On vit ensemble, on rit on est bien. On change les noms des rues, on peint des murales sur les maisons abandonnées d’un quartier autoproclamé République Bordel deVille. Montréal, territoire autochtone non cédé.

On s’occupe d’un quartier, anciennement populeux, un quartier des spectacles en attente, un quadrilatère expulsé, exproprié, démembré par la ville et qu’on revalorise à chaque jour. On récupère, on réutilise, on ramasse des festins dans les poubelles. On vit notre vidange quotidienne. On jump le courant. On fourre le système parce qu’on aime ça fourrer. On est bien trop occupé.e.s à changer le monde et les rapports sociaux pour travailler pour le capital. On règle nos comptes avec le patriarcat, les médias, les boomers, les diktats de la beauté et des conventions; notre conte est bon.

Phoque les riches, à nous les restes!

Nous sommes des artistes de plusieurs expressions, nous créons notre vie en dehors des parcours déjà faits. Notre art et notre militance sociale et politique nous mènent aussi dans les squats d’Europe, vers les centres autogérés du Midwest américain et en Amérique centrale. Nous avons un local associatif (le CAMCA) et occupons une ferme collective à la campagne, La maison des souris. On fait des spectacles, des manifestations, des occupations, de la radio pirate, des jardins pas zen du tout, nous combattons les vols à basse altitude de l’Otan au Nitassinan. La performance, le rock, la littérature et la peinture en direct sont notre pain quotidien.

Nos ami.e.s et notre époque souffrent et meurent du sida. D’autres se prennent pour des héroïnes. La vie n’est pas toujours simple. On réussit à garder la barre dans les tempêtes, il y a des ambulances, du sang et de la colère, mais toujours les rêves reprennent leurs droits.

J’ai 25 ans. Ma mère vient de mourir et j’accouche à la maison pour protester, ou plutôt en signe de pouvoir sur ma vie, sur mon corps. Mon enfant naît en territoire libéré, sans moniteur fœtal, sans échographie, sans étriers. Dans les mains illégales d’une savante et sage- femme, entre mes jambes, entre nos bras. C’est un être libre.

Pendant que bébé dort dans le hamac, entre deux tétées, deux tisanes et deux couches en coton, je revisite ma récente formation d’herboriste et je dessine des cordes à linge avec des brassières. Je m’intéresse aux herbes médicinales nord-américaines bénéfiques dans tous les aspects de la santé des femmes. Surtout celle des jeunes femmes, nous. Je compile mes recherches avec l’idée d’en faire un pamphlet, j’écris et bien sûr j’écris comme je suis; c’est rock, ça rocke. Je recense nos maux qui sont multiples, nos douleurs, nos attitudes, nos odeurs, nos formes et je ne tourne pas autour du pot. J’écris C’est toujours chaud dans les culottes des filles. Livret de gynécologie maison à base de plantes médicinales. Ça parle de plottes et d’éponges menstruelles, de plantes abortives et d’ovaires. Mon amie Myriam Cliche en fait une talentueuse mise en page. L’artiste Irène Mayer couvre le livret d’un joli prisme de vulves. On publie, une publication maison. Les femmes aiment ça et en redemandent parce qu’on ne voit pas ça sou- vent une langue qui parle de nos ovaires comme ça. Ça dérange aussi, c’est très cru. On donne le livret ou on le vend deux dollars pour pouvoir le donner à d’autres femmes. On republie, on fait des envois internationaux, on republie, 5 fois en 10 ans. Il n’y a pas de copyright, on préfère Copiez correctement. Et les femmes photocopient, en masse. À chaque réédition, on ajoute, on corrige, on adapte. On sait bien que tout n’est pas là mais c’est un point de départ, un teaser pour une tisane féministe. Avec les ami.e.s de la (Société de conservation du présent) on en fait même de la poésie générée par ordinateur; ça donne Nous sommes post menstruelles. De temps en temps des nouvelles venues se greffent au projet et distribuent la parole, le temps d’une conférence, d’une table d’information, d’une rencontre féministe. Le temps d’une traduction aussi. Grâce à Lisa Vinebaum et Penny Pattison, Hot Pantz, DIY gynecology voit le jour. Karen Herland écrit sur les femmes et le sida. On réédite, on actualise, on distribue, on copie correctement.

On est en 1990.

C’est toujours chaud dans les culottes de filles. Livret de gynécologie maison à base de plantes médicinales est un pamphlet qui a fait son chemin dans la littérature féministe radicale. De 1990 à 2001, beaucoup plus de 15 000 copies ont été distribuées au Québec et dans le monde, sans compter toutes les photocopies faites par les utilisatrices et leurs amies. Avec le temps il est devenu un symbole dans le milieu féministe underground.

J’ai cessé de le rééditer et de le distribuer en 2000* parce qu’il aurait fallu tout réécrire. J’en reconnais la valeur référentielle et historique mais les informations qu’il contient ne sont plus d’actualité. Aujourd’hui l’herboristerie et les pratiques alternatives se sont développées
et sont devenues beaucoup plus accessibles. En 1990 la Diva Cup n’existait pas, le mouvement queer commençait et les itss s’appelaient mts. Les choses ont changé mais l’auto-santé n’a toujours pas la place qui lui revient dans nos vies et les médecins continuent de nous gaver d’hormones et d’abus.

Je désire toujours ce monde où les femmes ont du pouvoir sur leur corps, sur leur vie sexuelle, affective et reproductive. En 2018, c’est encore chaud dans les culottes des filles.

* Depuis les années 2000, les livrets Hot Pantz, DIY gynecology et C’est toujours chaud dans les culottes des filles ont continué à être copiés correctement, propagés et discutés par les usagères à travers le monde. C’est pour moi un grand bonheur et un honneur. Il a aussi été édité et vendu par le groupe Blood Sisters, même après leur avoir demandé de cesser de le publier et de le vendre en magasin… Por favor Sisters… Microcosm publishing (?) en aurait même déposé un copyright, jamais autorisé, en 2015.