Sons de la rivière dansante,
groovy, rapides1

Pinock:
C’est très flatteur d’en parler comme d’une oeuvre d’art,
de dire que c’est beau. Je suis fier que mes ancêtres
aient créé·es une oeuvre d’art.
Mais personnellement, je ne suis qu’un Algonquin
qui fabrique des canots. J’ai l’impression de faire
quelque chose que traditionnellement
j’aurais fait de toute façon.

 

On ne mentionne pas le nom de la rivière.
On dit « rivière » tout simplement et si on veut aller
à la rivière des Outaouais, on dit Kiche Zibi –
c’est la grande rivière que vous connaissez.
Si vous demandiez à quelqu’un comment iel est arrivé·e
ici, iel répondrait «Je suis venu·e par la rivière». Vous ne
diriez pas «j’ai pris la rivière Gatineau, que j’ai
descendue avant de sauter les rapides», mais plutôt
«je suis venu·e par la rivière». C’est simple, on passe à
autre chose. On ne nomme pas tout à chaque fois… il n’y
avait pas de rues ici ou quoi que ce soit du genre…
On arrive tout simplement. À l’heure indienne.
On prend le temps qu’il faut.

Sons de rivière, pagaie

La rivière était la principale voie rapide de canotage et
elle l’est encore aujourd’hui. Toutes les petites routes se
jetaient dans la rivière et c’était donc la voie principale.
Mais il faut se rappeler qu’avant, il n’y avait pas
d’autoroutes. Il y avait de la forêt partout, et il fallait
pouvoir tout transporter. À l’époque du commerce des
fourrures, on pouvait transporter jusqu’à 5000 fourrures
sur des embarcations comme celle-ci.

Sons de castors,
un canot glisse sur l’eau silencieusement

Les animaux n’en ont pas peur parce que les matériaux
proviennent de la nature. Ils sentent ces choses
vous savez. Certains d’entre eux mangent de ces
affaires-là, donc ils n’ont pas peur du canot.
C’est très silencieux, très légers et avec ces
embarcations vous pouvez redescendre la rivière
facilement. Donc le design est parfait pour
l’environnement dans lequel nous vivons, la région ici.
Je n’en reviens toujours pas de l’intelligence de mes
ancêtres d’avoir su construire cette affaire-là.

 

Quand on te promène dans le porte-bébé, ton
éducation commence. Parce que ta mère te porte sur
son dos, elle te voit et tu es à sa hauteur.
Tu ne traîne pas au ras du sol. Tu es là haut, avec elle.
Tu es toujours en train d’observer ce qui se passe
autour de toi, et donc dès le jour 1,
ton éducation commence.

Sons de travail du canot et du porte-bébé,
conversation en Anishnabemowin

Je n’ai pas reçu d’éducation formelle, mais je ne suis
certainement pas autodidacte. Quelqu’un m’a montré.
J’ai vu mon grand-père fabriquer des canots, il y a 50
ans, 60 ans. J’ai vu faire des oncles dans la réserve.
J’ai vu faire d’autres membres de la communauté alors
j’ai pu apprendre de la communauté
dans son ensemble.

Sons de fabrication du canot

On ne dois pas couper dans cette partie verte ici,
car c’est l’écorce interne dont on a vraiment pas besoin.
C’est l’autre écorce qu’on veut. (…) On peut avoir
deux arbres côte à côte, l’un d’eux a tout ça ici, ça sort
par couches. En Algonquin on dit pitoushkway,
ça sort en morceaux. L’autre est solide, comme ça ici.
Tu vois comme c’est épais et solide (…) c’est ce qu’on
appelle un inoushkway. C’est une couche épaisse. Donc,
Pitoushkway se présente en plusieurs couches séparées.
Inoushkway est une couche stratifiée.

Sons d’écorce, toucher l’écorce…

Nous allions chercher de l’écorce. Dans mon esprit,
je me disais que j’allais revenir avec un camion
plein d’écorce. Il fallait prévoir l’essence en bonne
quantité, apporter notre déjeuner, car on devait allez très
loin pour en trouver. C’est beaucoup de travail la récolte
de l’écorce. Une fois qu’on a terminé, il me dit «Mets-ça
dans le camion pis on rentre à la maison.» Alors j’ai dit
d’accord… parce que c’est l’aîné et que je respecte
l’ainé et sa décision de rentrer à la maison.

 

Prenez de la nature ce dont vous avez besoin.
Elle a été créée pour qu’on en fasse bon usage
et non pour en abuser.

 

L’ainé me montrait comment faire, mais sans dire
un mot, simplement à travers les gestes qu’il posait.
C’est la façon autochtone d’enseigner, avec les trois «L» :
«look, listen, learn»2.

 

Maintenant, prends tes doigts. Presses le bois ici,
par en bas, toujours vers l’extérieur. Si tu vas dans ce
sens là… et maintenant tu vois que ça va
un peu loin. Tu vois, il n’y a pas de grain qui va
dans ce sens là, ça va dans l’autre sens. Ça se fend
mieux avec le grain dans cette direction (…)
Si il est orienté du côté épais, tu peux pousser vers
le côté qui est plus mince, et normalement ça fendra
tout droit, vers le bas. Vas-y très doucement.

 

Ça a beaucoup à voir avec le choix des matériaux, ce qui
me rend fier de mes ancêtres. Le canot sera durable.

 

Quand on prend de l’écorce comme celle-ci, celle qui
est plus épaisse, je peux séparer les fibres et
j’insère entre-elles ces racines. Je les mets dedans,
et je laisse ça reposer. Après un certain temps
on ne peut plus les retirer. Parce que cette écorce,
bien qu’elle soit morte depuis cinq ans et qu’elle soit
desséchée, elle a toujours un peu de vie en elle.
Elle veut se guérir et reprendre sa forme et donc ça ne
va plus se défaire. Ça reste pris à l’intérieur.

 

Racines d’épinette, ici gomme d’épinette,
gomme d’épinette pour les joints, écorce de bouleau,
tout en cèdre à l’intérieur, sauf les banquettes qui
sont en frêne. Sent-moi ça. Ça sent très bon.

 

Ensuite, tu fais fondre ça. Il faut très peu de chaleur…
tu fais fondre dans la poêle. Cette chose là, tu la
prends … et je prendrais juste un morceau comme ça
pour bien sceller l’écorce de bouleau. Donc tu prendrais
ça et tu ferais comme ceci. Et voilà, c’est scellé.
C’est de la bonne gomme.

 

Tu peux aller dans la forêt avec un minimum d’outils
et avec l’approvisionnement de la nature, ça peut
te donner un canot avec lequel tu pourras ensuite sortir
de la forêt. Ça permet d’apprécier le Créateur et
la Nature et tout ce qui est là autour. C’est là et
ça ne pollue rien. Et si vous laissiez le canot
quelque part, il retournerait tout simplement à ce qu’il
était avant. Il retournerait à la nature sans polluer quoi
que ce soit, parce que tout ça vient de la forêt.

 

Émilie:
Pensez-vous que les gens continueront à fabriquer des
canots dans 50 ans, ou 70 ans?

 

Pinock:
Les connaissances sur la fabrication des canots
seront encore bien vivantes. Parce que les jeunes qui
apprennent aujourd’hui sauront toujours comment les
fabriquer, ils sauront comment faire. En ce qui concerne
les matériaux, c’est une autre histoire. Il se peut que
nous ayons du mal à trouver de l’écorce. À un moment
donné, il sera impossible de trouver de l’écorce de
qualité, ou même des arbres.

 

Aujourd’hui, nous pourrions encore avoir de l’eau
potable et de l’air frais à respirer si nous donnions
juste une possibilité à la nature de se régénérer.
Mais on continu de polluer, et nous sommes tou·te.s
coupables. Je ne blâme aucune nationalité en particulier
de ruiner le monde, nous sommes tou·te.s coupables
parce que nous sommes tou·te.s ici et que nous faisons
tou·te.s la même chose. Comme vous le savez,
c’est une chose universelle. Ça peut changer,
mais ça demande un effort de la part de tout le monde.
On a de la misère à mettre deux personnes d’accord sur
quoi que ce soit, alors comment allons-nous faire pour
que les nations s’entendent entre-elles? C’est un beau
rêve, mais c’est peu réaliste.

 

Émilie:
Peut-être que tout ce monde devrait construire
un canot ensemble.

 

Pinock:
Ils devraient, ça pourrait leur faire réaliser à quel point
le monde pourrait être beau, vous savez, si nous le respections.
Tout se résume à ce mot: respect.

  1. Ninóswáhadón Sibi, I Follow the River (2019) d’Émilie Monnet, est une pièce audio de 11 minutes 11 secondes pour casque d’écoute et un podcast, créée avec Pinock Smith. Nous reproduisons ici des extraits de cet échange enregistré au studio de Pinock à Kitigan Zibi. D’autres des sons et extraits audio ont été recueillis et enregistrés sur les rives de la Tenagàdinozìbi (rivière Gatineau) et de la Kichi Sibi (rivière des Outaouais). L’oeuvre a été commandée par CUAG et GUQO en partenariat avec DAÏMÔN et Transistor Média, avec le soutien de l’Université Carleton, de l’Université du Québec en Outaouais, du Conseil des Arts du Canada, du Conseil des Arts de l’Ontario et du Fonds d’initiatives numériques Reesa Greenberg. Montage sonore et mixage par Pascal Desjardins. Traduction française : François Lemieux.
  2. ntd.: Regarde, écoute et apprends