Je suis un intellectuel voyou qui a lentement accumulé un arsenal privé avec l’intention de l’utiliser. À une époque où règne le prêt-à-penser, toute idée originale prend le caractère d’une arme mortelle. Tout homme de bonne volonté est l’ennemi de la société.1.
— Marshall McLuhan

Penser n’a-t-il pas toujours signifié répondre au défi consistant à faire apparaître le démesuré objectivement devant nous? Et ce démesuré qui invite au comportement conceptuel n’est-il pas déjà en soi incompatible avec la nature tranquilisante du médiocre2?
— Peter Sloterdijk

Cet essai explore l’influence de la théorie des médias développée par Marshall McLuhan sur le souci thérapeutique généralisé qui anime l’œuvre de Peter Sloterdijk3. Il s’agira de montrer comment, en résonance avec McLuhan, Sloterdijk pose un regard clinique sur la viabilité de notre situation dans le monde, sous l’effet d’une immersion radicale dans ce qui nous dépasse et nous façonne de l’extérieur : le média.

À la suite de McLuhan, Sloterdijk pense l’immersion radicale dans le média comme étant à la fois explicitation de l’environnement – par exemple planétaire ou virtuel – et provocation immunitaire. L’enjeu concerne les modalités propres au «dans» en question: sa spatialité, sa teneur ontologique, ses dispositifs techniques, ses expériences, les tentatives d’invasion dont il fait l’objet, etc. À cet effet, nous ne pouvons trop insister sur le fait que le «dans» moderne n’est plus le fait d’une entrée dans une sphère intime identique à elle-même, qu’elle soit divine, métaphysique ou géopolitique. Même Heidegger, insiste Sloterdijk dans les dernières lignes de Bulles, n’invite plus à chercher la vérité dans l’homme intérieur ; il appelle à s’engager dans la monstruosité de l’extérieur : «Le sens du “dans” se transforme une nouvelle fois. Compte tenu des guerres de mondialisation et des percées techniques qui ont donné son caractère à notre siècle, être-dans signifie habiter le monstrueux4.» La question est alors de comprendre comment résister à une intériorisation toxique de cette extériorité sans fin. L’explicitation moderne, c’est la fin de l’aura de sécurité dont jouit la «vie non-alarmée5».

Traversant l’œuvre de Sloterdijk, il y a un examen minutieux de cette propension, propre à l’immersion médiatique – et tout particulièrement à l’ère de la globalisation numérique –, à se projeter vers, mais aussi à se laisser atteindre par le lointain. Cette propension s’accompagne aussi bien d’un potentiel émancipateur que d’une exposition dangereuse, voire insupportable. Le projet éthique et thérapeutique de Sloterdijk consiste à penser l’aménagement d’espaces et la conception de médias autoplastiques et vibratoires — auquel il donne le nom de «sphères» — assurant le confort et la stabilité nécessaires au déploiement créatif de la vie. La provocation immunitaire propre à l’immersion médiatique ne saurait mener à un retrait du monde. Au contraire, il s’agit d’assurer une capacité d’expansion dans l’espace et de prévenir par le fait toute chute dans une spatialité dépressive6. La dépression apparaît comme le symptôme d’une rétraction, voire d’une destruction de l’espace relationnel7. Hors des médias, des sphères, nous ne sommes que points morts «dans un alentour indifférent et hors d’atteinte» – dans un environnement8. L’effet thérapeutique de la constitution de sphères peut à cet égard être considéré comme la possibilité du «bon éloignement», par lequel des connexions peuvent être établies et la pensée prospérer.

Cette conception du média comme puissance affective et énergétique, créatrice d’espaces de solidarité et de résonance, c’est chez McLuhan qu’il faut en chercher la filiation :

Je prends comme hypothèse, avec Marshall McLuhan, que les ententes entre les hommes dans les sociétés – avant tout ce qu’ils sont et ce qu’ils font par ailleurs – ont une signification autoplastique. Ces rapports de communication donnent aux groupes la redondance dans laquelle il leur est possible de vibrer. Ils leurs impriment les rythmes et les modèles par lesquels ils se reconnaissent et par lesquels elles se reproduisent à peu près sous la même identité9.

Le rapport aussi bien immunitaire que thérapeutique aux médias joue un rôle central dans l’œuvre de McLuhan. Celui-ci explore les effets des médias, conçus comme des prolongements technologiques du corps, en portant une attention particulière à la manière dont ils assurent aussi bien qu’ils perturbent l’équilibre sensoriel et cognitif. Loin d’être le chantre de l’émancipation technologique auquel on l’associe parfois, McLuhan pose le diagnostic précoce d’une modernité médiatique qui s’impose sous le signe de l’effroi, de l’hypnose et de la dépression nerveuse. Son œuvre peut être comprise comme un effort visant à contrer les effets néfastes des médias, par un entraînement assidu des sens et de la perception.

En examinant l’influence de la théorie médiatique de McLuhan sur Sloterdijk, cet essai accorde une attention spéciale à deux structures spatiales inhumaines qui ont occupé les deux auteurs et constitué un moment fort de l’explicitation des conditions de l’hébergement humain : l’espace cosmique et l’espace virtuel du village global10. Il s’agira également d’insister sur la manière dont Sloterdijk se distancie de McLuhan et de l’optimisme d’un retour inévitable à un équilibre des sens, voire même à une forme d’unité spirituelle11. L’essai conclut sur une discussion des enjeux thérapeutiques propres à cette tâche fondamentale qui consiste à apprendre à habiter les médias qui nous constituent, à l’ère de la globalisation numérique.

Depuis l’espace : la Terre, comme œuvre d’art 

Nous ne savons pas qui a découvert l’eau, mais nous sommes quasiment certains que ce n’était pas un poisson.12.
— Marshall McLuhan

L’examen des effets de l’aventure spatiale sur la manière dont les humains perçoivent et habitent la Terre constitue un héritage, chez Sloterdijk, de la pensée de McLuhan. Déjà, il y a 50 ans, McLuhan commentait en ces termes la manière dont la capsule spatiale et la technologie satellite transformaient notre perception de la Terre en tant qu’environnement artificiel :

La capsule et le satellite ont créé un nouvel environnement pour notre planète. La planète est maintenant le contenu des nouveaux espaces créés par la nouvelle technologie. Au lieu d’être un environnement dans le temps, la terre elle-même est devenue une sonde dans l’espace. En d’autres termes, la planète est devenue un anti-environnement, une forme artistique, une extension de la conscience donnant une nouvelle perception du nouvel environnement créé par l’homme.13.

Ou encore, cet extrait d’un entretien diffusé en 1972 sous le titre évocateur de The Planet as Art Form :

Lorsque le Spoutnik a fait le tour de la planète, la planète est devenue une forme artistique. La nature a disparu du jour au lendemain et la planète polluée (polluto) a pris la place de l’ancienne nature. Planète polluée (polluto), découverte en très mauvais état, nécessitant une grande attention de la part de l’humain – une forme artistique.14».

La technologie spatiale ne concerne donc pas seulement une sortie hors de l’environnement terrestre, mais bien, par contraste, l’installation technologique de la Terre en tant qu’anti-environnement. La distinction est cruciale et pour bien la cerner il convient peut-être de rappeler que chez McLuhan, le propre d’un environnement est d’être invisible à ceux qui s’y trouvent. L’environnement est, par définition, imperceptible. C’est à ce titre qu’il conditionne avec succès notre conscience, notre perception et notre expérience du monde. Et c’est d’ailleurs à ce niveau qu’intervient le processus esthétique et plus précisément le travail de l’artiste : l’artiste est engagé dans la détection et l’exploration – à coups de sonde (probing) et de transgressions – des environnements qui nous constituent15. Pour McLuhan, l’œuvre d’art est une forme remarquable et indispensable de perception, au sens où elle révèle à la conscience l’environnement inconscient qui la constitue. L’œuvre d’art transforme l’environnement existant en un anti-environnement16. Pour le dire dans les termes qui seront ceux de Sloterdijk, l’œuvre d’art participe de l’explicitation moderne, de par sa mise en scène des conditions atmosphériques propres à la vie habitée.

Ce travail au niveau de la perception ne doit pas être conçu comme une simple affaire de représentation. Le satellite a des effets : il modifie notre manière de percevoir la Terre et de s’y rapporter tout en générant de nouvelles manières de penser l’espace. Avancer avec McLuhan que la technologie spatiale transforme la planète en une œuvre d’art c’est donc dire qu’elle crée un nouvel environnement. Toute technologie, chez McLuhan se crée un environnement. C’est d’ailleurs ainsi qu’il faut comprendre la formule de McLuhan voulant que le médium soit le message. Le médium, c’est l’environnement ; et le message, son effet. Tel un poisson dans l’eau, l’humanité est immergée dans le média de sa propre création17.

Dire qu’avec Sputnik, la Terre devient une forme d’art, c’est donc aussi dire que, par le fait même, la technologie spatiale expose, rend visible, l’environnement qui nous conditionne et que nous habitons – ce qui contribue à nous en immuniser. Sputnik transforme la Terre en seconde nature. Pour illustrer cette dialectique entre les effets de l’environnement et notre perception de ces effets, entre conditionnement et immunisation, McLuhan utilise l’exemple de la capsule spatiale, qui incarne la capacité qu’a la technologie à mimer, à simuler l’(ancien) environnement dans lequel nous vivons. Il emprunte à l’inventeur et designer américain Buckminster Fuller, qui a entre autres contribué à populariser la vision de la Terre en tant que vaisseau spatial (spaceship earth). Dans un document publié dans le cadre de la série de la World Design Science Decade18, Fuller indiquait par exemple que la première capsule spatiale qui pourra assurer un séjour prolongé de l’homme dans l’espace, loin de tout service de traitement des déchets, serait considérée comme la première «habitation scientifique» (scientific dwelling) de l’histoire19. L’environnement artificiel qu’est le vaisseau spatial soustrait le «voyageur» à l’environnement terrestre et, par le fait même, permet d’appréhender celui-ci d’une nouvelle manière. La technologie prend alors la forme d’un travail de la perception faisant émerger des processus du reste invisibles dans le champ de la visibilité.

Les relations fortes établies par McLuhan entre technologie spatiale et mise en scène de la Terre trouvent une forte résonance dans la pensée sloterdijkienne de l’explicitation. Les outils des technologues et autres cartographes, insiste Sloterdijk, n’ont de cesse de faire artificiellement émerger des faits jadis voilés dans le champ de la visibilité. À cet effet, l’«installation d’une atmosphère électronique et d’un environnement satellitaire dans l’orbite de la Terre»20 est sans contredit l’un des événements-clé par lesquels notre situation dans le monde s’est imposée à nous comme connaissance à la fois explicite et vexatoire. Plus qu’un simple malaise, cette ouverture à un espace extérieur que l’on dit infini est vécue sous le signe d’un arrachement à l’intérieur qui abrite. Elle signe aussi bien l’achèvement de la globalisation terrestre qu’elle constitue une transformation significative des conditions de l’immunité humaine.

Sloterdijk s’attardera d’ailleurs à son tour au vaisseau spatial en tant que technologie particulièrement propice à illustrer la dimension immunitaire de l’espace habité. Si d’un point de vue philosophique le vol spatial est l’entreprise la plus importante de la modernité, c’est qu’il constitue l’expérience ultime de cohabitation immanente des hommes avec des systèmes de choses – systèmes de communication, centres de navigation, vecteurs d’approvisionnement énergétique, unités de life support, etc21. Le vol spatial, c’est le séjour suprême dans une prothèse du «monde de la vie», dans laquelle l’espace d’habitation est totalement contrôlé de sorte à protéger la vie, à la renforcer. Pour Sloterdik, le vaisseau spatial incarne l’«île absolue», le modèle «du monde dans le monde» ayant pour objet la «reconstitution intégrale, excentrique, radicalement explicite des prémisses de la vie dans l’espace extérieur»22.

La station spatiale nous oblige à penser la vie des hommes en dehors du confort ontologique habituel, en dehors de l’environnement qui l’entoure, la porte, lui sert de milieu. Dans la station, ce sont les hommes qui font eux-mêmes le design de l’environnement dans lequel ils sont appelés à séjourner : la technique y renverse littéralement l’environnement, entoure ce qui entoure, englobe ce qui englobe, porte ce qui porte. Ce n’est pas l’astronaute qui s’adapte à un environnement, mais bien un environnement qui est installé à même l’édifice spatial, duquel dépend entièrement le maintien de la vie dans un milieu qui lui est autrement hostile. Les hommes n’y viennent jamais «nus et seuls». La station spatiale, c’est aussi l’art du maintien en vie dans la connected isolation, ce principe du co-isolement par agrégation caractéristique des formes de vie contemporaines : le système d’approvisionnement – autant organique (déchets, etc.) que psychique – y dépend entièrement d’une mise en réseau des corps, d’une gestion de la fermeture et de l’ouverture par rapport à l’extérieur (stations terrestres au sol, film, musique et repères culturels amenés à bord, etc.). Ayant intériorisé la totalité de la nature, le vaisseau représente le type de l’espace sans extérieur : la Terre est enfin ronde. En somme, la capsule spatiale incarne le cas paradigmatique de l’explicitation du séjour dans un intérieur. Il s’agit d’une expérience extrême de design technique de l’être-ensemble, du monde commun aux hommes et aux choses.

Dans l’«air vif de la modernité», les conditions propices à l’habitat ne parviennent plus à rester à l’arrière-plan. Le résultat net, en termes immunitaires, c’est la perte du privilège de la naïveté relativement à «ce qui “reposait” jadis discrètement à la base de tout, ce qui entourait et enveloppait pour former un environnement23». Après Sputnik, la Terre n’est plus au-delà de tout soupçon.

L’espace virtuel, ou être-dans-le-global
 
L’espace acoustique a le caractère fondamental d’une sphère dont le foyer ou le centre est simultanément partout et dont la marge n’est nulle part…24—Marshall McLuhan

La théorisation de l’espace et plus spécifiquement des sphères, chez Sloterdik, est marquée par l’influence de la notion d’espace acoustique développée par McLuhan — avec des collègues de l’Université de Toronto, dont Ted Carpenter — dès la fin des années 1950. L’espace acoustique, chez McLuhan, se donne à penser comme un espace non-enfermé, à la fois abstrait et matériel. Il s’agit d’un espace dynamique, qui problématise l’association dominante entre l’espace et le visuel, particulière forte dans le cas du média imprimé25. Par contraste avec l’espace visuel, l’espace acoustique constitue un espace non-linéaire. En ce sens, il se distingue aussi radicalement des conceptions modernes de la communication comme un transport d’information d’une source vers une cible.

Dans The Global Village, McLuhan formulera à cet effet une critique sans appel du modèle qui est à la base des théories contemporaines de la communication, soit le modèle de Shannon et Weaver, qu’il qualifiera de «modèle oléoduc» (pipeline model), ancré dans une séparation entre «contenant matériel» (hardware container) et «contenu logiciel» (software content)26. Si le modèle de Shannon et Weaver est particulièrement représentatif d’une pensée linéaire, c’est qu’il isole la communication de son environnement, excluant de facto le «bruit» (noise) inhérent aux conditions et aux possibilités de la communication. Par le fait même, il accentue la distinction entre intérieur et extérieur et tient pour acquis que la communication renvoie à une correspondance littérale en lieu d’une construction, d’une traduction perpétuelle(((Ailleurs, l’importance que McLuhan accorde aux médias comme environnements prend une tournure littéralement écologique. Par exemple, en 1976, toujours à propos du modèle de Shannon et Weaver:

Leur modèle est tiré du télégraphe qu’ils considèrent simplement comme une sorte de pipeline pour le transport. Récemment, alors qu’on débattait de l’oléoduc oléoduc trans-Alaska ici au Canada, c’est ressorti avec force qu’il allait détruire les peuples indigènes, dans toutes les directions. Le modèle de communication Shannon-Weaver n’est qu’un modèle de transport qui n’a pas de place pour les effets secondaires des environnements de service.» 27.

Par contraste, l’espace acoustique est un espace sans frontières stables et sans direction – un espace animé, qui crée ses propres dimensions, qui ne contient pas la chose elle-même, mais qui est plutôt constitué par celle-ci28.

Cette compréhension de l’espace acoustique comme espace animé et non-linéaire constitue une influence forte de McLuhan sur la théorie médiatique de Sloterdijk. Tel que le rappelle d’ailleurs celui-ci, McLuhan conçoit la communication en tant que transformation de la source et de la cible : «Toute forme de transport ne véhicule pas seulement, mais transpose et transforme l’expéditeur, le récepteur et le message29.» Chez Sloterdijk comme chez McLuhan, les médias – à commencer par les langages – n’ont pas pour usage principal la transmission de l’information, mais bien «la formation du corps de groupe communiquant». Les médias produisent des espaces à la fois intimes et interpersonnels, de résonance collective. Des espaces énigmatiques, qui résistent à toute réduction au langage et à la pensée. Mais les espaces acoustiques sont d’abord et avant tout des espaces de solidarité et de non-indifférence. Comment ne pas penser, à cet effet, à cette description que fait Sloterdik de la cohésion psychoacoustique de la «horde primitive» dans cet essai de paléopolitique qu’est Dans le même bateau :

D’une certaine façon, on est en droit de dire que le mode d’existence des groupes préhistoriques est un mode global – non parce que les individus auraient su que la terre était un globe physique à la surface duquel ils auraient pu vivre partout, mais bien parce qu’ils existaient à l’intérieur d’un globe psychique et sonore, et pouvaient y survivre partout, à la seule condition que cette sphère acoustique se maintienne intacte30.

Voilà un thème qui traverse la théorie médiatique de Sloterdijk, se déclinant sur le thème de l’immersion de l’individu dans un média qui le dépasse et par lequel il se place en contact avec d’autres. L’histoire des médias, c’est d’abord l’histoire des systèmes de résonance communicationnelle, de communion dans la pensée. C’est l’histoire d’un «jeu incessant de contaminations affectives31» C’est bien à cela que réfère la sphère acoustique de la horde primitive : au motif fort d’être ensemble, en des formes variables32.

À plusieurs égards, cette description du «mode global» emprunte à celle attribuée à la notion de «village global» développée par McLuhan. Pour McLuhan, l’avènement des médias électroniques participe d’une implosion de l’espace habité et plus particulièrement de l’espace compris comme uniforme, pictural et clos : l’espace euclidien. Cette situation l’amènera formuler l’émergence d’un village global au sein duquel l’étendue du monde se résorbe en une forme de tout organique. Ce qui est en jeu concerne la manière dont une forme de média modifie notre rapport le plus intime, sensoriel, au monde. C’est, plus spécifiquement, la manière dont le média électronique désincarne l’individu, le dissout dans un extérieur, dans une situation qui le dépasse. Déjà, en 1961, McLuhan écrivait :

Ce qui s’est passé avec l’avènement de l’électronique n’est pas que nous déplacions plus rapidement les produits de la connaissance ou du travail humain vers tous les coins de la planète. Nous dilatons plutôt les moyens et les processus mêmes des discours pour créer une enveloppe globale de sens et de sensibilité à la terre… Chacun d’entre nous, activement ou passivement, inclut toutes les autres personnes sur terre…33»

Ou encore :

À l’âge de l’électricité, où notre système nerveux central se prolonge technologiquement au point de nous engager vis-à-vis de l’ensemble de l’humanité et de nous l’associer, nous participons nécessairement et en profondeur aux conséquences de chacune de nos actions34.

Comme l’indique la référence au système nerveux central, McLuhan conçoit les médias, et toute technologie d’ailleurs, comme des prolongements des sens. Cette corporéité de la communication constitue une dimension fondamentale du village global. Espace acoustique s’il en est un, celui-ci ne saurait être compris comme simple mise en communication entre individus, mais bien comme un engagement, à la fois corporel et virtuel, de tout le monde dans tout le monde.

La thèse du «village global» constitue également un moment de distanciation de Sloterdijk par rapport à McLuhan. Pour dire les choses simplement, Sloterdijk soupçonne McLuhan de ré-introduire le motif théologique de la communion comme mode d’être-ensemble à l’ère électronique35. Ainsi lorsque vient le temps d’identifier une œuvre illustrant bien l’image d’un globe à la rondeur achevée que doit contester une théorie médiatique de l’époque contemporaine, c’est vers ce concept que se tourne Sloterdijk. Dès les premières pages d’Écumes, troisième tome de la trilogie des Sphères, il cite la thèse classique de McLuhan, reformulée de plusieurs façons à travers son œuvre36 : «La simultanéité électrique du mouvement d’information produit la sphère globale vibrante de l’espace auditif, dont le centre est partout et la circonférence nulle part.37» En apparence, nous dit Sloterdijk, la thèse de McLuhan concerne la répartition des chances auditives dans l’espace radio-acoustique de la sphère globale38. Mais, à y regarder de plus près, nous n’avons affaire ici à rien de moins que l’incarnation d’une «théorie dernière de la sphère unique», trahissant les «lubies théologiques» et autres «ambitions néo-pauliniennes du plus grand théoricien des médias de son époque» 39. Après tout, McLuhan ne suggère-t-il pas qu’en nous soustrayant aux opérations de la parole ( spoken word ), l’ordinateur pointe vers la formation d’une sorte de «conscience cosmique universelle40»? Tel qu’envisagé par McLuhan, le village global serait animé par une sorte de catholicisme électronique, suivant lequel l’ordinateur permettrait l’intégration de l’humanité dans une «communauté psychique supertribaliste41».

Sans aucun doute, McLuhan prête le flanc à une telle critique. Pensons à la conclusion d’un célèbre entretien paru dans le magazine Playboy, en 1969, et où il affiche un mélange d’utopisme technophile et d’harmonie organiciste :

Je sens que nous sommes au seuil d’un monde libérateur et enivrant dans lequel la tribu humaine (human tribe) pourra réellement devenir une famille et dans lequel la conscience de l’homme sera libérée des chaînes de la culture mécanique et pourra errer dans le cosmos42.

Pensons aussi à cet extrait de Pour comprendre les médias dans lequel il évoque la promesse d’une «Pentecôte technologique», c’est-à-dire d’un «état de compréhension et d’unité universelles40». Il ne fait aucun doute que l’humanisme technologique de McLuhan a tendance à se confondre avec une médiologie de la communauté universelle à venir44.

C’est précisément en ce sens que Sloterdijk insiste sur l’écart entre sa proposition d’une sphérologie pluraliste et la cosmologie médiatique de McLuhan. En effet, s’il y a bien un impératif qui traverse les travaux de celui-ci, c’est l’urgence de faire notre deuil de toute forme de «métaphysique de l’Un» et plus particulièrement, de l’adéquation entre l’espace solidaire de l’humanité et la rondeur d’un globe uniforme. C’est d’ailleurs à cette tâche que se consacre le concept d’«écume», qui rompt radicalement avec toute forme d’holisme voulant que nous soyons tous inclus dans une «sphère hybride, tribale et globale45». En partant du constat voulant que «la mort de Dieu» représente aussi et surtout un éclatement de la «Sphère Une», il s’agit alors de formuler une théorie des espaces habités qui prenne assise dans une conception de la «vie» comme déploiement multiperspectiviste et hétérarchique38. Le diagnostic est sans appel : il faudra faire sans conscience universelle.

Voilà qui s’applique tout particulièrement au «fantasme spatial» sur lequel se fonde le projet de globalisation numérique, consistant à rendre au monde la forme sphérique de l’espace qui protège. Se drapant d’une peau médiatique électronique, résume-t-il dans l’introduction à Bulles, le corps de l’humanité cherche à se créer une nouvelle constitution immunitaire47. Comment ne pas penser à cette affirmation de McLuhan dans Pour comprendre les médias: «À l’âge de l’électricité, c’est toute l’humanité que nous portons comme peau48». À McLuhan qui associe ainsi les prolongements technologiques de l’être humain à une humanisation intégrale de la planète, Sloterdijk ne manque ainsi pas de rétorquer que l’«humanité» après la globalisation, «ce sont en majorité ceux qui sont restés dans leur propre peau, les victimes du Moi comme inconvénient lié au site49». C’est-à-dire que le fait que le «monde n’a plus d’extérieur», vérifié par la mise en orbite des premiers satellites, ne signifie aucunement que tout un chacun en habite l’«intérieur» selon les mêmes conditions symboliques, économiques et biopolitiques. En aucun cas, l’inégalité des accès aux possibilités immunitaires – et les combats entre systèmes immunitaires qui en découlent – ne sauraient être considérées comme chose du passé50.

Par-delà les références nostalgiques au confort implicite d’une «humanité» rassemblée sous l’égide de l’Un – sorte de superorganisme préexistant l’organisation de la vie connectée –, nous dit Sloterdijk, l’horizon politique mondial demeure sous le signe du formatage familial, tribal et national des unités de solidarité51. Quiconque affirme savoir comment fonctionne l’inclusion totale de l’humanité dans l’humanité elle-même est un charlatan52. S’il y a bien un élément central à la figure de l’écume, c’est justement le fait que les forces humanisantes ne sauraient être autres que des forces «se pliant sur elles-mêmes» ; il s’agit de forces médiales qui, du fait même de leur constitution, restreignent l’accès aux ressources vitales disponibles, à l’espace aérien. Il n’y a donc pas de «maison pour tous», d’unité effective du monde – qu’elle soit spirituelle, technologie, politique, ou autre.

Aussi, d’une manière générale, lorsque McLuhan discute du «village global», ce n’est pas pour en souligner l’«unité», mais bien pour mettre en évidence la situation d’«interdépendance» qui y est manifeste53. L’idée voulant que le village constitue un espace d’apaisement et de pacification occupe ainsi une place pour le moins incertaine – et contestée – dans l’œuvre de McLuhan. Ainsi, quelques instants seulement avant de se faire le prophète d’un monde libérateur, lors de son entretien avec Playboy, McLuhan y allait d’une mise en garde sans équivoque : «Il est inévitable que la circulation mondiale de l’information électronique nous ballotte comme des bouchons sur une mer agitée […].»54 C’est justement en raison de l’inévitabilité du cataclysme, indiquait-il alors, qu’il convient d’étudier en profondeur les transformations médiatiques contemporaines, de manière à mieux s’y adapter. On ne peut pas, insiste ailleurs McLuhan, voir dans la connectivité le signe d’une cohésion ou d’une circulation harmonieuse et, conséquemment, faire l’apologie de l’implosion spatiale qui l’accompagne :

Plus vous créez les conditions du village, plus il y a de discontinuité, de division et de diversité. Le village global assure impérativement un désaccord maximal à tous les plans. Il ne m’est jamais venu à l’esprit que l’uniformité et la tranquillité étaient les propriétés du village global. […] Le village est, en profondeur, une fission, et non une fusion. Le village n’est pas un endroit où trouver la paix et une harmonie idéale. C’est exactement le contraire. […] Je n’approuve pas le village global. Je dis que nous y vivons55.

Cette insistance sur la scission et le conflit régnant à même le village global réconcilie partiellement celui-ci avec une sphérologie pluraliste caractérisée justement par l’absence de structure immunitaire effective à l’échelle mondiale. Pourtant, la sévérité de la critique de Sloterdijk concernant «l’unité du village global et de l’Église» indique que c’est insuffisant à ses yeux.56 Pour comprendre le sens de la rupture opérée par Sloterdijk, on ne peut s’en tenir à la question de la justesse, ou non, du diagnostic – qu’en est-il du village global? Il n’est pas suffisant d’affirmer le caractère dépassé de formes anciennes de solidarité, dont la perte d’efficacité immunitaire ne fait plus aucun doute. Ce qui sous-tend la rupture dans le traitement de la question du global, c’est d’abord et avant tout la question du caractère habitable du monde après l’irruption du monstrueux : de quelles énergies, de quelles forces disposons-nous pour répondre à l’exigence de nouvelles structures de co-immunité à l’ère de la globalisation numérique?

De la provocation immunitaire à la création d’espace

Le thème de la viabilité de la vie dans les médias constitue une constante dans l’œuvre de McLuhan, qui prend par moments une tournure explicitement immunitaire. McLuhan propose une thérapie pour une population hypnotisée, et donc paralysée, sous l’effet de la technologie médiatique57.

Les médias, chez McLuhan, assurent une fonction métabolique essentielle. En agissant comme médiateurs entre le corps et l’environnement, ils contribuent à préserver un certain équilibre face au stress physique et à l’irritation environnementale58. Les médias, comme toute technologie, protègent le système nerveux central contre tout choc environnemental59. C’est-à-dire que si les médias sont eux-mêmes des «accélérateurs de la vie sensorielle 60», les pressions et inflammations collectives provoquées par l’accélération répondent également d’un principe d’auto-amputation par lequel on isole un organe surstimulé de manière à soulager le système nerveux central. Les médias engourdissent leurs patients sous l’effet d’un déplacement des ratios sensoriels. Ce déplacement agit à titre d’anesthésiant, diminuant la douleur liée à la transformation. Les médias participent toujours d’un équilibre précaire entre exposition et fermeture, extension corporelle et auto-amputation.

Ce qui est unique aux médias électriques, chez McLuhan, c’est qu’en prolongeant le système nerveux central lui-même, ils posent le risque d’une surexposition – et donc d’une surexcitation – susceptible d’entraîner un engourdissement généralisé de la conscience. Dans Counterblast, McLuhan écrit :

Tout au long de l’évolution précédente, nous avons protégé le système nerveux central en extériorisant tel ou tel organe physique dans les outils, les logements, les vêtements, les villes. Mais chaque sortie d’organe individuel était aussi une accélération et une intensification de l’environnement général jusqu’à ce que le système nerveux central opère un retournement. Nous sommes devenus des tortues. La carapace est entrée à l’intérieur, les organes à l’extérieur. Des tortues à carapace molle deviennent vicieuses. C’est notre état actuel. Mais quand un organe sort (ablation), il s’engourdit61.

Les médias électriques sont à la fois tentatives de neutraliser des inflammations collectives et susceptibles d’empirer les choses. L’enjeu immunitaire, chez McLuhan, passe donc par un «entraînement de la perception» visant à se soustraire à son environnement de manière à l’appréhender d’une nouvelle manière. À ce niveau, la principale fonction thérapeutique revient à l’artiste. L’art, chez McLuhan, est un «milieu-radar», un système d’«alerte-préalable» permettant de former la perception62. Tel que mentionné précédemment, chez McLuhan l’artiste rend explicite l’environnement inconscient qu’est le média et contribue ainsi à éviter qu’il n’anesthésie les modes d’action conscients63 :

Aucune société n’a jamais suffisamment compris ses actions pour s’immuniser contre ses nouveaux prolongements ou ses nouvelles technologies. Aujourd’hui, nous commençons à sentir que l’art pourrait peut-être nous conférer cette immunité64.

En rendant explicite ce qui demeurait latent – soit l’action inconsciente des médias sur les sens – l’intervention de l’artiste est thérapeutique dans la mesure où elle est dérangeante, vexatoire. Sans celle-ci, l’homme ne fait que s’adapter aux médias, à l’environnement dans lequel il est immergé. L’artiste, au contraire, entraîne les sensibilités en pratiquant un «dérèglement de tous les sens», pour reprendre la célèbre formule de Rimbaud65. L’immunisation aux médias, chez McLuhan, relève d’une désarticulation de l’homme par laquelle il devient d’une certaine manière étranger à lui-même. Or, malgré l’importance d’une telle désarticulation, McLuhan conçoit le travail de l’artiste-thérapeute d’abord comme un travail de restauration66. Si McLuhan demeure généralement optimiste quant à la suite des choses, c’est en partie en raison d’une association forte – on pourrait même parler d’unité – entre la prise de conscience des médias dans lesquels nous sommes immergés et un éventuel retour à l’équilibre. Tout dérèglement des sens, chez McLuhan, obéit en quelque sort au motif d’un éventuel retour à l’équilibre, sorte d’horizon éthique et thérapeutique indépassable.

À la manière de McLuhan, Sloterdijk conçoit la pratique thérapeutique comme pratique ayant pour objet de «provoquer des ruptures et d’introduire des changements d’humeur67». Le thérapeute, c’est l’entraîneur qui apporte son soutien à «de meilleures attitudes68». La thérapie ne poursuit aucun objectif déterminé, pas plus qu’elle ne cherche à révéler une vérité ensevelie. Elle est plutôt guidée par une éthique des supportabilités, de l’écologie de la douleur et du plaisir et de la vie inventive69. Suivant McLuhan, Sloterdijk pose l’enjeu thérapeutique de l’immersion dans les médias en termes de capacité à rendre explicite l’inconscient, le latent propre au média, à l’environnement. En affectant notre compréhension de notre situation dans le monde, l’explicitation transforme la manière dont nous y sommes immanents – dont nous l’habitons.

Il me semble que c’est justement à ce niveau que le souci thérapeutique de Sloterdijk se distingue de manière importante de McLuhan. Alors que McLuhan associe directement explicitation, en tant que prise de conscience, à un retour à l’équilibre des sens, le lecteur de Nietzsche qu’est Sloterdijk ne saurait sous-estimer les périls qui accompagnent le travail d’explicitation, pensé comme irruption du monstrueux dans nos vies. C’est qu’une fois assumé, à la manière de Sloterdijk, le deuil de toute forme d’unité spirituelle, la conscience devient une arme à double tranchant. Même après la révélation du caractère illusoire, ou toxique, de nos médias, nous ne sommes pas moins condamnés à les habiter : «La méfiance peut croître, nous restons immanents à ce qui est suspect70.» L’art thérapeutique consistant à concevoir des espaces et situations d’immunité viables, chez Sloterdijk, ne saurait être confondu avec le pouvoir harmonisant d’une conscience éclairée. Bien au contraire, les procédés immunitaires par lesquels la vie se transfigure elle-même – par substitution, ou médiation – de manière à assurer sa viabilité sont constamment accompagnés de vérités «dont l’effet est indifférent aux intérêts vitaux des êtres humains71». Il n’y a pas de pratique thérapeutique digne de ce nom, pour Sloterdijk, qui puisse faire l’économie de ce conflit primordial entre le pensable et le vivable 72.

Chez Sloterdijk, les bienfaits thérapeutiques de notre soustraction aux médias ne relèvent pas tant d’une appropriation, vers une «conscience cosmique» à venir, mais bien d’une manière de les faire entrer dans l’espace – de les mondialiser. Faire entrer le média dans l’espace anthropogène, c’est se donner les moyens de l’habiter convenablement. Les modalités de ce passage, de cette transformation, prennent des formes fort variables à travers l’œuvre de Sloterdijk, allant de la démobilisation73 à l’augmentation anthropotechnique de soi74. Il me semble que s’il était possible de discerner une trame commune à ces variations elle se trouverait dans le choix du mouvement-vers-la-vie face à un être-vers-la-mort (qu’il soit métaphysique, existentialiste ou technologique) menant ultimement au nihilisme et à ses diverses manifestations psychosociales (ressentiment, décadence, perte de vitalité, etc.). Lorsque vient le temps de comprendre l’immersion moderne dans le média, l’heure n’est pas plus au cynisme qu’à la nostalgie. Ainsi, là où Heidegger voyait dans la technique un achèvement de la métaphysique dans le nihilisme, appelant à un «retour à l’Être», Sloterdijk l’appréhende sous le signe de l’excès, de la restauration permanente d’une richesse originelle. Il dynamise la dimension extatique du fait d’être dans «le monde» en conceptualisant l’être-dans comme une constante venue-au-monde. À la quête de la conformité avec une essence à préserver, il oppose un processus hétérogène et indéterminé de venue-au-monde : la force pratique du monstrueux, de l’explicite et de l’accidentel se substitue à l’attente passive de la parole de l’Être. C’est à partir de «l’aérien, du suspendu, du mêlé et de l’inspiré75» qu’il faut alors interroger l’anthropogenèse, l’engendrement de l’homme par l’homme. Au travail de restauration McLuhanesque, le thérapeute sloterdijkien préférera donc «la cultivation d’arts de vivre ascensionnels76».

La pratique thérapeutique est à cet effet traversée par une tension vive et centrale dans l’œuvre des deux auteurs entre les puissances créatrices et les pouvoirs de domestication, pour reprendre les termes de Deleuze, commentant McLuhan77. L’enjeu qui se dessine en filigrane d’une pratique thérapeutique, chez Sloterdijk, concerne la distinction entre les conditions réactives et les conditions affirmatives de l’être-dans-le-média78. Voilà qui implique d’assumer un passage à l’offensive : du manque vers l’excès, de la consommation de soi vers une certaine radicalité d’autoaffirmation, de la domestication à la création. L’immersion radicale dans le média est à la fois décentrement et puissance, fragilisation et excitation, absence à soi et disposition à se laisser affecter. Penser les conditions affirmatives de l’immersion requiert donc de comprendre le média comme «intermédiaire des corps79», comme insertion dans ce qui nous dépasse.

Appréhender comment du média advient du monde implique de rendre au média son volume, en le pensant non comme moyen vers une fin, mais bien comme passage, médiation du dehors. C’est à ce titre, et à ce titre seulement, qu’on peut dire qu’il tisse un espace thérapeutique au sens fort, biopolitique, de ce qui génère de la vie à même le désordre des choses.

  1. “I am an intellectual thug who has been slowly accumulating a private arsenal with every intention of using it. In a mindless age every insight takes on the character of a lethal weapon. Every man of good will is the enemy of society.” Marshall McLuhan, The Letters of Marshall McLuhan, Toronto, Oxford University Press, 1987, p. 227. Traduit par l’auteur.
  2. Peter Sloterdijk, Le Palais de cristal. À l’intérieur du capitalisme planétaire, Paris, Hachette Littératures, 2006, p. 13
  3. Bien que s’étendant jamais longuement sur son œuvre, Sloterdijk fait systématiquement référence à McLuhan, qui trouve sa place dans presque chacune de ses œuvres importantes.
  4. Peter Sloterdijk, Bulles. Microsphérologie. Sphères I (1998), Paris, Pauvert, 2002, p. 684
  5. Ces provocations ne sont pas toutes de l’ordre du grandiose et se font ressentir, par exemple, dans ces innombrables références infinies au risque sous toutes ses formes (terroriste, sanitaire, d’accident, etc.). Provocations qui ne sont pas sans entraîner d’inquiétantes positions de repli sur la défensive, réflexes de préservation de soi, d’exclusions, etc.
  6. Peter Sloterdijk, Ni le soleil Ni la mort, Paris, Pauvert, 2003, p. 303
  7. Peter Sloterdijk, Globes. Macrosphérologie. Sphères II (1999), Paris, Pluriel, 2011, p. 545-546
  8. Peter Sloterdijk, Ni le soleil Ni la mort, op. cit., p. 304
  9. Peter Sloterdijk, La Compétition des bonnes nouvelles. Nietzsche évangéliste, Mille et Une Nuits, 2002, p. 10
  10. Peter Sloterdijk, Écumes. Sphérologie plurielle. Sphères III, Paris, Hachette, 2005, p. 445
  11. Voir par exemple McKenzie Wark, «Whatcha Doin’, Marshall McLuhan?», Media International Australia incorporating Culture and Policy, vol. 94, n°1, 2000.
  12. “[W]e don’t know who discovered water, but we’re pretty sure it wasn’t a fish.”, Marshall Mcluhan, Understanding Me: Lectures and Interviews, Toronto, Ontario, McClelland & Stewart, 2005, p. 106. Traduit par l’auteur.
  13. The capsule and the satellite have created a new environment for our planet. The planet is now the content of the new spaces created by the new technology. Instead of being an environment in time, the earth itself has become a probe in space. That is, the planet has become an anti-environment, an art form, an extension of consciousness, yielding new perception of the new man-made environment.” Marshall McLuhan, «The Emperor’s Old Clothes», dans Gyorgy Kepes (éd.), The Man-Made Object, New York, George Braziller, 1966, p. 93
  14. “When Sputnik went around the planet, the planet became an art form. Nature disappeared overnight and planet polluto took the place of the old nature. Planet polluto, discovered to be in a very bad state, needing a great deal of human attention – art form.” Pour l’entretien intégral voir : marshallmcluhanspeaks.com.
  15. McLuhan ne distingue pas l’œuvre de l’artiste de celle du scientifique ou du technologue. L’artiste, c’est un expert à noter les changements de perception sensorielle. C’est celui qui appréhende les implications de ses actions et des savoirs propres au temps qui est le sien. L’artiste, c’est l’homme de la conscience intégrale. Voir Marshall McLuhan, Pour comprendre les médias. Les prolongements technologiques de l’homme, Montréal, Éditions Hurtubise HMH, 1968. Plus largement, McLuhan associe cette capacité de perception extraordinaire à une tendance (qu’il détecte également chez les criminels et les a-sociaux) à traverser les frontières et à se tenir à distance des tendances dominantes.
  16. Marshall McLuhan, «The Emperor’s Old Clothes», art. cit.
  17. McLuhan écrira : «One thing about which fish know exactly nothing is water, since they have no anti-environment which would enable them to perceive the element they live in.» Voir Marshall McLuhan et Quentin Fiore, War and peace in the global village. An inventory of some of the current spastic situations that could be eliminated by more feedforward, New York, McGraw-Hill, 1968, p. 175
  18. The World Design Science Decade est une série de documents rédigés à l’attention des écoles d’architecture et de design, au milieu des années 1960. Presque entièrement rédigés par Fuller, ces documents visaient à améliorer l’utilisation des ressources naturelles mondiales de sorte à ce qu’elles servaient l’ensemble de l’humanité. Il s’agit, en somme, de documents portant sur le design intérieur du monde. Voir Richard Buckminster Fuller et John McHale, World design science decade. 1965-1975. Five two-year phases of a world retooling design proposed to the International Union of Architects for adoption by world architectural schools, Illinois, World Resources Inventory Southern Illinois University Carbondale, 1963.
  19. Voir Richard Buckinminster Fuller, «Comprehensive Thinking» (1965), phase 1, doc. 2, p. 90, dans Richard Buckminster Fuller et John McHale, World design science decade, op. cit.
  20. Peter Sloterdijk, Le Palais de cristal, op. cit., p. 23
  21. Peter Sloterdijk, Écumes. Sphères III, op. cit., p. 294
  22. Peter Sloterdijk, Ibid., p. 286
  23. Peter Sloterdijk, Ibid., p. 116
  24. Acoustic Space has the basic character of a sphere whose focus or center is simultaneously everywhere and whose margin is nowhere…” Marshall McLuhan et Bruce R. Powers, The Global Village : Transformations in the World Life and Media in the 21st Century, New York & Oxford, Oxford University Press, 1989, p. 74. Traduction de l’auteur.
  25. Richard Cavell, McLuhan in Space. A Cultural Geography, Toronto, University of Toronto Press, 2003, p. 20
  26. Marshall McLuhan et Bruce R. Powers, The Global Village. Transformations in the World Life and Media in the 21st Century, Oxford, Oxford University Press, 1989, p. 231
  27. Their model is from the telegraph which they see merely as a kind of pipeline for transportation. Recently, while debating the Alaska oil pipeline here in Canada, it was brought out vividly that it would destroy the indigenous peoples, in all directions. The Shannon/Weaver model of communication is merely a transportation model which has no place for side-effects of the service environments.” cité dans Cavell, McLuhan in Space: A Cultural Geography, p. 5. Traduction de l’auteur.
  28. Marshall McLuhan, «Five Sovereign Fingers Taxed the Breath»(1960), dans Edmund Carpenter et Marshall McLuhan (éds.), Explorations in Communication. An Anthology, Boston, Beacon Press, 1960, p. 207
  29. Peter Sloterdijk, La Domestication de l’Être, Paris, Mille et Une Nuits, 2000, p. 107
  30. Peter Sloterdijk, Dans le même bateau. Essai sur l’hyperpolitique, Paris, Éditions Payot & Rivages, 2003, p. 23
  31. Peter Sloterdijk, Bulles. Sphères I, op.cit., p. 227
  32. Peter Sloterdijk, «En guise d’aveu», 2011, [consultable sur Internet].
  33. What has happened with the electronic advent is not that we move the products of human knowledge or labour to all corners of the earth more quickly. Rather we dilate the very means and processes of discourses to make a global envelope of sense and sensibility to the earth…Each one of us, actively or passively, includes every other person on earth…“, cité dans Richard Cavell, McLuhan in Space, op. cit., p. 238. Emphase dans l’original, traduction de l’auteur.
  34. Marshall McLuhan, Pour comprendre les médias, op. cit., p. 33
  35. Dans Le Palais de cristal, Sloterdijk écrit : «[…] la Modernité ne produirait que de la folie si elle devait se lancer dans le projet hybride consistant à intégrer la quantité des sites de culture et d’entreprise comme des sous-sphères dans une monosphère à structure concentrique. C’est ce que Marshall McLuhan semble avoir sous-estimé lorsqu’il s’est adonné pour un moment à sa vision du village global, au temps où la déception ne l’avait pas encore rattrapé : “Les extensions médiales de l’être humain mènent à l’humanisation de la planète”. Ce genre de choses ne pourrait pas même être répété aujourd’hui dans des sectes missionnaires.» Peter Sloterdijk, Le Palais de cristal, op. cit., p. 212-13
  36. Par exemple, dans l’introduction à la première édition de Pour comprendre les médias, parue en 1964 : «Pendant l’âge classique, nous avons prolongé nos corps dans l’espace. Aujourd’hui, après plus d’un siècle de technologie de l’électricité, c’est notre système nerveux central lui-même que nous avons jeté comme un filet sur l’ensemble du globe, abolissant ainsi l’espace et le temps, du moins en ce qui concerne notre planète.» Marshall McLuhan, Pour comprendre les médias, op. cit., p. 21
  37. Peter Sloterdijk, Écumes. Sphères III, op. cit., p. 17
  38. Peter Sloterdijk, Ibid.
  39. Ibid.
  40. Marshall McLuhan, Pour comprendre les médias, op. cit., p. 137
  41. Peter Sloterdijk, Écumes. Sphères III, op. cit., p. 18
  42. Marshall McLuhan, «An interview with Marshall McLuhan», Playboy Magazine, mars 1969.
  43. Marshall McLuhan, Pour comprendre les médias, op. cit., p. 137
  44. In an interview, McLuhan suggested that : «[T]he Christian concept of the mystical body — all men as members of the body of Christ — this becomes technologically a fact under electronic conditions. However, I would not try to theologize on the basis of my understanding of technology.» Marshall McLuhan et Gerald Emanuel Stearn, «Even Hercules had to Clean the Augean Stables but Once!», dans Gerald Emanuel Stearn (éd.), McLuhan hot & cool. A Primer for the Understanding of and a Critical Symposium with a Rebuttal by McLuhan., New York, Signet Books, 1967, p. 267
  45. Peter Sloterdijk, Écumes. Sphères III, op. cit., p. 18
  46. Peter Sloterdijk, Ibid.
  47. Peter Sloterdijk, Bulles. Sphères I, op.cit., p. 28
  48. Marshall McLuhan, Pour comprendre les médias, op. cit., p. 94
  49. Peter Sloterdijk, Le Palais de cristal, op. cit., p. 211
  50. Peter Sloterdijk, Tu dois changer ta vie. De l’anthropotechnique, Paris, Libella-Maren Sell, 2011, p. 643
  51. Voir Peter Sloterdijk, Ibid.
  52. Liesbeth Noordegraaf-Eelens, Willem Schinkel et Peter Sloterdijk, «The Space of Global Capitalism and its Imaginary Imperialism : An Interview with Peter Sloterdijk», dans Willem Schinkel et Liesbeth Noordegraaf-Eelens (éds.), In Medias Res. Peter Sloterdijk’s Spherological Poetics of Being, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2011, p. 193
  53. W. Terrence Gordon, McLuhan. A guide for the perplexed, New York, Continuum, 2010, p. 24
  54. Marshall McLuhan, «An interview with Marshall McLuhan», art. cit. [notre traduction].
  55. Marshall McLuhan et Gerald Emanuel Stearn, «Even Hercules had to Clean the Augean Stables but Once!», art. cit., p. 272-73.
  56. Sloterdijk parle en ce sens d’une «unité du village global et de l’Église» chez McLuhan. Peter Sloterdijk, Écumes. Sphères III, op. cit., p. 18. Or c’est bien cette thèse qu’identifie Sloterdijk pour illustrer un vestige d’une tradition médiatique à dépasser. Pour une exploration des relations entre médias et religion chez McLuhan, voir Eric McLuhan, Jacek Szlarek (éds.), Marshall McLuhan, The Medium and the Light. Reflections on Religion (1999), Eugene, Wipf and Stock Publishers, 2010.
  57. Arthur Kroker, Technology and the Canadian Mind. Innis/McLuhan/Grant, Montreal, New World Perspectives, 1984
  58. Par exemple, le prolongement du pied par la roue peut être considéré comme un remède à l’accroissement des fardeaux subis par ce dernier, dans un contexte d’intensification des échanges, voir Marshall McLuhan, Pour comprendre les médias, op. cit., p. 86
  59. Marshall McLuhan, Ibid., p. 88. McLuhan était en ce sens fortement influencé par la recherche médicale sur le stress, l’engourdissement et l’irritation, par exemple par les travaux de l’endocrinologue montréalais Hans Selye.
  60. Marshall McLuhan, Ibid., p. 91
  61. “Throughout previous evolution, we have protected the central nervous system by outering this or that physical organ in tools, housing, clothing, cities. But each outering of individual organs was also an acceleration and intensification of the general environment until the central nervous system did a flip. We turned turtle. The shell went inside, the organs outside. Turtles with soft shells become vicious. That’s our present state. But when an organ goes out (ablation), it goes numb”, Marshall McLuhan, Counterblast, Londres, Rapp and Whiting, 1970, p. 41
  62. Marshall McLuhan, Pour comprendre les médias, op. cit., p. 26-27
  63. Marshall McLuhan, Ibid., p. 120
  64. Marshall McLuhan, Ibid., p. 118
  65. Marshall McLuhan et Eric McLuhan, Laws of Media. The New Science, Toronto, University of Toronto Press, 1992, p. 98
  66. Richard Cavell, McLuhan in Space, op. cit., p. 44
  67. Peter Sloterdijk, Ni le soleil Ni la mort, op. cit., p. 321
  68. Peter Sloterdijk, ibid.
  69. Peter Sloterdijk, Le Penseur sur scène. Le Matérialisme de Nietzsche, Paris, Christian Bourgois Éditeur, 1990, p. 173
  70. Peter Sloterdijk, Écumes. Sphères III, op. cit., p. 171
  71. Peter Sloterdijk et Éric Alliez, «Vivre chaud et penser froid», Multitudes, vol. n°1, 2000, p. 77
  72. Pour un essai traitant de cette question à partir d’une lecture lumineuse de La naissance de la tragédie du jeune Nietzsche, voir Peter Sloterdijk, Le Penseur sur scène, op. cit.
  73. Peter Sloterdijk, La mobilisation infinie. Vers une critique de la cinétique politique, Frankfurt am Main, Christian Bourgeois, 1989
  74. Peter Sloterdijk, Tu dois changer ta vie, op. cit.
  75. Peter Sloterdijk, Sphères. Écumes, op. cit., p. 41
  76. Voir Erik Bordeleau, «Des mouvements ascensionnels», ce volume.
  77. Gilles Deleuze, Pourparlers. 1972-1990, Minuit, 2014, p. 179
  78. Henk Oosterling, «Interest and Excess of Modern Man’s Mediocrity. Rescaling Sloterdijk’s Grandiose Aesthetic Strategy», Cultural Politics, vol. 3, n°3, 2007, p. 360
  79. Érik Bordeleau, Comment sauver le commun du communisme?, Montréal, Le Quartanier, 2014, p. 161