           
          ***
           

           

          Retranscription à peu près verbatim :

           

          névé

          Salut Lux,
          c’est névé, hem
          [inaudible]
          j’ai vu que M nous relance (petit rire)
          encore une fois pour le projet, hem
          pis
          que la date de remise finale serait mi-juillet,
          hem
          c’est impossible pour moi, donc
          Je pars la semaine prochaine en Europe
          pis je vais être de retour
          [inaudible] mi-juillet, hem
          J’sais pas trop comment… lui dire ça,
          leur dire ça, comment justifier,
          comment ne pas justifier mais,
          hem
          le projet dans le fond, marche pas.
          hem
          [inaudible] moi.
          bin, j’peux lui écrire pour lui dire
          que moi j’suis out,
          malheureusement, mais
          hem
          c’est ça,
          [inaudible]
          moi.
          dis-moi ce que t’en penses.
          bye!
           
          ***
           

          lux

          Donc, j’ai écrit. Sous pression, comme chaque fois. Propulsé par l’urgence. Ce texte, un renversement. La pratique de névé, sous le filtre de l’oralité ; la mienne, via celui de l’écriture. Le matériau poreux de la mémoire et celui de l’archive partielle comme seuls repères, j’ai plongé. névé, tu m’as écrit un dernier texto avant le grand silence :

          Je suis désolée d’entendre que le printemps
          a été difficile pour toi et la famille.
          j’espère que les choses s’améliorent de ton côté.
          ça marche si tu veux écrire de ton bord.
          envoie-moi des bribes si ça te dit
          et je peux continuer à te répondre à l’oral
          via messages vocaux sur Signal de l’Europe
          si les temporalités s’alignent.

           
          Je suis un poète qui n’écrit pas. Mes poèmes reposent sur l’arête des feuillages. Un peu comme les tiens, névé. J’habite dans le plus grand îlot de chaleur de la ville.
           

          l’angle de la lumière sur les arbres

           
          Nous cherchons souvent.
          C’est pourquoi je me perds, quand j’écris. Dans la forêt, je m’oriente mieux, j’arrive à prévoir les tempêtes. En ville je crée à découvert, tout me tombe dessus.
          Je trouverai refuge ailleurs, un jour.
          Un lieu où l’écriture redeviendra plausible.
          Merci névé.

            What Do You Want Out Of This?

            EJ & Trynne

            WE WROTE, WE REPEATED. WE REMEMBERED. WE DID OUR REMEMBERING DIFFERENTLY. WE TALKED, WE WROTE, WE COLLECTED. A RHYTHM SO REGULAR WE FORGOT IT, UNTIL WE PULLED IT TOGETHER. UNTIL WE DROVE TO THE HILL OF WHERE ONE OF US COMES FROM AND WE READ ALL OF IT, BACK AND FORTH, CREAKING. IT TOOK TOO LONG, IT WAS ANOTHER TIME SCENT, UNTIL WE PULLED WHAT CAME OUT OF THE GROUND.

            AS WE TOOK OUR TURNS, OUR MOVES TOOK THE SHAPE OF CORRESPONDENCE: ONE OF US CIRCLING OUT FARTHER AND FARTHER FOR THE FLICK OF A HARDER NEW SHAPE, ONE OF US COMBING THE NEEDLES UP, WATCHING THE WITHERING THROUGH. BOTH OF US LAUGHING AT THE APPLE CORE. WATER BOTTLE GRAND FINALE.

            THIS COLLECTION INCLUDES EACH OF OUR FIRST LETTERS, A LETTER OF EACH OTHER’S EACH OF US CHOSE, AND EACH OF WHAT WE DID WHEN WE SPLIT AGAIN. ONE OF US COMBING THE NEEDLES OF ALL OF THEM, ONE OF US WALKING OUT TO WRITE A NEW LETTER. THIS WAS A PROJECT. IT WASN’T. IT WAS OVER, IT WAS UNFINISHED. WE WANTED TO PROTECT IT. WE THOUGHT WE’D DONE IT WRONG. WE WERE TIRED, SCARED; WE WERE FRIENDS, LIVING. SO, THIS WAS THEN. THEN THERE WAS THIS.

             

            EJ Kneifel   Sun, Mar 12, 2023, 11:16 PM

             

            dear trynne,
            on the table beside my couch there is, in a row,
            – half sphere (v’s green bowl, needle and thread in it)
            – lipped cylinder (candle with tiny white flowers)

            right now, the third is an upside-down cone (your left water glass). its usual right-side up cone (spool of thread borrowed for your sky costume), i have kept on the floor with the plants.

            last summer, i hit my head on n’s building. i sat inside it, on her floor; you taught me what countermapping was on the phone 1. it’s “often used to decolonize space … not a traditional map … not a traditional way of conceiving a place or a space. it’s just the vibes. the mapping of the vibes.”

            last night, in the map of my kitchen, i finally moved the horse painting (hooves smaller than candle-flowers) back to the window. you picked it up when you thought it was funny. i didn’t want to smudge the way you’d conceived of it.

            “where is the rhythm?” i’d asked, head ringing, n’s floor, of your countermap. you’d said: “rhythm is where something hits something else, right? so it must be at the intersection.”

            today at the intersection is a slow eye going up. when i broke up with j, my notebook was open, my computer, open blank. i cleaned my room around it. i cleaned my desk last. i closed notebook, computer, soft cover, hard case, i cleared the scratched wood over and over with the pine / vinegar cleaner i boiled in december with the branch the man gave me in the parking lot. i covered it wholly with the soft gift you made for me everywhere — then the little heart s knit with the tiny skein i found, filled with flax seeds and lavender.

            in the essay “poetics of place,” your darian quotes site-writer jane rendell: “there is a difference between writing about a place and writing a place.” there is a difference between writing about a friendship and writing a friendship. between you being here and me skirting around whatever being-things that you left. between protecting memory above all else and letting movement be part of protection.

            “i made an open space,” you’d said, “between the ocean and the rock.”

            while i stretched in the frame, you asked me “what do you want out of this?” our writing together.

            i want to write not about-the-place (poetry), but write-the-place (poetry) by writing to you (poetry). bc a letter is a direction. trace of that knock, a head and a building, a head and a word, the open space between ocean and rock.

            hello rock, this is ocean. hello ocean, this is rock.

            what do you want out of this?

             

            Trynne Delaney   Mar 19, 2023, 9:55 PM

             

            dear ej,
            there’s this thought-feeling that finds me — it surrounds the situation when a friend comes into your home and you’re compelled to show them something. it’s like the object has existed to find your friend and up until now the affection or affinity you felt for it was a type of guardianship.(here I mean “you” as in “anyone.”)

            when I visited you asked why being in a friends room made me think of high school. it’s something and was something about the poetics, subtext, an entire life in a space where it also isn’t. it’s also just intimacy.

            (here I mean “you” as in “you.”)

            you mentioned the horse, the glass with affection. stable. I stuffed away my guilt for how messy we left our corner on the nights we were absent from the basement. you made me so comfortable I forgot to be afraid of being a bad guest. thank you. and I want everyone to know there’s something about me that’s so good about opening a map but can’t conceive of the way of folding it back up again. // it’s not on purpose. // always looking for my keys.

            the tour you gave n — curation of your insides outsides. even when you’re not you’re so yourself that people want to go along with it. it was impossible to know what he really thought but I got the impression: touched, a small intimacy within a larger one. there is a lot of nesting.

            “between protecting memory above all else and letting movement be part of the protection.”

            the rhythm of our words against each other, the language we are developing, the poetics of this place.

            this place, soaking my feet to type this up now (March 20th) and where I am now (March 13th) is a crowded table. I never cleared up my oatmeal or water glass and k left a Kirkland bottled water on the table with the photos of Tamarind. chickpeas live like a fresh catch meant for travel, pink mesh, and salt and pepper solemn. dried flowers, melted candle, instructions on how to bake the bread, I didn’t follow, my phone, scotch tape, soy sauce, lunch bowl empty of dumplings. I still hate this table in the middle of the room but it’s almost spring, it will move back to the wall. we haven’t cleaned since we came to visit you –everything is out of place.

            for something to have a place still feels dangerous. I’m getting itchy in Montreal but stability is so good for me. if everything had a place in our house, somewhere it belonged, the labour of upholding that would slowly melt me down to a waxy stub. and yet it also happens naturally, things find their places because they’re where they are. you and I both know this well and differently.

            ***

            on your birthday the man on the porch said “if you’re too serious it’ll break your heart” and I focused all my blood on making that a memory. I told you this already but I needed to include it here because you also told me “transness is just towards comfort” and I am trying to listen to the little things people say that move me.

            I am thinking about exit strategies, we talked.

            it takes so long to get back to where we were, another time makes a place somewhere further. I want this place, we are moving like a pendulum — the sound between the tick and tock.

             

            EJ Kneifel  Apr 24, 2023, 2:09 AM

             

            dear trynne,
            always a half skip. i start the notes in my head, recite “dear trynne, dear trynne.” dear trynne, school is over now. there is a silence before work begins. i am trying to really sink into it, let the loud filter out of my brain’s collapse. on my last day of school i wrote from 11-11; the next day we built a garden box; the next day i sanded and refinished my precious desk. i rest. i rest.

            on saturday i spent the morning reading anton chekhov’s play “the seagull” because that night we were going to see k’s ellie act as masha. (i was worried i wouldn’t have time to get flowers, so asked n, who is staying with us for the week, if he could get some on his run. he brought back lilies and we realized together that the knowledge of floral connotations is a subtle outcome of gendered socialization. but i loved them in the end bc they looked like seagulls. ellie in the end loved how they smelled. today they opened up, shy proud in royal blue glass on her table.

            seagull lilies, a copper iris,2 a cloud in the shape of a grand piano. in “the seagull,” boris trigorin complains about the incessancy of noticing:
            here i am with you, i’m excited, yet every minute i’m thinking that the story i haven’t finished is waiting for me. i notice that cloud up there, shaped like a grand piano, and i make a mental note to put that in a story. “a cloud passed, shaped like a grand piano.” a scent of heliotrope. i quickly make a note: “sickly odour, flowers the colour of a widow’s dress, use in description of a summer evening.” i pounce on every sentence, every word you and i say, and store it away for future use. it might come in handy. when i finish a work, i rush to the theatre or go fishing, hoping to relax and forget. but oh no. an iron ball is already turning in my brain — a new idea, and already it’s pulling me back to the desk, and again i have to hurry to write and write. and it’s always like that, always. and there’s no rest for me, from myself, and i feel i’m devouring my own life.

            a copper iris, iron ball turning. as e and i walked home in the middle of the night — toronto night, i’m always thinking, so aware about being here now — she asked how much i think i have to lose in order to make art. as i lost / the thread. as i forgot everything i needed to tell you about the woman sitting next to me at the show, her light pink scarf that said new york new york in white cursive. i didn’t get my footing but i was trying, against losing, to explain to ellie about us. somehow. how it isn’t losing — it feeds. there is a future outside of illusion. outside our seeds are sprouting from the same plants, and we are walking to each other.

            that passage is from david french’s translation, who, “like many of the british and american writers who have translated the seagull … neither reads not writes the language.” the playwright of e’s staged adaptation, simon stephens, also is a non-russian speaker. instead of knowing russian, french “immersed” himself in chekhov’s stories in letters and worked with donna irwin, a tolstoy scholar. stephens “created this version from a literal translation.” french’s goal: “accuracy without compromising the play’s theatrical vitality.” stephens’: “vitality, sensuality, rage, and compassionate spirt of the original.” vitality. vitality. i wonder about language’s life. i wonder about brash entitlement to vitality without language, but also, in french’s case, about not needing to know everything on your own, actually; rather, knowing you know anything by pushing out from knowing towards. the helden hand. the structure made of clasped fingers to lift someone’s foot up over a fence. stephens’ was a “stated goal” — french’s, with irwin, was a “combined passion.”

            i’m not being good, i’m reading too much, biting into too many block quotes, tofu, i’m eating a block of tofu right now, same density, not enough living, the tofu is really good btw, was just what i wanted to chew, but i want to read things or learn things because they mean i will know someone else better. i know comedy because i studied it to talk to nathan. i have no respect for the canon, i told ellie, but the difference is that i read this play as part of the devotional curriculum and instead of it being some transcendent masterpiece it simply meant that i could better know her. that i could know you, because i find things to say to you everywhere. the pinch, as you call it. sickly odour, flowers the colour of a widow’s dress, use in description of a summer evening.

            i’m not being good, i’m reading too much, as i sat next to the woman in the pink scarf after spending all day reading i read in the program: “Stephens says plays are not literary. They are a starting point for a night in the theatre. Welcome to your night.” welcome to my night: i walked home alone — not alone — the birds were chirping. i had read, and it too had been a starting point. a starting point: i’ve never had a spring here, so my body keeps trying to decide i am in other places. japan, often. a montreal moment when i sat for the first time alone in a park. spring here is k’s mom, on that we agree.

            we agree: the piano clouds will keep coming. the questions speed up. the difference: we have someone to tell. atsushi texts me just now, now, 2 in the morning, toronto night, “i wanted to share it here because it feels big to me.” it is big to us. big in japan? big in our minds, rolling the steel ball, copper iris, touching the sculpture, new dinosaur, together.

             

            Trynne Delaney   May 14, 2023, 11:53 PM

             

            dear ej,
            I am asking about omens.

            a couple of weeks ago I had a dream that I was outside and I stepped into a hole. my feet were bare and the stepping was an accident. the hole was a nest, it turned out, and my foot had stepped right onto a red winged blackbird. its bones embedded themselves into the meat at the centre of the sole. it was gory in that my stepping beheaded the bird. it was not gory in that there was no blood. the bird’s mouth was open and inside was an ugly, grey baby bird who was crying out loudly. the baby was dying too, just not yet. the other parent bird was perched on a beam of wood nearby. I hadn’t noticed it until I heard its devastated cries. it was obvious I was the cause.*

            one of the things being tired does to me is put me in a state where meaning-making is irrelevant. I used to think so much about what certain things meant when they coincided with emotion. if I didn’t understand I’d make a story to surround the inarticulable. on my walks to the metro I notice then forget. a few times I’ve sent you pictures for reference. I used to take pictures because I thought things were beautiful– this was when I was a teenager. when I interned at a film company one of the guys told me I had a good eye. it’s true that I only have one good eye. s told me that if I wanted to get good at photography I could just practice after T’s launch. I said I knew that was true but the desire isn’t there, so I just get to appreciate their photos and be impressed when they do art. the only reason I find myself taking photos now is for memory or a joke. beauty is secondary.

            in the park, before this interaction, I read T’s new collection slow enough but almost too fast. the sun was setting behind the forest that is only a forest in the summer. men on the soccer pitch were negotiating teams in loud voices.

            the day after the day after that was the day I wrote most of this letter. I sat closer to the forest and the sun was strong because it was midday. I ate a beef patty and spread my blue blanket in the open field. the book I was reading was Baby Book. the clouds rolled big and fast overhead. it’s a high school writing habit to describe the weather like it means something. doesn’t pathetic fallacy sound like a thing it isn’t?

            eileen myles is chasing me. I’ve only read peanut butter3 but the cartoonist saw them on the plane and before that I’d been trying to find their poetry at the library but they only have Chelsea Girls and for some reason the montreal library system search is horrendous. it’s so hard to find what I want. S was talking about how eileen myles donated $69 at a fundraiser and they thought it was cringe when everyone went “oooOooh.” I said couldn’t eileen myles afford to donate more than $69? like any poet is rich! my mind’s just been on money. S said a lot of other people donated a lot more money at this particular event and the goal had already been met so the only thing left to do was make a joke. I’d latched onto the wrong detail but I wasn’t embarrassed, just ready to leave, glad to have met them.

            I come back to the same conclusions again. if omen  is another word for  sign  it means that it is also an opportunity for choice. omen  is the knowing that choices must be made to let the future come and get me. what I told you is true: this past week I’ve noticed I’m doing better. the weather changed in many ways but I can’t make it make sense yet. suddenly, all the trees were full when I walked to meet f. a cherry tree with fruit that was already decaying stood out — I looked up to make sure it wasn’t a trick. it wasn’t, there were 2 more rotten cherries on the same branch. and the tree was still flowering I started thinking about why I had added the cherry tree memory after the doing better statement and then started to wonder if I was creating meaning subconsciously. then it wasn’t meaning. the image could reach if it wanted to, to tap us on the shoulder and signal something. but it doesn’t yet. it’s waiting.

            T’s poems almost articulate something inarticulable about being in a specific body that is almost many things. affinity. with you too, affinity.

            the stick of hormones in my arm is doing something. I am forgetting pain. I have felt awake 2 times. but I also bleed a very little bit all the time. overall, I think this is ok.

            especially since I have felt myself in the past week even though the hangover made me wonder how to erase “I” from every sentence. it’s the wrong impulse, of course, we talked about it.

            I consider again these questions: what does it look like not to erase oneself from one’s own life? does it look like this? does it look like moving?

            dear ej, I am so grateful for your friendship! so thrilled at the potential of what we can construct. what I want out of this is this. the finding the way back and then laughing at recognizing something we thought we’d never seen before. like a part of town you think you’ve never been to before and then you see it from a different angle and you know — that’s it!
            big love,
            trynne

            * a footnote! no way… when I was half way done this letter I checked back in on yours from last week. I hadn’t remembered the mention of a red-winged blackbird. literally what the fuck??

             

            INDEX OF OBJECTS

            …………………… green bowl, needle and thread, candle, tiny white flowers, water glass, spool of thread, horse painting, little heart, ocean, rock   Sun, Mar 12 2023 at 11:16  PM horse, glass, keys, Kirkland bottled water, oatmeal, water glass, chickpeas, pink mesh, salt and pepper, dried flowers, melted candle, instructions, phone, scotch tape, soy sauce, lunch bowl, dumplings  Sun, Mar 19, 2023 at 9:55 PM  book, sweet potato, pile of books, green bowl, pyramid, dresser, plastic cow, sea glass, rock, rocks, toothbrush, closet, light wash jeans, jean shorts, sweatshirt, gum inside rock, seeds, bag, pot, peas in a pod, stick, cows, rocks, postcards, image?, picture?   Sun, Mar 26 2023 at 11:44 PM   stuffie  Mon, Mar 27, 2023 at 2:07 AM   machine, boxes  Sun, Apr 9, 2023 at 8:41 PM   sunscreen, branches, lamb, wine, dessert, wedding plate, dented table, cigarette ash, wood, tinder, ceramics, dinosaur, cameras, sculpture, copper iris, dog, turtle, sprouts   Mon Apr 17 at 12:28 AM    spider, garden box, desk, seagull, royal blue glass, grand piano, cloud, heliotrope, iron ball, thread, seeds, block quotes, tofu, curriculum, flowers, dress, pink scarf   Mon, Apr 24, 2023 at 2:09 AM   copper iris, dinosaur, snakes, fireworks, skyscrapers, chicken nuggets-fries-andapple pie, phone, streetcar, backpack, bird, comics   Mon, May 8, 2023 at 2:30 AM  red-winged blackbird, beaver slap tail, pink couches, blue light blocker   Sun, May 14, 2023 at 11:53 PM   red-winged blackbird, nest, bones, meat, baby bird, good eye, photos, beef patty, weather, cherry tree, fruit, stick of hormones   Mon, May 1st, 2023 at 1:19 AM   fruit roll up, shelf, pencil, body, tree, alley, pink moving sky, blanket, phone, party, sensory tentacle, serotonin, hole in a wall, slab, half-moon, belly, kitchen table, trail, trash cans, hills, public space, sunset, tree, monks’ garden, crows, dolphins, beach, lightning, red, night, edge of fatigue, camping chair, rash demons, balloons, swimming hole, banana   Mon, May 29, 2023 at 1:48 PM   poem hat, sex arm, soccer ball, strawberries, dishes, plants, rock, balloons, orange, pears, pickles, baguette, crackers, goat cheese, oka, figs, ground cherries, asparagus, lemon, garlic, oil, basil, gnocchi, tomato, heat, charcuterie board, cake, pistachio cream, cherry, warm pit, palm, crackers, orange slice, cherry lavender, three holes, brick, cake, raspberry jam, purple little flowers, jam, bowling ball, box, rock, cake, moon, grape vine, cake, pottery   Sun, Jul 16 2023 at 12:24 PM   thunderstorm, peach, morning, difference, sky, weather, your voice, the difference, difference, little snores, rocks   Sun, Aug 6, 2023 at 10:27 PM   a plane, hotel room, theory, boat, wedding, norway, vineyard, dvd, memories, phrases, chest binder, ace bandage, sprinklers, barbie, car, quarry, pizza, wig, my voice, codes, movies, letter, plane, love, the truth of our lives, secrets   Sun, Sep 10, 2023 at 10:48 PM   email, last paragraph, nail, baby, violent world, filler episode, guest room, space, wind, leaves, pie, butter smoke, pie, russet apples, honeycrisp, frisbee, tree, frisbee, eggs, head of garlic, new jacket, baked pie   Sun, Oct 15, 2023 at 10:36 PM   two checks ticked blue, bus, bus, train   Mon, Jan 22, 2024 at 1:16 AM   

             

             

             

            OUR DEVOTIONAL CURRICULUM

             

            Friday night phone calls
            Sunday night emails
            Rehearsals for Living – Leanne Betasamosake
            Simpson and Robyn Maynard
            Are You My Mother – Alison Bechdel
            Counter-map: A Poetics of Place – ed. Darian Razdar
            Gemini Rights – Steve Lacy
            Too Much and Not the Mood – Durga Chew-Bose
            Bookforum Talks with Durga Chew-Bose – Sarah
            Nicole Prickett
            Either/Or – Elif Batuman
            A Child’s Question, August – PJ Harvey
            As If to Celebrate, I Discovered a Mountain Blooming
            with Red Flowers – Anish Kapoor
            Dream of No One But Myself – DM Bradford
            The Seagull – Anton Chekhov
            Baby Book – Amy Ching-Yan Lam
            A House Unsettled – Trynne Delaney
            the half-drowned – Trynne Delaney
            VIO-LETS – EJ Kneifel
            A Little Devil in America: In Praise of Black
            Performance – Hanif Abdurraqib
            Peanut Butter – Eileen Myles
            Slows: Twice – T Liem
            Queer Phenomenology – Sara Ahmed
            Titanic (1997)
            She’s the Man (2006)
            Ordinary Notes – Christina Sharpe
            The Watermelon Woman (1996)
            Lucy – Jamaica Kincaid
            Theory – Dionne Brand
            Callbacks

             

            1. Delaney, Trynne. “The Half-Drowned: EJ Kneifel Interviews Trynne Delaney.” By EJ Kneifel. Event Mag. January 12, 2023. Online.
            2. Trynne: “when I walk through the wealthy neighbourhood I look at their cameras and renovations and try to walk like someone trustworthy. I keep going until I find the big sculpture again, the one like a copper iris with an empty pupil. it stares out between closed curtains. I want someone to tell me why being seen matters — why I need it — why I must write I again and again — and then I get embarrassed and force myself to write so many sentences with I that I can show up to write you, to know that this matters, that there is something else I don’t know, I don’t know when” (emphasis ej’s 🙂 )
            3. https://www.poetryfoundation.org/poems/54620/peanut-butter

            Apologie de la bouche sèche

            Maude Pilon Simon Brown
            MP

            Les pantoufles, c’est bon de mettre ça au sol. En fait, tu dis les pantoufles, c’est bon de mettre ça au sol, mais en fait ce que tu dis, c’est que les pantoufles, c’est pas bon de mettre ça sur le sofa. Intéressant comme nuance. C’est que ça traîne toute la shit du plancher. Oui, c’est sûr, surtout qu’on passe jamais le balai. Bin, c’en est, des balais. C’est ça, des pantoufles, c’est un balai.

            Toi, tu lis la transcription intégralement, tu fais les deux voix. Tu mets l’accent surtout sur les questions, ou peut-être de façon à évacuer l’émotion de la discussion,

            Retrouve-t-on une prise sur nos discussions passées? Se souvient-on de la poussière dans l’oeil? De la date butoir? A-t-on les moyens de poursuivre le cheminement tortueux de la pensée depuis le même désordre factuel, matériel, affectif, constitutif de la parole?

            la discussion, pis moi, que ce soit sur un autre ordre, un autre mode, que je réponde avec plusse d’émotions, ou des émotions autres.

             

            SB

            Les pantoufles, c’est bon de mettre ça au sol. En fait, tu dis les pantoufles, c’est bon de mettre ça au sol, mais en fait ce que tu dis,

            A-t-on les moyens d’amoindrir le décalage entre ce qu’on dit et ce qu’on fait? La poésie ne naîtrait-elle pas de cette impossibilité même?

            c’est que les pantoufles, c’est pas bon de mettre ça sur le sofa. Intéressant comme nuance. C’est que ça traîne toute la shit du plancher. Oui, c’est sûr, surtout qu’on passe jamais le balai. Bin, c’en est, des balais. C’est ça, des pantoufles, c’est un balai.

             

            Soudainement, une ligne d’orgue minimaliste en fa mineur (do-sol#-la#-fa).

            La parole bute à ce qui n’est pas la parole. Puis, elle ouvre la fenêtre. Il existe un vaste hors-champ inaccessible à la vue, même en sortant la tête du sable domestique. Se souvient-on de la molle action du regard bien-pensant? Sans dire l’invisible, tout reste figé dans la lumière. Le fantôme passe furtivement, sans qu’on puisse lui sourire.

             

            MP

            L’affaire, c’est que si on a 20 minutes, c’est même court, parce que non, c’est pas court du tout pour une performance, c’est très long. Bin non, ça va être bin correct. C’est immersif, c’est un instant, pis on n’a pas peur de la longueur. On va pratiquer une fois ou deux, on va le savoir à peu près. Exactement, mais en attendant, on dit ça va extrêmement vite quand on s’enregistre comme ça. On fait une transcription, c’est facile d’avoir du texte à foison. On va pas toute transcrire. Oui, mais je veux dire, on va garder. On va pas garder. On va garder aussi les platitudes, on essaie de garder l’effet de discussion. Oui, je sais, mais on va pas faire du remplissage pour rien non plus, si ça fait 12 minutes, ça fait 12 minutes. C’est pas ça que je dis, pourquoi t’accroches au temps? Je m’en contrefous là. Parce que t’avais l’air de faire une obsession avec ça.

            L’ego – l’écrivain·e qui se regarde écrire avec outrecuidance – résiste à la collaboration. Serrer la mâchoire pour garder les phrases change le visage, et incite au vomissement. Exit les baisers. Les dents du renard ne sont pas une métaphore.

            Non, je suis obsédée par le fait qu’on prenne notre temps pour faire cette pièce. Ce sera plus intéressant qu’une entrevue de nous deux sur le vif. Je fais rien sur le vif, ni l’écriture sur le vif.

            Le temps passé en dehors de l’oeuvre, endormi·e, en errance à l’épicerie, en file d’attente, en déplacement dans la rue, en retrait du langage ou emporté·e par la bureaucratie, ce temps retourne à l’oeuvre et façonne sa part de médiocrité indispensable.

             

            SB

            —en chantant    La pensée, c’est quoi pour toi, la pensée, c’est quoi pour toi, la pensée, c’est quoi pour toi, la pensée, c’est quoi pour toi, la pensée, c’est quoi pour toi…

             

            MP

            —d’une manière frénétique, avec percussions électroniques disjonctées   Une pensée, ça peut être… Une pensée, c’est un… Une pensée, c’est quelque chose qui arrive à la conscience. Une pensée, c’est plus large que l’écriture, mais c’est l’écriture. Je n’aime pas tant le mot poème ou poésie, parce que ça referme le mot pensée sur lui-même. Comme si poésie définissait une manière de penser, alors que penser, ça peut être… Penser, c’est juste… La pensée, c’est déjà de la poésie. On ne devrait pas se dire que la pensée et la poésie ont chacune une spécificité, qu’elles sont des choses différentes, tsé.

             

            Courte pause des percussions électroniques.

             

            MP

            En tout cas, moi aussi je pourrais vouloir commencer à écrire parce que le langage me permet tout à coup, en ce moment même, de commencer à penser. Mais penser, c’est pas encore organiser. Par exemple, le terrain est fertile et fictif, mettons, c’est un vers ça, mettons. Mais c’est pas une pensée claire. Mais c’est quelque chose qui parvient à ma conscience.

            On forme trop hâtivement une phrase, sans vérifier sa sortie de secours. Ce serait dommage de faire de la poésie un donné, alors qu’il s’agit d’un travail ardu alimenté par une éthique du don : don d’abord de ce qui est incertain dans la pensée, don ensuite du poème comme portion extérieure du monde. Contrairement à la pensée qui aspire à prendre, la poésie découlerait du constat d’une faible prise trop partout, de la consternation devant l’impossible saisie.
            Si la pensée qu’on parvient à retenir s’avère parfois poésie, c’est une chance mystérieuse qui mène tristement à s’en extasier. Car en état d’ego-plénitude, on oublie de prévoir l’appel à l’aide, responsabilité fondée dans une inquiétude amicale et une tendresse pollinisatrice à l’égard des lecteur·ice.s.

            Mais c’est peut-être une sensation, la pensée. Fait que, c’est quoi tout ça en langage, tsé?

            SB

            C’est que l’écriture est comme une envie de pipi, mettons. C’est comme, j’ai envie tout de suite que quelque chose arrive à ma conscience. Puis là, go.

            Mais c’est déjà en train de pisser, et ç’a fucking pas rapport au sens, tsé. Plutôt de l’ordre de la sensibilité. Une pensée, c’est dans le sens que c’est dans le langage que quelque chose se crée. Que c’est ici déjà, ça parle, ça pisse, c’est le langage. Un collage entre feuille et falafel, ça colle, mais c’est juste des mots, tsé. C’est là que l’idée de la traduction arrive pour moi.

             

            MP

            —à la manière d’une incantation   Une envie… une envie… une envie… une envie… une envie…

            SB

            Parce que souvent, c’est la traduction de quelque chose qui est intraduisible, une sensation, ou une ambiance, ou une énergie. Dans un rêve, tu comprends pas, mais c’est très senti. Oui, je peux le sentir.

            C’est très particulier, c’est comme le sous-sol quand j’étais jeune, mélangé avec mon chat aujourd’hui, et une feuille, et une machine.

            Se souvient-on de la tache sur le livre? A-t-on la capacité de reconstituer le sens au moyen de la mémoire? A-t-on même le désir de retrouver intact un lien passé?
            MP

            … une envie… une envie… une envie… une envie —

             

            SB

            Hum, un fragment qui émerge de façon mystérieuse…

             

            MP&SB

            —à l’unisson   Un A est un B, un B est un C. Un A est un B est un A est un B est un C. Un B est un C. Un B est un C.

             

            MP

            La chatte veut rentrer.

             

            SB

            C’est que le rythme m’est venu de façon spontanée.

             

            MP

            Allô tite fille… quoi veut? quoi veut? quoi veut?

             

            SB

            C’est que la structure m’est venue de façon spontanée.

            Le vrai animal est ailleurs.

             

            MP&SB

            —à l’unisson  Les pantoufles, c’est bon de mettre ça au sol. En fait, tu dis les pantoufles, c’est bon de mettre ça au sol, mais en fait ce que tu dis, c’est que les pantoufles, c’est pas bon de mettre ça sur le sofa. Intéressant comme nuance. C’est que ça traîne toute la shit du plancher. Oui, c’est sûr, surtout qu’on passe jamais le balai. Bin, c’en est, des balais. C’est ça, des pantoufles, c’est un balai.

            C’est un reproche, et non pas un mensonge. On offre volontairement une représentation de l’absence de choix entre le ménage de l’espace commun et le travail de la poésie. Ceci n’implique aucune finalité.

             

            MP

            L’écriture est liée à une forte envie, une forte envie, une forte envie d’utiliser le langage. Mais peut-être pas une envie, peut-être pas une envie, peut-être pas une envie de dire.

            On envenime malheureusement la relation entre dire et faire. Son mécanisme demeure obscur. On est si loin de ce qu’on peut, ensemble. Les petites solutions adviennent comme le pus qui sort d’un bouton.

            Doucement, un pianotage quétaine en mi mineur.

             

            MP

            Tu me dis que t’as plusse une écriture de carnet ou de notes, qu’est-ce qui se passe là? Qu’est-ce qui active l’écriture, mais aussi qu’est-ce qui, si c’est pas la réception, pas le résultat, qu’est-ce qui se passe? Bin, je dirais que c’est, bin, je peux pas faire autrement, c’est un besoin fondamental, oui, j’aime ça quand y’a une réception, mais ça arrive plus tard. C’est secondaire. Oui, c’est solitaire. Secondaire. Secondaire, oui oui, parce que des fois, c’est juste, bin, c’est vrai que des fois, comme toi, ça découle de la lecture dans le sens que tu lis, tu lis pis t’es comme, inconsciemment tu, t’as envie que quelque chose existe, c’est comme bin, j’aime ça beaucoup, mais j’aimerais ça que ce soit un peu plusse comme ça, ça c’est bon mais c’est trop conservateur, ça j’aime ça mais c’est trop émotif dans ce sens-là, bin j’aimerais ça qu’une affaire existe que j’arrive pas à articuler, pis là —

             

            SB

            C’est quoi une affaire qui existe? Un corps? Un poème? Ça prend un corps pour écrire un poème…
             
            Le pianotage quétaine se poursuit.
             

            MP

            Mais le corps astral peut s’en occuper…

            Comment la poésie s’occupe-t-elle du corps? Le détachement charnel est dépassé. Le passage de la sensation du soleil à l’idée froide de l’instrument n’a rien de facile. On est la pelle, le soleil est bas, sans qu’il soit nécessaire de le dire. Le plus grave serait qu’on se sente être la pelle parce qu’on se dit être la pelle. On ne dit pas je suis la pelle, on s’occupe de la poésie. On est la pelle.

             

            SB

            On a deux corps?

            On s’en occupe.

             

            MP

            Tu le savais pas? C’est peut-être ça la base de tes problèmes.

             

            SB

            On a deux corps? Il est où le corps astral?

             

            MP

            En haut.

            En haut comme en bas, au sens que le ciel et le sable sont déjà depuis toujours fondamentalement étrangers à la ligne bleu foncé entre eux. Revient-il au poème d’inséparer les zones? La chair est une pâte friable.

             

            SB

            En haut de quoi?

             

            MP

            En haut du corps terrestre.

             

            SB

            Mais qu’est-ce qu’y fait là?

             

            MP

            Il flotte.

             

            SB

            Mais pourquoi?

             

            MP

            Mais pourquoi pas?

            Poser une question n’implique pas l’espoir d’une réponse. La question en tant que cri fonctionne comme un déclencheur du doute salutaire.

            Le piano quétaine finit en beauté sur un do définitif (mineur est devenu majeur).

            On peut passer sa vie à reformuler des réponses.

             

            MP

            Crie pas! Pourquoi tu cries?

             

            SB

            —en simultané avec le texte de Maude qui suit   Ça revient à ton processus de réécriture, parce que toi tu réécris pour pas dire telle ou telle affaire, mais c’est comme patcher un mur… tu veux pas voir le trou, mais on voit le patchage… et le patchage, c’est un énoncé,

            On n’arrive jamais à une réconciliation durable entre les lectures passées et présentes. Le monde est difficile et irrecevable, et, comme nous, le poème boit. Liquidation finale. La rigidité du réel tel qu’on la connaît l’est justement parce qu’on croit connaître le réel.

            fait que tu réécris, tu refais de la finition par-dessus, tu caches l’origine, mais ce que tu remets par-dessus, c’est des choses dites, pis ça relève de ton processus, et c’est super intéressant, c’est ce qui donne la texture particulière, la texture qui est propre à ton écriture… le trou qui est dans le mur,

            Le langage et l’orchestration du ménage s’érigent entre nous. D’abord, on s’oppose aux deux tâches. Voici les lapsus : le poème contre la passivité. S’agit-il d’une solution de rechange au monde muet? Ensuite, on déplace le cheveu qui chatouille la joue, pour mieux s’éclaircir la voix. Pour l’instant, tout est foutu.

            c’est l’origine que tu veux pas dire, c’est le sens des mots à l’origine que tu veux camoufler, ou le sens dans la syntaxe de la phrase ou du vers, c’est peut-être pas une bonne métaphore, enfin, un trou, c’est peut-être pas la bonne image, parce que c’est un vide, pis toi, tu veux plusse de vide! toi tu aimes vraiment pas le mur, fait que tu fais un trou dedans, c’est plusse ça… en tout cas, ma métaphore est à l’envers, mais quand même, le trou veut dire quelque chose… c’est que tu fais un trou dans le mur parce que t’aimes pas le mur, mais le trou, il exprime toutes sortes de choses, ça a une forme, ça a une texture, les brisures sur le bord, ça veut dire toutes sortes de choses, pis c’est très riche, c’est très très riche, c’est aussi sinon plus riche que le mur, c’est vraiment plus riche que le mur! Même si le mur avait un beau papier-peint avec plein de motifs dessus.

            Un ciel apparaît. Le trou promet une révélation, autant sinon plus que la vertigineuse accumulation des paroles, des gorges et de leurs hoquets sans fin. Le sens demeure une renardière aux parois usées.

             

            MP

            — en simultané avec le texte de Simon qui précède     L’imaginaire populaire, tsé, les linguistes sont pas d’accord nécessairement, c’est que le langage existe pour communiquer du sens à l’origine, comme des vocables, ou enfin. Oui, mais je pense pas que c’est spécifique à la poésie, mais à toute la littérature. C’est pas sûr ça… Oui, il y a ces ouvertures, ces brèches dans la continuité du sens, dans un roman aussi, un roman qui se veut clair d’un point de vue communicationnel. Je pense que beaucoup d’écrivain·es visent à communiquer des choses. Qu’iels savent ce qu’iels veulent communiquer. Il y a une mouche.

            On n’attrape pas la mouche avec du vinaigre, semble-t-il. Mais le miel qui l’attise, il en manque, et de ce manque, nos bouches sèches s’approchent.

            Qu’est-ce qu’une mouche fait là? J’ai parlé à des écrivain·es qui me racontaient – Mais l’intention des écrivain·es, c’est une chose, mais là, je parle de ce que la littérature fait. Bien sûr, elle ouvre, oui. Elle arrache la langue au dictionnaire, elle s’arrache du sens commun. Comme quoi on est toujours à côté de la track. On a bin beau parler de nos processus depuis une heure, on est toujours bin à côté de la track quand on énonce des intentions. Fait que, vaut mieux décrire nos gestes, vaut mieux décrire, pis même là, c’est dur de vraiment bien savoir ce qu’on fait. J’arrêterais là.

             

            SB

            Bonne idée.