Si l’on suit les traces de l’inquiétant jusqu’à son point de départ, on arrive au drame de la naissance humaine1.

 

Tout sujet est le reste instable d’un couple dont la moitié que l’on a ôtée ne cesse jamais de revendiquer celle qui est restée2.

Que demeure à distance de ces lieux d’apprentissage philosophique celui qui craint la solidarisation et l’amour du tout, ou qui souhaite se préserver des champs de force magnéto-fusionnelle3. Mais que celui-là alors renonce à «élucider la forme vitale4». Tel est en substance l’avertissement qui figure dans les pages liminaires de la série des Sphères. C’est en ces termes, qui reprennent en la radicalisant la devise que Platon avait inscrite au-dessus de l’entrée de son Académie5, que Peter Sloterdijk entend convier la communauté des intelligences à penser la suave intimité des espaces intérieurs, tout en s’attachant à la construction d’objets gynécologiques. La proposition consiste à investir la folie topographique de l’existence humaine, c’est-à-dire à prendre pied dans l’orbe de ses champs d’attraction, que l’on ne pénètre jamais qu’à la faveur de forces, inversement proportionnelles, de rupture et de dislocation. Le geste a tout d’une impertinence académique, ou à tout le moins d’un «grave écart hors des chemins de l’orthodoxie6», mais cette contribution au jardin des théoriciens n’est pas moins essentielle. Il pousse l’audace au point de «gynécologiser jusqu’aux grands thèmes philosophiques tels que “le sujet”, “l’autonomie”, “la liberté”, “l’être”, “le néant”7», car seule la lumière d’une «obstétrique de l’“âme”7», cette science de la naissance que la philosophie a été dès l’origine, peut faire du monde l’abri des formes humaines. Sloterdijk est le théoricien d’une géométrie vitale dont la condition primordiale réside dans le fait d’avoir été expulsé hors de la toute première niche écologique que constitue l’utérus.

Faire du monde des idées une classe préparatoire de gynécologique philosophique, voilà qui constitue à nos yeux le principal legs de Peter Sloterdijk. La fonction qu’exerce la gynécologie au sein de son œuvre est en effet capitale : c’est en ramenant l’ensemble des composantes de l’édifice de la métaphysique occidentale sur le plan des objets proprement gynécologiques que s’arc-boute son prodigieux exercice philosophique. L’essentiel de son argumentation, que nous tenterons de restituer ici en poursuivant ce motif à travers la faune bigarrée de ses thèmes et de ses concepts, se présente en effet comme une gynécologique philosophique – une science de l’utérovaginal-périnatalistique et de ses implications. De ses tous premiers écrits de la fin des années 1980, qui développent une théorie des mobilisations fondée sur l’idée de naissance comme processus ontocinétique, à la sphérologie des années 1990, consacrée aux milieux intérieurs et aux processus immunologiques, jusqu’à l’ultime conversion de sa philosophie en une histoire des dramatisations anthropotechniques, le souci gynécologique organise la trame de l’œuvre de Sloterdijk.

Science du périnatalistique et de l’utérovaginal érigée au rang de philosophie, le projet consiste aussi bien en une réflexion sur la nature du mouvement natal qu’en une considération de la figure de la mère, et notamment du corps de la mère. Celui-ci ne se limite pas à sa seule appréhension anthropologique, mais relève avant tout de la géométrie ou de la topologie9. Ces deux éléments essentiels – la mère comme celle qui porte en son sein un milieu intérieur et le phénomène de la naissance, comme transit de la sphère intra-utérine à l’espace ouvert – articulent la thèse centrale de cette philosophie, dont la prétention n’est rien de moins que de redéfinir formellement le fait humain de venir-au-monde.

Le thème de la naissance semble être demeuré en marge des grands systèmes philosophiques et de leurs principaux ensembles théoriques, mais il ne faudrait pas en minimiser les indices, qui sourdent çà et là dans les lettres de la sagesse occidentale10. Sa présence discrète, croyons-nous, est ce qui annonce et trahit l’avènement des questions aussi essentielles, pour ainsi dire et au risque de la tautologie, que la question de l’être elle-même. Lire cette tradition sous les espèces d’une gynécologique philosophique implique que l’on ait aperçu de loin la possibilité que l’existence soit déjà donnée dans le milieu intra-utérin et qu’ainsi le personnage de la mère, à la fois réel et symbolique, soit l’auteur d’une discontinuité ontologique dont s’ensuivent d’irréparables conséquences. Avec Sloterdijk, la vieille «question de l’être», où Heidegger avait fixé la philosophie, se voit remettre en mouvement et renvoyer dans le giron obstétrical d’où elle était venue : «l’objectif c’est une théorie de la naissance, une phénoménologie de la venue-au-monde, une nouvelle maïeutique, une ontotopologie, une ontocinétique, une ontopolitique11».

Du point de vue de cette philosophie natale, le fait de venir-au-monde décrit non seulement une condition existentielle – nous y venons en tant qu’être-né –, mais ontologique, car les catégories de l’utérus et de la mère sont métabiologiquement chargées : elles représentent les valeurs constitutives de la mondanéité du monde. Le geste sloterdijkien a donc pour effet de faire passer de la bivalence d’une ontologie de la différence à une ontologie que nous dirons trivalente, qui ne se forme plus sur la base du couple différentiel mère/monde, mais sur la modulatoire utérus-mère-monde. De la part de l’enfant terrible de la philosophie académique, ceci ne constitue rien de moins qu’une bruyante protestation contre toute métaphysique de la substance. Or son Kehre, Sloterdijk le veut salvateur12, c’est pourquoi il procède à la patiente élaboration d’une propédeutique philosophique à l’étude des entre-deux, des conteneurs contenus et des canaux de transvasement. Forts de cette science des lieux intermédiaires, nous pourrons entreprendre d’inférer quelques-unes des conséquences de cette prémisse selon laquelle nous sommes-au-monde en tant qu’êtres-nés, laquelle, chez Sloterdijk et contre les apparences, n’a rien d’une évidence. C’est ce que nous ferons en abordant l’extension que confère à cette science la pensée de la mère proposée par Elisabeth von Samsonow, dont le travail porte à la fois sur l’élément matriciel et natalistique13, et à qui l’on doit une précision et un raffinement des desseins d’une gynécologique philosophique.

 

Drame périnatal

Sous la plume de Sloterdijk, le phénomène de la naissance renvoie à l’ensemble des événements qui ont lieu avant, pendant, après et autour de l’expulsion effective du fœtus hors du sein de la mère. Le qualificatif «périnatal» s’impose pour en marquer la spécificité à la fois temporelle et spatiale : il s’agit d’un événement transitoire, du passage d’un (mi)lieu à un autre. En conséquence, le fait de venir au monde implique quelque chose de plus que l’éviction hors de la matrice ; il représente un changement de situation. Parce qu’il sort de la poche qui le contient initialement, le nourrisson entre dans un milieu encore inconnu, «extra-maternel, totalement différent, qui se révèle comme le véritable monde extérieur, à côté de l’intra-utérinité et de l’immanence de la cavité amniotique14». La naissance est un drame qui a pour théâtre l’espace gynécologique.

Ce n’est pas au hasard que cette épreuve périnatale est qualifiée de «drame». Pour celui qui vient au monde, le transit vaginal qui succède à l’explosion définitive et irréparable de l’enveloppe gestatoire a tout d’une tragédie. Non seulement la séparation par rapport au corps de la mère lui assigne un nouveau lieu de résidence dans un dehors inquiétant, mais elle le contraint à cet exode, sans retour possible à la niche écologique primitive. Cet irrésistible mouvement d’extériorisation prive le sujet de la relation symbiotique avec la mère et le propulse dans un processus d’individuation. Le relâchement et la déprise de cette communion sacrée, qui s’éprouvent aussi bien comme déchirement et démembrement, satisfont pourtant une pulsion libératrice. Les rapports d’altérité que l’individu commence fatalement à établir constituent le fond salvateur de la venue-au-monde.

Les expériences d’altérité se comprennent d’après leur caractère onto-topologique du jaillissement natal. Le rapport entre le «je» et le «tu», en effet, n’est pas d’abord donné sous le mode binaire de l’opposition toi-moi, mais il se constitue dans l’explosion qui chasse le sujet hors de son écosphère primitive. Le toi opère à la fois en tant que marqueur de cette éviction et de la venue dans l’espace ouvert que constitue le monde : il forme le signe différentiel dont le moi tire son identité subjective, ce qui ne survient qu’à la faveur de nouvelles modalités de liaisons et de reconnaissance. Ainsi va le jeu de la construction identitaire, comme fait de l’individuation proprement anthropologique. Sloterdijk fait des processus de reconnaissance faciale, tels qu’ils se vivent dans la figure prototypique d’intimité que constitue la relation mère-enfant, un transcendantal ontocinétique.

 

(a) Transcendantal ontocinétique

Dans la foulée de l’anthropologie philosophique15, Sloterdijk entreprend de mesurer les conséquences de cette transposition onto-topologique. La naissance est le fait anthropologique le plus significatif parce que le là de l’être est irréversiblement déplacé. Un tel changement de lieu implique un changement de position, ou, comme on le dit dans le langage de la phénoménologie, de «situation». L’auteur doit à Heidegger cette idée que l’être est au-monde sous le mode de la situation. «Instruit par sa propre dynamique émergeante, dit Sloterdijk, Heidegger était le seul penseur de la tradition philosophique à être capable de donner une idée de ce que signifie poser debout du point de vue de l’essence ontocinétique16». Or, Sloterdijk pose une condition transcendantale à cet existential : l’être-là n’est que dans la mesure où il a été mis en mouvement vers le lieu où il se situe. Rappelant que, du point de vue de l’histoire des organes, l’intériorité propre aux types hominiens trouve son origine dans la création d’un système de gestation qui découle de l’ovulation vers l’intérieur, Sloterdijk souligne la charge ontologique du changement de lieu ontique qui se produit par et à travers la naissance : «par la naissance, le plus intérieur et le proche sont livrés à une inéluctable ouverture brutale par le lointain17».

En posant cette condition à la mondanéité du monde auquel on vient, Sloterdijk tente de remédier à la césure onto-topologique de l’intérieur et de l’extérieur du milieu utérin. Si sa périnatalistique philosophique entend décrire «le fait de la naissance [comme] matrice de tous les changements de lieux et de situations dotés d’un caractère radical18», elle doit définir la fluidité des zones transitoires et esquisser une forme d’onto-topologie d’entre-les-mondes. Une classe préparatoire de gynécologique philosophique représente cette initiation à une ontologie des frontières et des zones limitrophes. En reconstituant le mouvement vers l’ouvert à partir des moments de la dialectique de la mère et du monde, le travail du philosophe doit ultimement parvenir à mettre en lumière les caractéristiques morphologiques des milieux et des environnements anthropotechniques.

 

(b) Dialectique mère et monde 

 

«Toute naissance a quelque chose d’un avortement19».

La déliaison fœtale par rapport à la mère est le fait inéluctable d’où procède la création de liens avec le monde. Le mouvement natal se donne ainsi comme le motif contradictoire et pourtant nécessaire d’une séparation qui unit – une dialectique qui compense la tragique expulsion du milieu intérieur matriciel par une pénétration dans l’ouvert et l’incertain. Cette ouverture, et son ambivalence, décrivent sans doute l’opération la plus poétisée de toute l’histoire de la culture : tantôt le fait de venir au monde s’entend comme aliénation ontologique, en raison de la perte irrémédiable de la niche primitive, tantôt la séparation par rapport au corps de la mère est le signe d’une libération prophétique. Pour un être dont la venue-au-monde est un fait plus-que-biologique, la naissance implique toujours l’abandon prématuré de sa demeure première et son introduction trop précoce à un nouveau milieu. Ce milieu s’entend ici comme le lieu de l’ouvert, et Sloterdijk y découvre les caractéristiques de l’habitat anthropologique par excellence.

 

i. Exil cosmique 

Du point de vue de la gynécologique philosophique, le processus de la naissance est déjà initié dans la phase intra-utérine de la vie, ou pour mieux dire, l’être y est déjà «en travail». Le processus d’implantation embryonnaire forme le principe d’une opération ontogénétique. Dans le cours de l’évolution qui aboutit à la formation de la vie animale, l’ontogénie embryologique apparaît comme la conséquence d’un processus d’ovulation vers l’intérieur. Chez tous les vivipares, cependant, l’endogénèse est vouée à culminer dans l’explosion de la poche amniotique qui expulse le fœtus hors de son giron protecteur, car cette enveloppe qui l’abrite et l’alimente tout au long du premier acte de son drame périnatal lui devient trop étroite. C’est pourquoi la sortie de l’œuf, qui, chez l’humain, décrit l’événement onto-topologique par excellence, recèle toute l’ambivalence tragique de la venue-au-monde.

Avec sa symétrie magique et sa forme quintessentielle, l’œuf, depuis les jours des créations néolithiques de l’image du monde, avait servi de symbole primaire de la création de cosmos à partir du chaos. On pouvait, grâce à lui, présenter avec une évidence relevant de la pensée élémentaire le fait que les créations par naissance constituent toujours une pièce en deux actes : d’abord la production de l’œuf par une puissance maternelle, ensuite la libération de la créature vivante par elle-même, à partir de ses enveloppes ou coquilles initiales. L’œuf est ainsi un symbole qui apprend, à partir de soi-même, à penser à la fois la forme qui protège et son éclatement20.

Ainsi la déconnexion entre le fœtus et le corps maternel que représente la naissance n’initie-t-elle rien qui ne soit déjà commencé, à cette nuance près que ce qui était déjà continue d’être, cette fois dans une proximité élargie. On se demanderait même si le giron-extérieur où nous survenons est réellement autre chose que le magma matriciel du giron-intérieur, si l’on n’avait cette intime conviction que «l’évolution luxuriante qui mène à l’intériorisation de l’œuf – et, partout, au cycle d’ovulation endogène chronique – crée l’arrière-plan d’une conquête risquée de l’extérieur par le nouvel organisme21».

La pensée de Sloterdijk est trop contemporaine pour être tout à fait affranchie de la référence obligatoire aux deux monuments de la modernité philosophique que sont Nietzsche et Heidegger. Ces derniers ont tous deux caractérisé l’existence par l’angoisse d’être livré au néant – ce que l’histoire de la métaphysique occidentale devait refuser de penser, au prix d’exposer au déchaînement de la puissance du négatif22, c’est-à-dire de convier l’«hôte inquiétant qui hante le Dasein moderne23».

Pour Sloterdijk, cette situation angoissante n’est toutefois pas le simple trouble passager qui affecterait une «vie d’habitude bien en selle24». Dans les temps post-coperniciens, la condition existentielle et topologique du sujet se présente comme une exposition intégrale et permanente aux incalculables dangers d’un univers infini. Le monde est ressenti comme un exil cosmique. Venir au monde signifie alors être renvoyé de chez soi et se voir contraint de pénétrer dans le désert glacé de l’existence. «La naissance physique de l’homme est le contraire d’une venue-au-monde, c’est une chute hors de tout “connu”, une chute dans l’inquiétant, un se-trouver-exposé dans une situation non rassurante25», écrit Sloterdijk. Cette chute assigne l’être humain à un extérieur angoissant, à une entité étrangère, inconnue, trop vaste, qu’il éprouve comme un destin. Venir au monde signifie être jeté en pleine face sur la surface de la terre, dans une terrifiante absence de patrie (Heimatlosigkeit) que l’on ne se représente, selon Nietzsche et Heidegger, qu’au risque de s’y engouffrer. Or c’est précisément ce qu’accomplissent les révolutions cosmologiques dont l’histoire de la civilisation moderne est le récit. La froideur existentielle représente la réalisation la plus accomplie de ces révolutions, mais pour le penseur du transfert et de la suavité, elle s’accompagne d’une invitation à créer de nouveaux espaces-girons de cordialité, d’un appel à faire nôtres les instances allo-maternelles destinées à nous contenir, d’un effort de penser de nouvelles relations écosphériques.

 

ii. Habiter l’ouvert et le lointain

Le deuxième acte du drame périnatal, où le nourrisson est propulsé dans l’ouvert et le lointain, dont il est pourtant destiné à faire sa demeure, est marqué par l’impact de la chute. Si l’on se heurte ainsi de plein fouet à la surface de la Terre, c’est que l’on succombe aux forces gravitationnelles – celles, précisément, qui disposent l’ordre dans le cosmos. La chute, le fait d’être-tombé, ou encore l’échéance (Im-Fall-sein) selon le lexique heideggérien, constitue l’existential de tous ceux dont la venue-au-monde est caractérisée par un séjour dans l’orbe du monde et qui, pour faire de la Terre leur demeure, savent qu’ils devront aussi périr en elle. Cette idée de l’être-échu (Gefallenen), bien qu’elle porte chez Heidegger une trace indélébile de théologie – l’existence terrestre comme marqueur de la finitude –, Sloterdijk l’entend avec le plus grand sérieux philosophique :

«Quand Heidegger, rivé aux questions métaphysiques classiques, déclare […] que les hommes doivent commencer par devenir des “mortels”, il aborde seulement l’incontournabilité, plus faible, au moins en comparaison, que le plus fort et le premier incontournable qui veut que les hommes commencent par devenir des natals, des êtres-qui-viennent-au-monde»26.

La descente irrésistible vers le corps de la Terre n’est le signe distinctif de l’être-pour-la-mort (zum-Tod-Sein) que parce qu’elle décrit, onto-topologiquement, le mouvement propre à un être natal. Grâce à cette opération de sauvetage de la philosophie heideggérienne, Sloterdijk peut rapporter l’angoisse qui accompagne l’entrée dans le monde au fait d’être arraché à l’immémorial du magma matriciel pour être implanté dans un temps historique qui en sera le séjour, son nouveau pôle d’attraction, contenant d’une luxuriance encore inédite. Ce phénomène qui, du point de vue de la métapsychologie, correspond à proprement parler au processus d’individuation, est la progression involontaire vers un extérieur dont l’inhospitalité congénitale est à la fois l’origine du développement psychique et ce qui le rend à jamais impénétrable27. Deux possibilités découlent de cette translocalisation obligatoire.

Ou bien le néant peut maintenant signifier qu’on ne promet rien à celui qui vient au monde si bien que celui-ci ne peut pas attendre grand-chose de son existence et qu’il développe par conséquent l’envie de retourner à l’endroit d’où il est venu, dans le sein de sa mère, dans la mort, dans le tout-néant moniste – motif qui a sa place dans toutes les religions rédemptrices et dans toutes les doctrines monistes ; ou bien le néant incite à croire qu’il n’en est rien des grandes promesses qui ont été faites, et que rien des espérances du monde que font naître les mères ne se réalise dans le monde comme non-mère, motif dont traitent toutes les variantes de ces scepticismes, de ces cynismes et de ces nihilismes qui ont une large expérience du monde28.

L’analytique existentiale de Heidegger indique le point de fuite permettant d’échapper à ce dilemme. Elle ramène d’abord l’être dans l’horizon de la temporalité, et ensuite le rend susceptible d’un changement de position. Ce faisant, c’est elle qui jette les bases d’une gynécologique philosophique, mais un peu comme le jeune Artréju, héros de L’Histoire sans fin de Michael Ende29, Heidegger demeure le regard fixé vers les glaciales intempéries auxquelles expose l’exil cosmique. Pour Sloterdijk, «l’exode natal dans le monde a le sens d’une odyssée à travers des forêts inquiétantes à côté desquelles la forêt d’Artréju ne procure que des frissons (petit-) bourgeois30», mais le conte de Ende n’exprime pas moins de quel prix se paie le fait de regarder fixement ce qui néantise. Or pour le penseur de la condition périnatalistique, dont le Kehre présente le caractère salvateur d’une philosophie des aménagements écosphériques, il importe de conquérir ce lieu où nous surgissons, de faire de ce dernier notre demeure.

Car la douloureuse épreuve de la venue au monde se présente aussi bien sous l’aspect désinhibiteur d’une dynamique libératoire. L’incertain et l’imprévisible qui caractérisent l’entrée dans l’espace ouvert, sont autant de promesses d’émancipation par rapport à la suffocante tyrannie du col utérin, que de sources d’espérance et de lumière devant l’horreur d’un intérieur asphyxiant et oppresseur dont on demeure captif jusqu’à l’inéluctable parturition31. Le lien qui unit au monde est une intimité à l’ouvert et au lointain. Sloterdijk écrit :

«Dès que la proximité se met à dissoudre l’imprécision idéale, tous les signes permutent. Certes, dans la mesure où la fusion avec le tout apparaissait purement et simplement comme une impossibilité, rien ne s’opposait au dévoue- ment à l’inaccessible. Mais quand le chœur sauvage, composé de sons, de corps et de désirs, s’approche, le gouffre de l’origine s’ouvre, dans laquelle le sujet individué ne peut vouloir retourner pour rien au monde. Aussitôt émergent des images épouvantables – images d’oppression fatales et de mort par asphyxie dans la caverne érotique ; ce qui faisait pour la nostalgie l’objet d’un désir ardent, constitue maintenant, au moment de s’accomplir, un motif de recul dégoûté et sans appel. L’impulsion à s’unir se renverse en rage de se séparer, et l’Éros du retour au sein de la terre et du groupe se transforme en une peur panique de la dissolution32».

Une fois que le fœtus largue ses amarres maternelles, qu’il surgit dans le dehors prêt à ne plus s’alimenter que par lui-même et à s’implanter durablement dans un extérieur qu’il entreprend d’apprivoiser et de connaître, alors débute l’individuation, le venir-au-monde anthropologique. Parmi tous les êtres assujettis au corps de la Terre, le type hominien est la sous-espèce dont le privilège consiste à être aussi assujetti à des forces affectives qui le protègent. Soumis à des champs d’attraction magnéto-fusionnelle qui, aussitôt né, le mènent vers d’autres environnements amoureux, l’être natal est voué à la création d’autres espaces-girons qui le «dédommagent» pour la perte de la «proximité substantielle», dirait Sloterdijk33. L’aménagement de ces mondes fait régner parmi ceux qui sont nés le calme que l’on ressent dans le creux des cavernes, ainsi qu’une apparence de liberté, suggère-t-il34. Tout se passe comme si la prégnance du modèle du contenant donné par la «claustration» originaire au sein de la mère était telle qu’elle condamnait l’humain à ne plus rechercher, voire à ne revendiquer qu’à être contenu dans cette sorte de caveau protecteur. Il n’en va peut-être pas autrement lorsque les individus souffrent de ces «grandes phobies des contenants sans lesquelles, en particulier, les individus des temps modernes ne peuvent pas dire ce qu’ils veulent lorsqu’ils expliquent qu’ils veulent la liberté – sans adjectif35». Ce qui est ironique dans le processus d’individuation anthropogénétique, c’est bien que le sujet se persuade d’être affranchi par rapport aux drames amoureux que portent en elles les forces gravitationnelles, ce dont il s’assure, au cours des temps modernes, grâce à tout l’arsenal de la philosophie spéculative. «L’espace jadis intime, symbiotique, parcouru par un unique motif, s’ouvre dans le neutre divers et multiple où la liberté n’est préservée qu’au prix de l’étrangeté, de l’indifférence et de la pluralité36», écrit Sloterdijk. L’incontournable devenir natal assigne à la création d’une série de couches protectrices de substitution, qui vont du cocon familial aux aires climatisées. Le philosophe en décrit l’économie :

«Des espaces intérieurs partagés, consubjectifs et inter-intelligents, auxquels prennent part seulement des groupes dyadiques ou pluripolaires – mieux : qui peuvent seulement exister dans la mesure où les individus humains, par les incorporations, les imbrications, les implications et les résonances – mais aussi, en termes psychanalytiques : les identifications – créent ces formes particulières de l’espace comme contenants autogènes37».

Lorsque nous disons que Sloterdijk entend faire du monde des idées une classe préparatoire de gynécologique philosophique, c’est que pour lui, la pensée possède réellement les attributs d’une médecine pour ces écosphères postnatales. C’est pourquoi «penser la forme vitale» consiste essentiellement à  «louer le transfert et […] réfuter la solitude38».

 

(c) La mère comme canal et comme altérité 

 

«Homo sapiens jouit – en même temps que ses animaux domestiques – du privilège précaire, parmi toutes les créatures vivantes, de pouvoir le plus facilement devenir psychotique, pour autant que l’on entend par “psychose” la trace d’un échec dans le changement d’enveloppe. Cette trace est le résultat de cette fausse couche que je suis moi-même comme sujet affligé d’un déménagement erroné dans ce qui n’a ni appui, ni enveloppe39».

Nous savons à présent que, pour Sloterdijk, l’éclatement de la sphère utérine entraîne des conséquences à la fois cognitives et ontologiques irrémédiables. Or, à l’instar des philosophies de l’existence, si le penseur proclame l’autotranscendance de la venue au monde, il persiste à affirmer que la naissance s’inscrit dans un processus d’aménagement d’espaces intérieurs et de girons protecteurs déjà entamé. Par conséquent, il pose le phénomène natal comme le principe d’une adaptation toujours recommencée des installations vitales et d’une extension à un espace ouvert et toujours plus vaste des modes d’enveloppement dont la sphère utérine a fourni le prototype. Le philosophe insiste sur la continuité du processus : à l’extension topologique extra-utérine correspond, sur le plan de la morphologie, une amplification. On ne se représente toutefois cette continuité qu’en insistant sur la différence topologique.

Au début, le monde auquel nous venons est identique, à une bagatelle près, à la mère dont nous venons. Cette bagatelle a exactement la dimension de la différence ontologique. Car dès que nous sommes assez âgés pour connaître notre mère de l’extérieur, nous commençons à connaître un «monde» qui n’est pas notre mère. On est en droit d’affirmer que l’étrange différence entre la mère et la non-mère occupe les humains pendant le reste de leur vie, parce qu’ils ne pourront jamais tout à fait comprendre comment le monde, qui a d’abord le toucher de la mère, a pu se transformer en un autre, étrangement semblable à celui que nous connaissons maintenant40.

Grâce à l’interaction avec la mère41 qui suit immédiatement l’exode natal, l’enfant s’éveille à la conscience d’être dans un monde qui, au début, a pour principale caractéristique de ne pas être le corps maternel. L’apparition très progressive de sa propre altérité, par la confrontation avec la mère, commence à tracer les lignes de démarcation non seulement entre la mère et lui, mais entre le monde et ce que le monde n’est pas. Depuis la perspective cognitive de l’enfant, la mère est la toute première expérience de la différence, elle assure donc le passage initiatique à l’individuation psychique. En tant que tout premier «tu», la mère délimite l’extérieur, vers lequel on tend, de l’intérieur, dont on vient, devenant ainsi le prototype du «changement de lieu ontique chargé d’une portée ontologique42». Contenant principiel, canal de transvasement et passeuse d’entre les mondes, la mère offre à l’individu la représentation d’un monde qui n’est plus le sien, et auquel il doit apprendre à se lier.

C’est pourquoi tout enjeu relatif à l’être humain se rapporte à une question de transfert. Ce qui assure la réussite de la migration forcée de l’enveloppe au sein de la mère à l’enveloppement dans le monde, ce ne peut être que la capacité de transfert, que l’on a eu tort, suivant un certain usage psychanalytique, d’assimiler à un phénomène névrotique, tel que le signale Sloterdijk dans les avertissements placés en tête de Sphères. Les frontières du monde qu’habite le «moi» en progrès vers l’individuation se définissent donc en relation d’altérité avec la toute première instance d’un «tu», et en fonction des limites de sa capacité de transfert.

Alors que nombre de débats ont cours à propos de la figure de la mère, Elisabeth von Samsonow estime que Sloterdijk parvient à réinstaller cette figure symbolique dans l’horizon de la question ontologique, afin d’en repenser le paradigme par-delà l’alternative père-mère. La mère offre le motif permettant de penser les relations intérieures et de mettre au jour la qualité proprement sociale et affective de la composition anthropologique des forces vitales. En posant le soin maternel comme exemple paradigmatique de la relationalité humaine, von Samsonow en reconnaît la plasticité et la dimensionnalité spécifique. Puisque la mère se révèle d’abord, phénoménologiquement, comme un conteneur destiné à l’hébergement de ses hôtes, elle renferme le symbole le plus puissant de la construction de structures formatives. Formellement et morphologiquement, l’instance maternelle représente le lieu béni où s’installent ses organismes parasitaires pour leur propre développement cellulaire et en vue de leur propre adaptation au vaste monde où ils s’apprêtent à être envoyés en exil.

Ainsi le projet de gynécologique philosophique mené par Sloterdijk, étendant la figure de la mère à tout rapport d’altérité, fait-il de cette dernière l’archétype de toutes relations symbiotiques et l’indicateur de la différence onto-topologique. À l’issue de ce parcours, il vaut de préciser, comme le fait von Samsonow lorsqu’elle rappelle ce fait biologique : la première source nourricière d’où procède l’enfant, ce n’est pas la mère, mais une autre entité arrondie qu’elle héberge également dans sa cavité utérine : le placenta. En tant que tout premier «tu», la mère incarne cette tierce instance qui fait imploser la logique binaire revendiquée par le substantivisme métaphysique – une catastrophe périnatale que l’on n’évitera qu’à la faveur de l’ars pariendi philosophique, c’est-à-dire de la création de rapports investis d’une logique trivalente, susceptibles de succomber encore à une multiplicité de pôles d’attraction. Il n’est d’individuation sans intimité à la mère, au monde et à tous les contenants contenus qui, de proche en proche, définissent la grande sphère anthropogénétique.

 

Anthropotechnique et processus autogénétiques  

 

«L’intimité est le royaume des contenants autogènes surréels43».

Pour les êtres natals, le déplacement ontologique et spatial demeure assujetti à une fonction essentiellement immunologique. L’espace qui abrite l’enfant dans le sein de la mère, l’isolant des périls du monde extérieur, forme le tout premier mode, symbiotique, de ce qui doit devenir une cohabitation durable et persistante avec les éléments d’altérité auxquels se heurte quiconque pénètre aussi irrésistiblement dans le monde ouvert. La fonction immunitaire des relations d’intimité est ainsi commise à un objectif inhérent à la condition anthropologique. Autrement dit, elle répond à l’exigence anthropotechnique de l’extension à l’espace dilaté du monde ouvert, du processus ontogénétique mis en marche au cours de la cohabitation placentaire originaire. Du point de vue de l’anthropologie, on dira que le propre de l’humain consiste dans le fait de créer des mécanismes d’«isolation» et de mettre en place des structures d’adoption immunitaire toujours plus extensives – contre la «sélection», «l’isolation», selon le mot de Dieter Classens44. Si l’on tentait de définir la proposition onto-anthropologique où doit aboutir la gynécologique philosophique dont nous avons tenté de restituer le programme, nous aurions sans doute ceci : une histoire naturelle des environnements amoureux. Puisque le venir-au-monde proprement humain consiste à être affectivement contenu dans les corps multiples d’instances allo-maternelles, on ne pense l’anthropogénèse que si l’on suit ce penchant pour les formes luxurieuses.

En assignant à la philosophie une problématique gynécologique, le geste de Sloterdijk a peut-être lui-même quelque chose de luxurieux, cependant que ce quelque chose est ce qui, dans sa pensée, produit un effet d’apaisement. L’exercice vise à décharger la tension qui déchire le monde des idées depuis plus de deux siècles, entre l’ambition forcenée de réfléchir le monde historique comme demeure par excellence de l’Humanité, et le sentiment de déréliction qui sourd néanmoins du plus profond de la psyché moderne. À l’aide d’un simple ajustement de l’ontologie existentiale du maître de Fribourg, Sloterdijk parvient à rétablir les fonctions périnatalistique en tant qu’essentielles à toute construction immunitaire, à tout aménagement des espaces d’inter-cordialité, à l’opération de toute force centripète. C’est en activant de telles puissances formatrices qu’il apaise la grande tension qui traverse la pensée moderne.

Nous pourrions faire remarquer tout simplement, en guise de conclusion, que le travail opéré sur le terrain de la gynécologie est sans doute ce que peut offrir de mieux un philosophe de l’être à la réflexion sur les techniques écouméniques et les théories du design intérieur. Au «royaume des contenants autogènes surréels45», il ne s’agit certes pas de se laisser aller passivement aux assujettissements et aux dépendances étrangères, mais d’accepter comme un fait l’adhérence irrésistible de ces rapports que distillent les phénomènes d’intimité. L’être humain s’engendre lui-même dans des environnements érotiques – c’est bien pourquoi ce que nous avons de mieux à faire, d’après Sloterdijk et à la suite de Platon, est sans doute de nous impliquer dans des aventures amoureuses avec d’autres habitants du monde des idées.

  1. Peter Sloterdijk, La mobilisation infinie, p. 159
  2. Peter Sloterdijk, Sphères I, Bulles, p. 96
  3. *ndlr : La venue au monde du présent texte est le résultat d’un travail philosophique et littéraire en deux temps. Arantzazu a élaboré la première version en espagnol, puis le texte a été traduit et repris en vue de l’édition par Emilie.
  4. Peter Sloterdijk, Bulles. Microsphérologie. Sphères I, Paris, Arthème Fayard, 2010 (2002 [1998]), p. 13
  5. En dessous de la célèbre exclusion de l’Académie aux seuls géomètres, on trouvait l’inscription, moins connue, qui invitait ses visiteurs à s’impliquer dans des aventures amoureuses avec d’autres visiteurs. Que l’on ne prétende pas accéder à la connaissance si l’on se refuse à fréquenter Éros.
  6. Peter Sloterdijk, La Mobilisation infinie. Vers une critique de la cinétique politique (1989), Paris, Christian Bourgois Éditeur, 2000, p. 143
  7. Peter Sloterdijk, ibid., p. 143
  8. Peter Sloterdijk, ibid., p. 143
  9. Peter Sloterdijk, Écumes. Sphérologie plurielle. Sphères III (2003), Paris, Maren Sell Éditeurs, 2005, p. 342
  10. Outre chez Arendt, qui place explicitement la condition humaine de la natalité au centre de sa phénoménologie, Sloterdijk en retrouve des traces, de Socrate à Cioran, chez autant de jalons de la pensée ancienne et moderne que : «Platon et Bloch, Schelling et Rank, Patanjali et Marx, Johannes Climax et Nietzsche, Maine de Biran et Stanislav Grof», Peter Sloterdijk, La Mobilisation infinie, op. cit., p. 182. On doit notamment à Hans Sener d’avoir attiré l’attention sur la présence d’une «conscience d’être “né”» dans Être et Temps de Martin Heidegger, remarque-t-il, et à Thomas H. Macho d’avoir ingénieusement découvert chez le même auteur «une pensée latente de la natalité», Peter Sloterdijk, ibid., p. 191, note 1
  11. Peter Sloterdijk, ibid., p. 181
  12. «S’il y a une part active dans Kehre, dit Sloterdijk, c’est bien celle qui se veut être une mesure contre la destructivité qui se déchaîne dans l’effondrement de positions non tenables.» Peter Sloterdijk, ibid., p. 189
  13. On doit à cette artiste et penseure un minutieux ouvrage consacré la figure archétypique de la mère. Voir Elisabeth von Samsonow, L’Anti-Électre. Totémisme et schizogamie (2007), Genève, MétisPresses, 2015 ; «Philosophie der monströsen Mutter», dans Marc Jongen, Sjoerd van Tuinen, Koenraad Hemelsoet (éds.), Die Vermessung des Ungeheuren. Philosophie nach Peter Sloterdijk, Munich, Fink, 2009, p. 130-142
  14. Peter Sloterdijk, Bulles. Sphères I, op. cit., p. 357. C’est l’auteur qui souligne.
  15. Voir aussi Max Scheler, La Situation de l’homme dans le monde (1928), Paris, Aubier, 1979 ; Helmuth Plessner, Die Stufen des Organischen und der Mensch. Einleitung in die philosophische Anthropologie (1928), Berlin, De Gryter, 1975 ; Arnold Gehlen, Der Mensch. Seine Natur und seine Stellung in der Welt, 1940.
  16. Peter Sloterdijk, La Mobilisation infinie, op. cit., p. 178
  17. Peter Sloterdijk, Bulles. Sphères I, op. cit., p. 356
  18. Peter Sloterdijk, Écumes. Sphères III, op. cit., p. 344
  19. Peter Sloterdijk, La mobilisation infinie, p. 162
  20. Peter Sloterdijk, Bulles. Sphères I, op. cit., p. 352-353
  21. Peter Sloterdijk, ibid., p. 356
  22. Voir Martin Heidegger, Lettre sur l’humanisme, Paris, Aubier, 1964
  23. Peter Sloterdijk, La Mobilisation infinie, op. cit., p. 162
  24. Peter Sloterdijk, ibid., p. 162
  25. Peter Sloterdijk, ibid., p. 159
  26. Peter Sloterdijk, ibid., p. 191
  27. «En traversant le monde souterrain et sinueux du monde intérieur, écrit Sloterdijk, on voit se déployer, comme une carte géographique sonore, l’image fantomatique d’un univers liquide et auratique – entièrement tissé à partir de résonances et de substances en suspension; c’est dans cet univers qu’il faut continuer à chercher l’histoire primitive du psychique. Cette quête a, par nature, la forme d’une mission impossible, que l’on ne peut ni remplir, ni abandonner.» Peter Sloterdijk, Bulles. Sphères I, op. cit., p. 72
  28. Peter Sloterdijk, La Mobilisation infinie, op. cit., p. 161-162
  29. Artréju s’aventure à travers des forêts où, la destruction s’étendant un peu plus chaque jour, il rencontre des créatures et des objets grignotés par le néant, jusqu’à ce qu’avec l’intrépidité de celui qui vient en sauveur, il se hisse à la cime d’un très grand arbre afin d’apercevoir la source du désastre. Alors, se tournant vers la direction où le soleil se lève, il a cette vision insoutenable : «Les couronnes des autres arbres qui se trouvaient à proximité étaient vertes, mais les feuilles des arbres qui se trouvaient derrière semblaient avoir perdu toute couleur, elles étaient grises. Et encore un peu plus loin, elles paraissaient étranges, comme du brouillard, ou, pour mieux dire, elles paraissaient devenir de plus en plus irréelles. Et derrière tout cela, il n’y avait plus rien. Ce n’était pas un endroit vide, ni une obscurité, ce n’était pas non plus une clarté, c’était quelque chose qui était insupportable aux yeux et qui vous donnait la sensation d’être devenu aveugle. Car nul œil ne peut supporter de regarder le néant complet. Artréju porta la main devant son visage […] c’est à ce moment-là seulement qu’il comprit tout à fait l’épouvante qui avait gagné Fantasie.» Cité par Peter Sloterdijk, ibid., p. 155 sq.
  30. Peter Sloterdijk, ibid, p. 160
  31. Ce n’est pas un hasard si l’on retrouve ici la structure du mythe platonicien de la caverne, prototype de toutes les catastrophes sous-terraines auxquelles l’ars pariendi promet d’échapper.
  32. Peter Sloterdijk, Le penseur sur scène. Le Matérialisme de Nietzsche (1986), Paris, Christian Bourgois, 2000, p. 63-64
  33. Peter Sloterdijk, Bulles. Sphères I, op. cit., p. 357
  34. Voir Peter Sloterdijk, Zur Welt kommen-Zur Sprache kommen. Frankfurter Poetik-Vorlesungen, Berlin, Suhrkamp, 1988.
  35. Peter Sloterdijk, Globes. Macrosphérologie. Sphères II (1999), Libella-Maren Sell, 2010, p. 184
  36. Peter Sloterdijk, Bulles. Sphères I, op. cit., p. 58
  37. Peter Sloterdijk, Bulles. Sphères I, op. cit., p. 108-109
  38. Peter Sloterdijk, ibid., p. 15
  39. Peter Sloterdijk, Sphères I, Bulles, p. 359
  40. Peter Sloterdijk, La Mobilisation infinie, op. cit., p. 160
  41. Dont il faut rappeler que l’appréhension, ici, n’est ni strictement anthropologique, ni biologique. Il ne s’agit pas de la mère-femme mais de la sphère de soin qui, dans des conditions normales pour des vivipares qui naissent en présentant un total défaut d’autonomie, entoure le nouveau-né.
  42. Peter Sloterdijk, Bulles. Sphères 1, op. cit., p. 356
  43. Peter Sloterdijk, Sphères I, Bulles, p. 99
  44. Voir Dieter Classens, Das Konkrete und das Abstrakte. Soziologische Skizzen zur Anthropologie, Frankfurt am Main, Surhkamp, 1993.
  45. Peter Sloterdijk, Bulles. Sphères 1, op. cit., p. 99