Un vent révolutionnaire souffle actuellement sur le milieu universitaire aux Pays-Bas. Bien que l’origine des récents tumultes soit le rejet d’une restructuration impopulaire touchant une seule faculté, le mouvement qui s’est mis en branle s’ancre dans une remise en question radicale de la structure de gouvernance des universités néerlandaises, le tout résultant de décennies de colonisation néolibérale au sein des institutions académiques.

En septembre 2014, suite à l’annonce d’un déficit de 13 millions d’euros à la Faculté des sciences humaines, le conseil exécutif (CvB) de l’Université d’Amsterdam (UvA) impose une importante coupure budgétaire provoquant la restructuration complète de la faculté dans le but d’en améliorer le rendement. Dans un document intitulé Profile 2016, les administrateurs de l’UvA proposent notamment l’annulation de certains programmes ; la fusion de l’ensemble des baccalauréats en un seul cursus de formation générale ; l’abolition de 150 postes en enseignement; et l’interruption du financement de projets de recherches indépendants. Cette refonte de la faculté, causée à l’origine par une mauvaise gestion, est dénoncée comme faisant preuve d’une méconnaissance ahurissante des conditions nécessaires pour assurer
un climat stimulant et enrichissant pour la recherche et l’enseignement universitaires1.

Faisant face à une première vague de résistance, le CvB organise des groupes de travail en collaboration avec la communauté universitaire, sans toutefois prendre en considération les critiques émergeant de ces réunions. Dès janvier 2015, les administrateurs de l’UvA annoncent qu’ils iront de l’avant avec les coupures budgétaires, ignorant totalement l’ampleur de la gronde dans la communauté universitaire.

Bezet ! Bezet ! Bungehuis bezet !2

De Nieuwe Universiteit3, un groupe constitué d’une dizaine d’étudiants et d’un professeur, entame le vendredi 13 février 2015 l’occupation du Bungehuis, un des principaux édifices de la Faculté des sciences humaines. La cible est hautement symbolique : le Bungehuis a récemment été vendu par l’UvA à un promoteur immobilier qui compte transformer l’immeuble historique en un hôtel luxueux. Il est un exemple idéal des dérives financières de l’UvA qui s’adonne activement à la spéculation immobilière, risquant par le fait même des pertes considérables dont la communauté ignore la teneur, faute de transparence.

Dès lors, De Nieuwe Universiteit donne le ton quant à l’amplitude de la crise et la radicalisation du mouvement de contestation. En plus d’exiger l’annulation de Profile 2016, le groupe réclame la démission du CvB et la mise en place d’un processus démocratique pour l’élection de la direction de l’UvA; la reconsidération du modèle d’allocation financière; la tenue de référendums au sujet des restructurations majeures; la mise en place de contrats stables pour les employés; et la cessation de la spéculation immobilière.

Le CvB refuse toutefois d’entamer toute forme de dialogue et intente une poursuite contre les occupants : la poursuite les menace individuellement de charges allant jusqu’à 100 000 euros par jour d’occupation. En réaction à cette dérive autoritaire, plus d’une centaine de professeurs de la Faculté des sciences humaines s’opposent publiquement à la criminalisation des activistes et signent une lettre ouverte affirmant qu’ils ont déjà pris part ou prendront activement part à cet exercice de désobéissance4. Au septième jour de l’occupation, la cause est entendue devant la cour municipale : le CvB remporte le procès mais la charge est cependant diminuée à 1000 euros par jours d’occupation pour tout le groupe et non par personne.

Suite au procès, des donations affluent afin de couvrir les charges légales. Une centaine de sympathisants continuent de se joindre quotidiennement à l’occupation pour assister au programme de conférences organisé par les occupants, malgré la menace d’une expulsion imminente. Le maire d’Amsterdam décide d’intervenir comme médiateur afin de forcer le CvB à entamer des négociations. L’offre finale de l’administration de l’UvA, après deux jours de négociations, est la tenue d’un «festival des sciences» organisé par le CvB en collaboration avec les occupants et où seraient discutés les enjeux soulevés sans toutefois qu’il y ait promesse que cet espace
de discussion soit décisionnel. De Nieuwe Universiteit rejette la proposition en assemblée générale et réitère ses revendications ignorées par le CvB. Après 11 jours d’occupation, 46 occupants sont mis en état d’arrestation et expulsés du Bungehuis.

La prise de Maagdenhuis

Au lendemain de l’expulsion, une grande manifestation est organisée en soutien aux revendications de De Nieuwe Universiteit. Le trajet se termine devant les portes du Maagdenhuis, l’édifice de l’administration de l’UvA, un symbole de la lutte étudiante des années soixante5. Dans un élan d’insurrection, les manifestant.es défoncent les portes de l’édifice et entament une nouvelle occupation spontanée. Des membres du CvB font leur apparition pour tenter de calmer le jeu mais seront par la suite chassés sous les cris de la foule qui scande «Aftredin ! Aftredin ! Aftredin !» («Démissionne! Démissionne! Démissionne!»). À la surprise générale, le maire d’Amsterdam arrive en soirée pour entamer une discussion de plus de deux heures avec les 300 occupants. L’assemblée est diffusée en direct sur les ondes de la télévision locale et sur le web.

Les semaines qui suivent marquent un tournant majeur dans la révolte étudiante amstellodamoise : la prise de Maagdenhuis porte la cause aux plans national et international. Dans les villes de Groningen, Leiden, Maastricht, Nijmegen, Rotterdam et Utrecht, des étudiants s’organisent sous la bannière De Nieuwe Universiteit afin de mettre en place des groupes de réflexion sur la structure managériale de leur propre université. Une pétition de soutien circule en ligne et est signée par plus de 7000 sympathisants, dont Judith Butler, Noam Chomsky, Jacques Rancière, Jean-Luc Nancy et David Graeber. Le mouvement s’étend maintenant jusqu’à Londres où quatre occupations différentes se sont déclarées en moins de deux semaines6.

L’autogestion au secours de l’université

Toujours sous occupation depuis plus d’un mois au moment d’écrire ces lignes, le Maagdenhuis est littéralement devenu le site d’une expérience sociale qui marque un tournant majeur dans l’histoire du mouvement étudiant néerlandais. L’idée derrière De Nieuwe Universiteit, soit la création d’une nouvelle université démocratique et décentralisée, s’exécute au rythme quotidien des conférences, des assemblées générales et des évènements culturels qui animent l’agora ouverte au public. Rethink UvA, un regroupement de près de 700 professeurs et doctorants, envisage désormais la mise en place d’une structure de gouvernance alternative afin de destituer les autorités en place et de remplacer la structure hiérarchique de l’UvA par un modèle d’assemblées constituantes. Si ce projet voit le jour, il signifie non seulement un premier pas vers la chute de l’université néolibérale tant décriée par la communauté universitaire, mais il inspire en plus la possibilité, pour toute communauté, de déserter les instances de pouvoir traditionnelles au profit d’une gestion autonome basée sur les principes de la démocratie directe.

À peine imaginable il y a de cela quelques semaines, cette tournure radicale des évènements place désormais les universitaires néerlandais sur la ligne de front du mouvement étudiant international. Aux côtés de leurs camarades québécois, chiliens, espagnols, macédoniens, birmans et britanniques, ils participent à la réhabilitation de la sphère académique comme espace autonome d’expérimentation et de lutte contre l’appauvrissement des consciences.

  1. Un groupe d’étudiants met immédiatement en place la plateforme Humanity Rally afin de mobiliser la communauté universitaire et de faire pression sur l’administration.
  2. Slogan chanté par les occupants. Traduction: «Occupé! Occupé! Bungehuis occupé!»
  3. De Nieuwe Universiteit : «La nouvelle Université» [traduction libre]
  4. La lettre ouverte, signée par 290 universitaires en date du 13 mars 2015, est disponible en ligne
  5. Le Maagdenhuis est reconnu pour sa mythique occupation par des étudiants en 1969. L’occupation dura quatre jours.
  6. Ces occupations ont lieu dans les institutions suivantes: London School of Economic and Political Science, University of Arts London, King’s College London et Goldsmiths University of London.