«Langue orale maganée, parlé colon, accent beauceron, saguenéen, gaspésien, bagout local, joual, chiac, cajun, louisianais, canuck, franglais, bilingue, michif, pidgin, idiosyncrasies familiales, langue de chantier, langue d’ouvrier, argot des malfaiteurs, langue de cuisine, langue du chien, récits, blagues, chansons, dires et maximes, mots des savoir-faires, langue de bois ou langue de rue, créole haïtien, français maghrébin et africain parlés en Amérique…» 

François Lemieux

Dans Parler en Amérique, cette constellation de parlures riches, rugueuses et vivantes, te permet de penser l’oralité comme une machine intime de décolonisation, on y reviendra. Qu’est ce que dit pour toi un accent en Nord Amérique Franco?

Dalie Giroux

Qu’est ce que dit un accent? Comment un accent apparaît dans la littérature, aussi? Où est-ce qu’il apparaît? Jack Kerouac, avec son manuscrit français, on ne peut pas dire que ça n’est pas du français, car tu peux juste le lire si tu comprends le français. Mais c’est très peu du français. La vie est d’Hommage, c’est pratiquement un livre qu’il faut lire à haute voix. C’est comme si on retournait au Moyen-âge… parce qu’il faut le lire à haute-voix pour le comprendre. Quand je le lis dans ma tête, je comprends, mais il faut que tu t’entendes. Pis là, tu le dis tout de suite comme il faut. Pis t’es capable d’aller chercher un rythme qui n’est pas le rythme de l’écriture, mais bien le rythme de la parole.

François Lemieux

Ça fait apparaître une distance entre l’oral et l’écrit, un décalage.

Dalie Giroux

T’es tout le temps dans l’écart. T’es tout le temps dans une parole. Moi je suis d’avis que toute écriture est une parole. Impersonnelle, ça ne veut pas dire une personne qui parle. Ça veut dire que ça parle. Mais quand on a une écriture qui est en décalage par rapport au français correct, ou une écriture que tu es obligé de lire à haute voix parce que c’est plutôt une oralité, on entre dans la politique. Ça devient un geste de révolte dans l’écriture. Jack Kerouac c’est ça. Jack Kerouac disait que pour lui écrire en français c’était une révolte contre la littérature.

François Lemieux

Sur un plan tactile, disons matériel, Truman Capote écrivait que Kerouac, c’était plus du «typing» que de l’écriture ou de la littérature…

Dalie Giroux

Oui, ça dit quelque chose du contact, de ce que tu es en train de faire. La vie est d’Hommage ça se lit pas, mais ça se dit, je pense. «Robert, t’eta tit. Mais tu waite encore plus gros». Quand tu le lis, «tu waite», tu penses au mot anglais – mais ce n’est pas ça. Il faut lire Jack Kerouac en français comme on lit du Michif en phonétique anglo. Il faut que tu trouves ton accent ancestral pour être capable de comprendre ce que ça dit, pour être capable aussi de faire une lecture qui sonne signifiante. Il faut lire oral – c’est-à-dire : dire.

François Lemieux

Signifiante aussi parce que l’accent situe. Le lieu d’où parle Kerouac, avec son français à lui, c’est pas celui du Michif. Ces ancrages particuliers sont tout à fait signifiants.

Dalie Giroux

Moi, pour lire du Kerouac, il faut que je sois ma grand-mère Giroux. Il faut que je sois dans sa cuisine que si elle avait été au Mexique, elle aurait été en terre battue. Sa cuisine où elle faisait cuire des affaires dans la poêle en fonte, pis après, à la remettait dans le tiroir, sans la laver. Y faut que je sois là-dedans. C’est ce bagout-là. Et pour moi, y’a rien d’exotique là-dedans. C’est hyper réel.

François Lemieux

Avec ça en tête, qu’est que ça veut dire écrire à l’oral, comme Kerouac l’a fait?

Dalie Giroux

Qu’est que ça veut dire écrire à l’oral? Écrire une langue qui ne s’écrit pas? Ben, l’enjeu est là. On est directement sur la question de la littérature. Qu’est-ce que ça veut dire d’écrire une langue qui ne s’écrit pas? Et qui le peut? Où est-ce que ça se peut? Comment ça se reçoit? Qui peut la recevoir?

François Lemieux

Pour déplier tout ça, tu parles aussi de la possibilité d’une traduction…