Les pantoufles, c’est bon de mettre ça au sol. En fait, tu dis les pantoufles, c’est bon de mettre ça au sol, mais en fait ce que tu dis, c’est que les pantoufles, c’est pas bon de mettre ça sur le sofa. Intéressant comme nuance. C’est que ça traîne toute la shit du plancher. Oui, c’est sûr, surtout qu’on passe jamais le balai. Bin, c’en est, des balais. C’est ça, des pantoufles, c’est un balai.
Toi, tu lis la transcription intégralement, tu fais les deux voix. Tu mets l’accent surtout sur les questions, ou peut-être de façon à évacuer l’émotion de la discussion,
Retrouve-t-on une prise sur nos discussions passées? Se souvient-on de la poussière dans l’oeil? De la date butoir? A-t-on les moyens de poursuivre le cheminement tortueux de la pensée depuis le même désordre factuel, matériel, affectif, constitutif de la parole?
la discussion, pis moi, que ce soit sur un autre ordre, un autre mode, que je réponde avec plusse d’émotions, ou des émotions autres.
Les pantoufles, c’est bon de mettre ça au sol. En fait, tu dis les pantoufles, c’est bon de mettre ça au sol, mais en fait ce que tu dis,
A-t-on les moyens d’amoindrir le décalage entre ce qu’on dit et ce qu’on fait? La poésie ne naîtrait-elle pas de cette impossibilité même?
c’est que les pantoufles, c’est pas bon de mettre ça sur le sofa. Intéressant comme nuance. C’est que ça traîne toute la shit du plancher. Oui, c’est sûr, surtout qu’on passe jamais le balai. Bin, c’en est, des balais. C’est ça, des pantoufles, c’est un balai.
❋ Soudainement, une ligne d’orgue minimaliste en fa mineur (do-sol#-la#-fa). ❋
La parole bute à ce qui n’est pas la parole. Puis, elle ouvre la fenêtre. Il existe un vaste hors-champ inaccessible à la vue, même en sortant la tête du sable domestique. Se souvient-on de la molle action du regard bien-pensant? Sans dire l’invisible, tout reste figé dans la lumière. Le fantôme passe furtivement, sans qu’on puisse lui sourire.
L’affaire, c’est que si on a 20 minutes, c’est même court, parce que non, c’est pas court du tout pour une performance, c’est très long. Bin non, ça va être bin correct. C’est immersif, c’est un instant, pis on n’a pas peur de la longueur. On va pratiquer une fois ou deux, on va le savoir à peu près. Exactement, mais en attendant, on dit ça va extrêmement vite quand on s’enregistre comme ça. On fait une transcription, c’est facile d’avoir du texte à foison. On va pas toute transcrire. Oui, mais je veux dire, on va garder. On va pas garder. On va garder aussi les platitudes, on essaie de garder l’effet de discussion. Oui, je sais, mais on va pas faire du remplissage pour rien non plus, si ça fait 12 minutes, ça fait 12 minutes. C’est pas ça que je dis, pourquoi t’accroches au temps? Je m’en contrefous là. Parce que t’avais l’air de faire une obsession avec ça.
L’ego – l’écrivain·e qui se regarde écrire avec outrecuidance – résiste à la collaboration. Serrer la mâchoire pour garder les phrases change le visage, et incite au vomissement. Exit les baisers. Les dents du renard ne sont pas une métaphore.
Non, je suis obsédée par le fait qu’on prenne notre temps pour faire cette pièce. Ce sera plus intéressant qu’une entrevue de nous deux sur le vif. Je fais rien sur le vif, ni l’écriture sur le vif.
Le temps passé en dehors de l’oeuvre, endormi·e, en errance à l’épicerie, en file d’attente, en déplacement dans la rue, en retrait du langage ou emporté·e par la bureaucratie, ce temps retourne à l’oeuvre et façonne sa part de médiocrité indispensable.
—en chantant La pensée, c’est quoi pour toi, la pensée, c’est quoi pour toi, la pensée, c’est quoi pour toi, la pensée, c’est quoi pour toi, la pensée, c’est quoi pour toi…
—d’une manière frénétique, avec percussions électroniques disjonctées Une pensée, ça peut être… Une pensée, c’est un… Une pensée, c’est quelque chose qui arrive à la conscience. Une pensée, c’est plus large que l’écriture, mais c’est l’écriture. Je n’aime pas tant le mot poème ou poésie, parce que ça referme le mot pensée sur lui-même. Comme si poésie définissait une manière de penser, alors que penser, ça peut être… Penser, c’est juste… La pensée, c’est déjà de la poésie. On ne devrait pas se dire que la pensée et la poésie ont chacune une spécificité, qu’elles sont des choses différentes, tsé.
❋ Courte pause des percussions électroniques. ❋
En tout cas, moi aussi je pourrais vouloir commencer à écrire parce que le langage me permet tout à coup, en ce moment même, de commencer à penser. Mais penser, c’est pas encore organiser. Par exemple, le terrain est fertile et fictif, mettons, c’est un vers ça, mettons. Mais c’est pas une pensée claire. Mais c’est quelque chose qui parvient à ma conscience.
On forme trop hâtivement une phrase, sans vérifier sa sortie de secours. Ce serait dommage de faire de la poésie un donné, alors qu’il s’agit d’un travail ardu alimenté par une éthique du don : don d’abord de ce qui est incertain dans la pensée, don ensuite du poème comme portion extérieure du monde. Contrairement à la pensée qui aspire à prendre, la poésie découlerait du constat d’une faible prise trop partout, de la consternation devant l’impossible saisie.
Si la pensée qu’on parvient à retenir s’avère parfois poésie, c’est une chance mystérieuse qui mène tristement à s’en extasier. Car en état d’ego-plénitude, on oublie de prévoir l’appel à l’aide, responsabilité fondée dans une inquiétude amicale et une tendresse pollinisatrice à l’égard des lecteur·ice.s.
Mais c’est peut-être une sensation, la pensée. Fait que, c’est quoi tout ça en langage, tsé?
C’est que l’écriture est comme une envie de pipi, mettons. C’est comme, j’ai envie tout de suite que quelque chose arrive à ma conscience. Puis là, go.
Mais c’est déjà en train de pisser, et ç’a fucking pas rapport au sens, tsé. Plutôt de l’ordre de la sensibilité. Une pensée, c’est dans le sens que c’est dans le langage que quelque chose se crée. Que c’est ici déjà, ça parle, ça pisse, c’est le langage. Un collage entre feuille et falafel, ça colle, mais c’est juste des mots, tsé. C’est là que l’idée de la traduction arrive pour moi.
—à la manière d’une incantation Une envie… une envie… une envie… une envie… une envie…
Parce que souvent, c’est la traduction de quelque chose qui est intraduisible, une sensation, ou une ambiance, ou une énergie. Dans un rêve, tu comprends pas, mais c’est très senti. Oui, je peux le sentir.
C’est très particulier, c’est comme le sous-sol quand j’étais jeune, mélangé avec mon chat aujourd’hui, et une feuille, et une machine.
Se souvient-on de la tache sur le livre? A-t-on la capacité de reconstituer le sens au moyen de la mémoire? A-t-on même le désir de retrouver intact un lien passé?
… une envie… une envie… une envie… une envie —
Hum, un fragment qui émerge de façon mystérieuse…
—à l’unisson Un A est un B, un B est un C. Un A est un B est un A est un B est un C. Un B est un C. Un B est un C.
La chatte veut rentrer.
C’est que le rythme m’est venu de façon spontanée.
Allô tite fille… quoi veut? quoi veut? quoi veut?
C’est que la structure m’est venue de façon spontanée.
Le vrai animal est ailleurs.
—à l’unisson Les pantoufles, c’est bon de mettre ça au sol. En fait, tu dis les pantoufles, c’est bon de mettre ça au sol, mais en fait ce que tu dis, c’est que les pantoufles, c’est pas bon de mettre ça sur le sofa. Intéressant comme nuance. C’est que ça traîne toute la shit du plancher. Oui, c’est sûr, surtout qu’on passe jamais le balai. Bin, c’en est, des balais. C’est ça, des pantoufles, c’est un balai.
C’est un reproche, et non pas un mensonge. On offre volontairement une représentation de l’absence de choix entre le ménage de l’espace commun et le travail de la poésie. Ceci n’implique aucune finalité.
L’écriture est liée à une forte envie, une forte envie, une forte envie d’utiliser le langage. Mais peut-être pas une envie, peut-être pas une envie, peut-être pas une envie de dire.
On envenime malheureusement la relation entre dire et faire. Son mécanisme demeure obscur. On est si loin de ce qu’on peut, ensemble. Les petites solutions adviennent comme le pus qui sort d’un bouton.
❋ Doucement, un pianotage quétaine en mi mineur. ❋
Tu me dis que t’as plusse une écriture de carnet ou de notes, qu’est-ce qui se passe là? Qu’est-ce qui active l’écriture, mais aussi qu’est-ce qui, si c’est pas la réception, pas le résultat, qu’est-ce qui se passe? Bin, je dirais que c’est, bin, je peux pas faire autrement, c’est un besoin fondamental, oui, j’aime ça quand y’a une réception, mais ça arrive plus tard. C’est secondaire. Oui, c’est solitaire. Secondaire. Secondaire, oui oui, parce que des fois, c’est juste, bin, c’est vrai que des fois, comme toi, ça découle de la lecture dans le sens que tu lis, tu lis pis t’es comme, inconsciemment tu, t’as envie que quelque chose existe, c’est comme bin, j’aime ça beaucoup, mais j’aimerais ça que ce soit un peu plusse comme ça, ça c’est bon mais c’est trop conservateur, ça j’aime ça mais c’est trop émotif dans ce sens-là, bin j’aimerais ça qu’une affaire existe que j’arrive pas à articuler, pis là —
C’est quoi une affaire qui existe? Un corps? Un poème? Ça prend un corps pour écrire un poème…
❋ Le pianotage quétaine se poursuit. ❋
Mais le corps astral peut s’en occuper…
Comment la poésie s’occupe-t-elle du corps? Le détachement charnel est dépassé. Le passage de la sensation du soleil à l’idée froide de l’instrument n’a rien de facile. On est la pelle, le soleil est bas, sans qu’il soit nécessaire de le dire. Le plus grave serait qu’on se sente être la pelle parce qu’on se dit être la pelle. On ne dit pas je suis la pelle, on s’occupe de la poésie. On est la pelle.
On a deux corps?
On s’en occupe.
Tu le savais pas? C’est peut-être ça la base de tes problèmes.
On a deux corps? Il est où le corps astral?
En haut.
En haut comme en bas, au sens que le ciel et le sable sont déjà depuis toujours fondamentalement étrangers à la ligne bleu foncé entre eux. Revient-il au poème d’inséparer les zones? La chair est une pâte friable.
En haut de quoi?
En haut du corps terrestre.
Mais qu’est-ce qu’y fait là?
Il flotte.
Mais pourquoi?
Mais pourquoi pas?
Poser une question n’implique pas l’espoir d’une réponse. La question en tant que cri fonctionne comme un déclencheur du doute salutaire.
❋ Le piano quétaine finit en beauté sur un do définitif (mineur est devenu majeur). ❋
On peut passer sa vie à reformuler des réponses.
Crie pas! Pourquoi tu cries?
—en simultané avec le texte de Maude qui suit Ça revient à ton processus de réécriture, parce que toi tu réécris pour pas dire telle ou telle affaire, mais c’est comme patcher un mur… tu veux pas voir le trou, mais on voit le patchage… et le patchage, c’est un énoncé,
On n’arrive jamais à une réconciliation durable entre les lectures passées et présentes. Le monde est difficile et irrecevable, et, comme nous, le poème boit. Liquidation finale. La rigidité du réel tel qu’on la connaît l’est justement parce qu’on croit connaître le réel.
fait que tu réécris, tu refais de la finition par-dessus, tu caches l’origine, mais ce que tu remets par-dessus, c’est des choses dites, pis ça relève de ton processus, et c’est super intéressant, c’est ce qui donne la texture particulière, la texture qui est propre à ton écriture… le trou qui est dans le mur,
Le langage et l’orchestration du ménage s’érigent entre nous. D’abord, on s’oppose aux deux tâches. Voici les lapsus : le poème contre la passivité. S’agit-il d’une solution de rechange au monde muet? Ensuite, on déplace le cheveu qui chatouille la joue, pour mieux s’éclaircir la voix. Pour l’instant, tout est foutu.
c’est l’origine que tu veux pas dire, c’est le sens des mots à l’origine que tu veux camoufler, ou le sens dans la syntaxe de la phrase ou du vers, c’est peut-être pas une bonne métaphore, enfin, un trou, c’est peut-être pas la bonne image, parce que c’est un vide, pis toi, tu veux plusse de vide! toi tu aimes vraiment pas le mur, fait que tu fais un trou dedans, c’est plusse ça… en tout cas, ma métaphore est à l’envers, mais quand même, le trou veut dire quelque chose… c’est que tu fais un trou dans le mur parce que t’aimes pas le mur, mais le trou, il exprime toutes sortes de choses, ça a une forme, ça a une texture, les brisures sur le bord, ça veut dire toutes sortes de choses, pis c’est très riche, c’est très très riche, c’est aussi sinon plus riche que le mur, c’est vraiment plus riche que le mur! Même si le mur avait un beau papier-peint avec plein de motifs dessus.
Un ciel apparaît. Le trou promet une révélation, autant sinon plus que la vertigineuse accumulation des paroles, des gorges et de leurs hoquets sans fin. Le sens demeure une renardière aux parois usées.
— en simultané avec le texte de Simon qui précède L’imaginaire populaire, tsé, les linguistes sont pas d’accord nécessairement, c’est que le langage existe pour communiquer du sens à l’origine, comme des vocables, ou enfin. Oui, mais je pense pas que c’est spécifique à la poésie, mais à toute la littérature. C’est pas sûr ça… Oui, il y a ces ouvertures, ces brèches dans la continuité du sens, dans un roman aussi, un roman qui se veut clair d’un point de vue communicationnel. Je pense que beaucoup d’écrivain·es visent à communiquer des choses. Qu’iels savent ce qu’iels veulent communiquer. Il y a une mouche.
On n’attrape pas la mouche avec du vinaigre, semble-t-il. Mais le miel qui l’attise, il en manque, et de ce manque, nos bouches sèches s’approchent.
Qu’est-ce qu’une mouche fait là? J’ai parlé à des écrivain·es qui me racontaient – Mais l’intention des écrivain·es, c’est une chose, mais là, je parle de ce que la littérature fait. Bien sûr, elle ouvre, oui. Elle arrache la langue au dictionnaire, elle s’arrache du sens commun. Comme quoi on est toujours à côté de la track. On a bin beau parler de nos processus depuis une heure, on est toujours bin à côté de la track quand on énonce des intentions. Fait que, vaut mieux décrire nos gestes, vaut mieux décrire, pis même là, c’est dur de vraiment bien savoir ce qu’on fait. J’arrêterais là.
Bonne idée.