J’ai une pratique artistique, en peinture et surtout en poésie, que je crois valable, vous en jugerez plus tard, pourtant, quand on m’a demandé de dire quelque chose sur la situation des politiques culturelles, j’ai pensé néant. Je fais de l’art, je connais mon histoire de l’art, je pense la sociologie de l’art, l’esthétique. J’ai des réflexions sur la meilleure façon de faire cuire des patates, sur les transformations postmodernes du capitalisme, sur l’inclusion des femmes marginalisées dans le féminisme, sur tout et n’importe quoi… mais sur les politiques culturelles, rien du tout. J’ai pas d’espoir!

C’est des milieux marginalisés qui me soutiennent, des petits milieux invisibles et sans moyens où l’on essaie ensemble de rendre la vie moins misérable pour tout le monde. On s’y fait nos événements et, moi, c’est là que j’existe artistiquement. Les politiques culturelles, des fois ça donne des belles choses, des fois ça donne de la merde. Mais, les politiques culturelles, toutes les fois, je les vis comme autant de variations sur un monde qui m’exclut.

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On aime s’émouvoir du parcours touchant d’une femme trans dans les médias, une femme trans qu’on a bien choisie, qui est conforme à un certain discours préexistant, qui est gentille; combien de femmes trans représentées, combien de femmes trans en position de produire sur le vécu des femmes trans ou sur ce qu’elles veulent d’ailleurs, parce qu’on a plus à raconter que notre vie de femme trans. Je parle de femmes trans parce que c’est qui je suis, remplacez femme trans par n’importe quelle personne marginalisée, ça reste à peu près valide. Laisser la diversité de la vie nourrir l’art, ça demande plus que montrer quelques personnes marginalisées, ça demande de nous laisser produire de l’art, de diffuser l’art qu’on produit et qui ne répond pas aux préconceptions sur qui nous sommes et ce que nous faisons; mais ça demande surtout de nous laisser exister tout court.

Quand on n’est pas en santé, au sens large, socialement en santé, on ne produit pas d’art, ou très peu. L’art c’est impossible d’en faire en l’absence de certaines conditions matérielles de base. Quand on coupe dans l’aide sociale (non, je vais pas appeler ça de l’«aide de dernier recours.»), dans les services sociaux, quand des organismes de défense des droits au logement ferment, quand les policiers harcèlent des minorités, quand les médecins refusent d’adapter leurs services, qui sont conçus pour les personnes blanches hétéros de classe moyenne, puis qu’on en crève, c’est encore une fois de l’art des groupes marginalisés qu’on se prive. Quand on réprime la diversité sociale, on détruit la diversité artistique.

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En terminant, et suite à la blague de merde misogyne et raciste qu’a fait Éric Salvail hier1, vu la poursuite qu’intentaient aujourd’hui 41 policiers contre Radio-Canada pour avoir parlé d’abus sur des femmes autochtones2, plus que jamais il me semble nécessaire de dire que nous vivons sur des terres autochtones non cédées.

Quand la culture propage le colonialisme et le sexisme, quand l’empire Rozon est bâti sur des blagues misogynes, racistes, homophobes et j’en passe, quand la culture c’est aussi la culture du viol et de la domination, bien moi aussi ça me donne envie d’être sans culture.

  1. L’animateur Éric Salvail avait comparé la ménopause à l’absence de règle dans une «réserve indienne». 2016-10-20
  2. Les policiers ont déposé une poursuite contre Radio-Canada suite à la diffusion d’un reportage de l’émission Enquête témoignant d’abus de policiers sur des femmes autochtones. À la suite de l’émission, des enquêtes ont été ouvertes contre huit policiers.