Cette nouvelle mouture du Merle découle de quelques fort heureuses rencontres catalysées par la tenue, à l’été 2013 en France, de deux séminaires exceptionnels dont les effets n’ont eu de cesse de se faire sentir depuis. D’abord, dans le vénérable château du Centre culturel international de Cerisy-la-Salle, un colloque intitulé «Gestes spéculatifs» organisé par Didier Debaise et Isabelle Stengers a réuni une série de penseurs tels que Bruno Latour, Donna Haraway, Eduardo Viveiros de Castro, Vinciane Despret ou Tobie Nathan (pour ne nommer que les plus connus), lesquels, sur fond d’ontologie pragmatiste et pluraliste, ont cherché à penser comment affirmer des virtualités situées — comment s’engager par et pour des possibles à activer dans le présent. Quelques semaines plus tard, non loin du désormais célèbre village de Tarnac sur le plateau des Mille vaches, une région sauvage de tradition résistante en plein cœur de la France, s’est déroulé un séminaire autonome autour du thème «Défaire l’Occident». Chaque journée était consacrée à un thème: «philosophie et magie», «christianisme», «démocratie», «économie», «cybernétique» et, finalement, «amour». Tout au long de la semaine, des interventions par des invités spéciaux et des ateliers de toutes sortes se sont enchaînés, certains longuement mûris, d’autres spontanément issus de la conjoncture particulièrement favorable et énergisante du moment. C’est Giorgio Agamben qui a ouvert le bal avec une allocution sur le faire usage et la puissance destituante, deux idées qui ont résonné durablement parmi les êtres rassemblés en si fertile occasion.
Bien des choses distinguent, voire opposent, ces deux séminaires : leur texture affective, leur teneur compositionnelle, leur conception divergente du politique et du rôle de la pensée. Néanmoins, c’est bien à la jonction, physique et philosophique, de ces deux événements que les différents collaborateurs de ce numéro se sont reconnus et trouvés. Cette rencontre a cristallisé une série de préoccupations et d’intérêts communs. De ce plan de consistance nouvellement constitué, nous aimerions partager, de manière par trop indicative et parcellaire, quelques coordonnées.